A la suite de l’Appel de Kinshasa du 28 mai 2020, je formule, comme promis, les mesures que je considère comme essentielles pour garantir une sortie de crise réussie. Il est vrai que la bataille contre le COVID-19 n’est pas encore gagnée. Pire, si les meilleures stratégies ne sont pas adoptées et mises en œuvre avec rigueur, la victoire souhaitée ne pourra même plus être espérée raisonnablement. Malgré tout, on ne peut pas attendre un hypothétique « clap de fin » pour réfléchir aux voies et moyens de « réparer les dégâts » causés par la pandémie de la COVID-19 et établir un programme pertinent de sortie de crise sur les plans économique, social et sanitaire. Gouverner, c’est prévoir.
Le programme que nous proposons est dénommé TUMBI-19 et se décline en dix-neuf (19) mesures et cinquante et une (51) actions. Ce programme se justifie d’autant plus que le Sénégal connaissait déjà une situation difficile avant la déclaration de la pandémie et devait de changer de cap.
Mesure 1. LOI DE FINANCES
1.1. Adoption, exceptionnellement, d’un Budget consensuel de Dix-huit (18) mois (juillet 2020- décembre 2021).
Mesure 2. CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL (CESE) ET HAUT CONSEIL DES COLLECTIVITES TERRITORIALES (HCCT)
2.1. Suppression du Conseil économique, social et environnemental et mise en place d’un Conseil d’Orientation de vingt-cinq (25) membres.
2.2. Suppression du Haut Conseil des Collectivités territoriales (HCCT) et mise en place d’un Conseil supérieur des Collectivités locales de quinze (15) membres.
2.3. Création d’un Fonds d’Investissement communal.
2.4. Adoption d’un nouveau Schéma d’Aménagement du Territoire.
Mesure 3. TRAIN DE VIE DE l’ÉTAT
3.1. Adoption d’un Programme spécial de réduction du train de vie de l’État et lutte contre le gaspillage avec notamment la réduction des déplacements à l’étranger, la fermeture et le regroupement d’ambassades, la standardisation des moyens de transport, la réduction des dépenses de fonctionnement, l’aliénation de certains biens immobiliers de l’État.
Mesure 4. ECHANGE RESSOURCES-INFRASTRUCTURES
4.1. Le mécanisme « Échange Ressources-Infrastructures (ERI) » consiste à autoriser à des investisseurs organisés en groupements l’exploitation de gisements de ressources naturelles identifiées et, en contrepartie, mettre à leur charge la réalisation d’infrastructures dont la liste est fournie par l’État.
4.2. Financement des infrastructures pour un montant de Quatre mille (4000) milliards FCFA par le biais de l’exploitation des ressources naturelles (et non l’endettement public) à travers ce mécanisme innovant, avec la participation de groupements d’entreprises sénégalaises et étrangères de travaux publics, de construction, d’assainissement etc.
Mesure 5. PARTENARIAT PUBLIC-PRIVÉ
5.1. Adoption de mécanisme de « Partenariat public-Privé (PPP) », marchands et non marchands, pour relancer les secteurs clés de l’économie et réaménager le territoire à travers la valorisation du foncier, des actifs miniers, pétroliers et halieutiques.
Mesure 6. EXONÉRATIONS FISCALES ET DOUANIÈRES
6.1. Adoption d’une nouvelle politique d’octroi des exonérations fiscales et douanières mettant l’accent sur leur utilisation pour l’incitation à l’investissement structurant et productif dans des secteurs clés limitativement énumérés et pour le remboursement de l’endettement privé commercial.
Mesure 7. ENTREPRISES SÉNEGALAISES
7.1. Appui des entreprises sénégalaises notamment les petites et moyennes entreprises pour réorienter leurs activités vers l’agriculture, la pêche, l’élevage et l’artisanat de soutien au tourisme.
7.2. Priorisation de la valorisation des chaines de transformation sur place (lait, viande, cuirs et peaux, huile, aliments de bétail, divers farines, conserveries de poissons, fruits et légumes, etc., pour l’autosuffisance alimentaire et la consommation locale, la réalisation des infrastructures de stockage, de transformation et de transport, la recherche et la formation professionnelle aux métiers y affairant.
7.3. Réalisation d’un pont de financement massif avec la garantie de l’État, notamment au profit des entreprises féminines, auprès des institutions bancaires, établissements de crédit et compagnies d’assurances.
Mesure 8. MÉNAGES
8.1. Soutien aux ménages à travers la réduction des coûts du loyer avec un système de compensation pour les propriétaires, la facilitation de l’accès à la nourriture, la disponibilité de l’accès à l’eau, l’électricité, la connexion et le transport à un coût réduit. L’instauration d’un minimum vieillesse et d’une Fonds de soutien aux personnes vulnérables (personnes à mobilité réduire
Mesure 9. DIASPORA
9.1. Particulièrement éprouvés par la crise de la COVID-19, aussi bien par la perte d’emplois et d’opportunités de travail, par des pertes humaines et une stigmatisation intolérable, nos compatriotes vivant à l’étranger doivent faire l’objet d’une attention particulière à travers la régularisation de leur situation administrative et économique et sociale, leur sécurité, la facilitation du retour et de la réinsertion.
9.2. Il convient surtout de lever des fonds pour le financement des projets des émigrés avec le levier constitué par leur important apport, à travers une société d’actions « DIASPORA S.A » à créer avec un compte courant initial de 300 milliards FCFA à libérer progressivement par les actionnaires soit le tiers des envois des émigrés au Sénégal.
Mesure 10. INDUSTRIE
10.1. Développement de l’industrie à travers l’instauration d’une obligation de transformer sur place une partie des ressources naturelles extraites et la promotion de la transformation des produits agricoles.
10.2. Relance de l’industrie culturelle à travers l’identification, la production, la promotion et les échanges des produits culturels et artistiques.
Mesure 11. ÉNERGIE
11.1. Réalisation des réformes et investissements nécessaires pour doubler la capacité actuelle de production de l’énergie en maintenant l’option du mix énergétique et en renforçant le réseau de distribution.
11.2. Un pourcentage de 2,5% du Budget de l’Etat doit être alloué chaque année aux investissements relatifs à l’énergie.
11.3. Institution, à travers une nouvelle loi d’orientation pour les énergies renouvelables, de zones d’installation prioritaire, de l’effacement par le biais du solaire pour les grandes industries, de l’exonération totale pour un obtenir 500 MW supplémentaires, de la libéralisation de la vente d’énergies renouvelables non produites par la SENELEC.
11.4. L’électrification rurale doit être renforcée et la priorité de la fourniture de l’énergie accordée à l’industrie.
Mesure 12. EMPLOI
12.1. Sauvegarde des emplois actuels par des mesures d’accompagnement des entreprises.
12.2. Promotion de l’emploi des jeunes à travers le développement industriel, la réorientation des activités des entreprises sénégalaises vers les secteurs à croissance inclusive, l’organisation du secteur informel et le renforcement du financement de la Délégation de l’Entreprenariat rapide (DER) et des Domaines agricoles communautaires (DAC).
Mesure 13. RÉGIES FINANCIÈRES
13.1. Réorganisation du schéma de collecte de l’impôt à travers une réforme consensuelle pour limiter les contraintes du système déclaratif, améliorer l’identification des contribuables (boucle fiscale), le recouvrement, une localisation adéquate de l’impôt pour élargir l’assiette dans le sens du projet « Yaatal » de la Direction générale des Impôts et Domaines et réaliser une plus grande équité fiscale.
13.2. Réalisation de l’interconnexion informatique de tous les acteurs (douane, impôts, trésor etc.) à travers une blockhchain, bloc fiscal. D’autres blocs aussi peuvent être initiés : bloc immobilier, bloc des agréments, bloc marchés publics, bloc comptabilité matières, bloc ressources naturelles etc.
13.3. Réorganisation des régies financières pour en faire le site pilote pour la réalisation du projet « SÉNÉGAL Intelligence Artificielle » à partir de l’agrégation de la masse de données disponibles et l’adoption de stratégies d’innovation en mettant à profit des expertises de l’ADIE, de GAINDE 2000 et des startups privées.
Mesure 14. INTEGRATION ECONOMIQUE
14.1. Renforcement du positionnement du Sénégal dans la sous-région ouest africaine à travers les échanges intracommunautaires, le développement du transport multimodal (rail, route mer, air), des télécommunications (satellites, etc.).
14.2. La synergie entre pays de la sous-région pour la transformation industrielle des minerais (fer, bauxite, cuivre, etc.) et des produits agricoles est une option à promouvoir.
14.3. Révision des schémas d’intégration en vue de renforcer la souveraineté économique, monétaire et énergétique.
Mesure 15. ÉDUCATION
15.1. Organisation de la reprise des enseignements à tous les niveaux, avec un rattrapage du quantum horaire perdu et l’organisation des examens indispensables, suivant un calendrier consensuel après avoir réuni les conditions optimales de sécurité sanitaire.
15.2. Lancement d’une réforme profonde de l’éducation portant sur un nouveau modèle éducatif proposant des solutions pertinentes aux questions essentielles qui secouent l’école sénégalaise notamment l’investissement à travers un Fonds de Relance de l’Education de 8000 milliards FCFA, la productivité, la formation des jeunes filles, la formation professionnelle, la fonction enseignante, le contenu des programmes, les langues nationales, l’éducation religieuse, l’intégration des daaras dans le système éducatif, l’adaptation du rythme scolaire etc.
Mesure 16. SANTÉ
16.1. Réalisation des infrastructures de santé nécessaires pour bâtir une carte sanitaire couvrant correctement le territoire national avec notamment la mise en place d’un réseau de polycliniques dans chaque département.
16.2. Le relèvement général du plateau médical et l’aménagement d’un réseau de véhicules médicalement équipés pour atteindre toutes les parties du pays.
16.3. Un accent particulier doit être mis sur la prévention en matière d’hygiène en général et, notamment en matière de prévention médicale.
16.4. Réorganisation du service d’hygiène avec un renforcement substantiel des moyens matériels et humains, le recrutement des auxiliaires de santé parmi les soldats en fin de formation initiale.
16.5. Une réforme profonde du système de santé est également nécessaire pour la formation du personnel médical notamment en matière de santé publique.
16.6. La recherche doit faire l’objet d’une attention particulière avec une dotation initiale de cinq (50) milliards FCFA. Un budget annuel de 600 milliards FCFA pour la santé publique doit être prévu pour au moins cinq ans.
Mesure 17. SÉCURITÉ
17.1. Renforcement du dispositif sécuritaire frontalier avec des postes mixtes ou juxtaposés entre la police, la gendarmerie et la douane.
17.2. Renforcement de la contribution de l’Armée nationale à la vie citoyenne et à la sécurisation.
17.3. Organisation d’un dispositif de surveillance des sites sensibles (centrales électriques, grandes industries, infrastructures de production et d’alimentation en eau, réseau de télécommunications etc.), des routes, ports et aéroports ainsi que des lieux de rassemblements.
17.4. Institution du label « GM7VI » de sécurisation sanitaire dans les commerces, restaurants, bureaux, usines, lieux de culte, et autres services accueillant du public, attestant qu’au moins sept (7) Grandes Mesures contre les Virus et autres Vecteurs de maladies ont été rigoureusement observées. Le nouveau Service d’Hygiène et de Sécurité sanitaire est chargé de la surveillance de la mise en œuvre de ce protocole.
17.5. Mise en place d’une nouvelle police municipale dans laquelle doit se fondre l’Agence de Sécurité de Proximité.
Mesure 18 : DEMOCRATIE
18.1. Adoption d’un calendrier électoral consensuel et précis. Organisation des élections locales proposée pour juin 2021. Aucun changement ne doit être opéré sur les dates des élections législatives prévues en 2022 et l’élection présidentielle de 2024.
18.2. Compte tenu du retard enregistré dans l’audit du fichier, organisation des élections avec un nouveau fichier électoral constitué de tous les citoyens en âge de voter et non frappés d’incapacité conformément au Code électoral (L.27). Organisation de périodes de révision-auto radiations et de mise à jour des changements personnels de situation.
18.3. Recherche d’un consensus sur les autres conditions de participation et d’organisation des élections dans le cadre du dialogue politique.
18.4 Respect par le pouvoir politique des droits et libertés notamment le droit de manifester sans aucune restriction politicienne et sans arrestations arbitraires.
Mesure 19. GOUVERNANCE TRANSPARENTE
19.1. Réforme de l’administration publique mettant l’accent sur la promotion du critère du mérite pour l’accès à la fonction publique et aux postes de responsabilité et sur la réorganisation du travail avec un recours aux technologies de l’information et sur la formation efficace du personnel.
19.2. Réforme de la justice en vue de renforcer son indépendance, accompagnée d’un renforcement des moyens.
Traitement diligent des dossiers en instance en justice notamment sur les questions liées à la gouvernance dans les affaires publiques et les litiges dans les affaires économiques pour rassurer les investisseurs et les citoyens.
19.3. Réorganisation des services de contrôle des finances publiques dans le cadre d’un regroupement des fonctions de prévention, de contrôle et de répression.
19.4. Réorganisation du commerce intérieur avec le rétablissement des stades de commerce, l’implantation des zones d’emplacement dédiées, en permanence ou provisoirement, la réorganisation des « loumas » (marchés hebdomadaires) et l’instauration de conditions d’exercice du commerce respectant les règles d’hygiène et de sécurité des consommateurs.
CONCLUSION
Le Programme TUMBI-19 couvre les cinq axes indiqués dans l’Appel de Kinshasa du 28 mai 2020, à savoir la relance de l’Économie, le sauvetage de l’Education, la Santé et l’Emploi, la sauvegarde de la Démocratie, l’intégration africaine et la situation de la Diaspora et, enfin, le renforcement de la Gouvernance transparente.
La cohérence d’ensemble du Programme TUMBI-19 repose sur la nécessité de réduire de façon significative l’endettement public en faisant recours à des financements alternatifs adossés à la valorisation des actifs constitués par les ressources naturelles (PPP et ERI), ce qui renforce les capacités d’intervention de l’État notamment dans le soutien aux personnes vulnérables. Ces mesures vont de pair avec la suppression de certaines institutions et la réduction du train de vie de l’État.
Avec le ralentissement inévitable des flux d’import-export, il convient également d’aider les entreprises sénégalaises à réorienter leurs activités vers des secteurs porteurs de croissance inclusive comme l’agriculture, la pêche, l’élevage et l’artisanat de soutien au tourisme, ce qui permet de promouvoir l’emploi et d’augmenter les revenus des ménages durement éprouvés par la crise sanitaire.
L’articulation entre le développement industriel et le renforcement du parc énergétique est proposée pour renforcer l’offre d’emplois notamment pour les jeunes.
Pour l’optimisation de la collecte de l’impôt, des réformes sont indispensables dans les régies financières (douane, impôts, trésor) en vue d’accélérer les procédures à travers la l’interconnexion et la dématérialisation, l’identification des contribuables et l’adoption de schémas adaptés de localisation du fait générateur de l’impôt.
Dans le cadre de l’intégration africaine ouest africaine, le Sénégal devra s’atteler à une meilleure utilisation de l’instrument monétaire et à renforcer les échanges intracommunautaires, le transport et les télécommunications. La crise de la COVID-19 a révélé la place centrale d’un capital humain épanoui dans l’économie réelle. Il convient donc de renforcer de façon significative les investissements dans l’éducation, la santé et la sécurité. La diaspora doit également être soutenue et ses atouts valorisés.
Enfin, la gouvernance transparente dans des secteurs sensibles comme l’administration et la justice contribue à rassurer les citoyens et les investisseurs.
Chaque mesure du Programme TUMBI-19, chaque action, fera l’objet d’un développement détaillé pour en indiquer le bien fondé, les retombées positives, les préalables et mesures d’accompagnement.
Fait à Kinshasa, le 3 juin 2020
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