Contribution
Vous avez dit “baisse des loyers“ ? (par Dalberg Research)
Ce document n’a pas pour visée de dénigrer la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014 portant baisse des loyers n’ayant pas été calculés suivant la surface corrigée. Au contraire, nous trouvons salutaire cette politique sociale dont l’objectif final est d’améliorer les conditions d’existence des citoyens sénégalais, en les allégeant du fardeau que constitue le coût du loyer dans les dépenses des ménages. En effet, nombreux sont les sénégalais qui s’affligent des restrictions drastiques au niveau des autres postes de dépenses (alimentation, énergie, eau, habillement, soins, etc.) pour pouvoir s’assurer un logement plus ou moins décent. De telle sorte que toute initiative pouvant contribuer à la baisse des coûts du loyer ne peut qu’être accueillie avec acclamation, comme cela a été le cas à l’assemblée nationale où la loi portant baisse des loyers n’ayant pas été calculés suivant la surface corrigée a été adoptée dans l’unanimité.
Nous ne reviendrons pas sur la problématique de la hausse des loyers, particulièrement à Dakar, dans la mesure où la majorité d’entre nous la connaissent très bien pour en avoir fait les frais. Seulement, dans ce document, il nous a semblé nécessaire de revenir d’abord sur des facteurs qui, selon notre propre analyse, ont contribué d’une façon ou d’une autre à cette tendance. Ensuite, nous passerons en revue la loi, afin de démontrer en quoi elle pose plus de questions qu’elle n’apporte de solutions ; pour enfin démontrer que finalement elle ne sera bénéfique qu’à une toute petite partie des locataires.
I/ La hausse tendancielle du loyer dakarois : un phénomène aux causes multiples
Si le coût du loyer a connu une hausse inflationniste dans la capitale sénégalaise ces dernières années, ce n’est pas seulement dû à la volonté des bailleurs ou propriétaires d’augmenter leurs revenus. Les lois du marché se sont purement et simplement appliquées dans l’immobilier – un secteur hautement concurrentiel et très peu régulé – pour plusieurs raisons :
• Évolution de la population dakaroise (millions d’habitants)
Évolution de la population dakaroise (millions d’habitants)
• La stabilité et l’ouverture du pays à l’international : le Sénégal est considéré comme le pays le plus stable de la sous-région ouest africaine attirant de ce fait une portion de plus en plus importante de populations étrangères. Des représentants diplomatiques aux travailleurs migrants ou expatriés, en passant par les investisseurs internationaux, les étudiants étrangers, les touristes, etc. le pays joue pleinement sa réputation de pays de la Téranga et cela ne manque pas d’avoir des répercutions au niveau des coûts du loyer surtout dans la capitale où la demande augmente plus que l’offre. Force est de reconnaitre que les opportunités dont ces populations sont à la recherche se concentrent davantage dans les grandes villes comme Dakar. Aussi, certaines des catégories d’étrangers vivant à Dakar ont d’une façon ou d’une autre un pouvoir d’achat supérieur à celui de la moyenne des dakarois, faisant donc en partie monter les prix du loyer surtout au niveau des zones résidentielles de haut standing comme Fann, Mermoz, Almadies, Point E, Ngor, etc.
• Les mutations récentes du marché immobilier : le potentiel grandissant de la location à courte et moyenne durée a quelque peu réduit l’offre de la location à longue durée pendant que la demande s’est très vite accrue dans ce sens. Les bailleurs animés par une logique de rentabilité leur permettant d’amortir rapidement leur investissement sont de plus en plus amenés à louer leurs appartements meublés à la journée au détriment des locations à longue durée facturées au mois. Egalement, le développement du secteur privé a favorisé l’explosion de la location à usage commercial (bureaux, boutiques, salons de coiffure, restaurants, pressing) réduisant relativement l’offre de la location à usage d’habitation. A cela s’ajoute la quasi disparition du logement social à Dakar au bénéfice des bailleurs privés individuels. Toutefois, le phénomène qui a le plus influencé la hausse des coûts du loyer reste ce que nous appelons l’allongement et la complexification de la chaîne allant du propriétaire au locataire. En effet, le boom de l’immobilier dakarois draine une multitude d’opportunités que tentent de saisir un certain nombre d’acteurs qui se fraient une place dans le marché. Nous prendrons ici comme exemple la prolifération des agences immobilières et du courtage informel. Ces différents acteurs de la chaîne de valeur de l’immobilier voulant chacun tirer son épingle du jeu finissent par faire répercuter la hausse des coûts sur le maillon final qui est le locataire. Entre les courtiers qui réclament une commission, les gestionnaires qui jouent sur les mensualités pour avoir plus de marge, et les agences qui parfois n’hésitent pas à demander trois (3) mois Évolution des besoins quantitatifs en logement (région de Dakar)
Évolution des besoins quantitatifs en logement (région de Dakar)
Les facteurs cités ci-dessus sont loin d’être exhaustifs mais peuvent être interprétés comme les moteurs de la hausse de la demande de logement dans la capitale sénégalaise et de facto de celle des coûts du loyer. En effet, selon les projections, il faudra plus de 280 000 logements supplémentaires d’ici 2025 pour absorber la demande dans la seule région de Dakar où la population devrait connaitre un surplus de près de 2 550 000 habitants durant la même période.
Il nous semble donc plus opportun de braquer les projecteurs de la critique sur la loi portant baisse des loyers, eu égard à ces tendances, et surtout en tenant compte des spécificités locales.
II/ La loi portant baisse des loyers : plus de questions que de réponses
Dans son article premier, la loi stipule qu’à compter de son entrée en vigueur, les prix des loyers des baux à usage d'habitation, à l'exclusion de ceux dont la fixation a été obtenue suivant la méthode de la surface corrigée, sont baissés ainsi qu'il suit :
• loyers inferieurs à 150 000 francs CFA : baisse de 29% ;
• loyers compris entre 150 000 francs CFA et 500 000 francs CFA : baisse de 14% ;
• loyers supérieurs à 500 000 francs CFA : baisse de 4%.
Le principe de cette loi reste indiscutablement pertinent et salutaire. Cependant son application risque, selon notre point de vue, de soulever plus de questions si elle se base sur les recommandations de la Commission de réflexion sur la baisse du loyer, dont quelques-unes sont revues ci-dessous :
• Baisser les prix des loyers de manière dégressive : cela ne risque-t-il pas de créer plus d’inégalités ?
Si nous prenons l’exemple fictif de deux locataires dont les logements respectifs sont à-peu-près du même type et se trouvent dans la même zone avec comme seule différence le fait que le premier paye 145 000 francs CFA et le second 150 000 francs CFA. L’application de la loi fera désormais payer au premier 102 000 francs CFA et au second 129 000 francs CFA soit une différence de 27 000 francs CFA entre les deux contre 5 000 francs CFA au départ. Des cas comme celui-ci seront très nombreux.
• Appliquer systématiquement les textes existants : qui va se charger de contrôler l’application de ces textes ? auprès de quelle institution ou autorité les plaintes seront-elles recueillies ?
Selon le porte-parole de la Commission de réflexion sur la baisse du loyer, « l’intérêt de la mesure est que ce n’est pas les agents du contrôle économique qui vont contrôler pour voir si les gens ont appliqué la mesure, mais c’est d’abord le locataire qui est le premier contrôleur. A la fin de ce mois, il doit retirer de son loyer le montant de la baisse. Si le bailleur n’est pas d’accord, il va à la police. » Le fait occulté par cette approche est qu’entre la plupart des bailleurs et des locataires, des relations de longues durée se sont installées que l’un ou l’autre ne voudrons jamais ternir, surtout ceux dont le loyer se situe au niveau des bornes inférieures des trois catégories retenues par la loi et pour qui la baisse ne serait pas très conséquente. Aussi, certains locataires n’ont pas vu le prix de leur loyer varier depuis un certain nombre d’années. Ceux-là auront donc un certain sentiment de loyauté vis-à-vis de leur bailleur et seront donc moins animés par la tentation d’appliquer la loi encore moins de dénoncer leur bailleur si celui-ci ne se prononce pas. Egalement, vue l’importance du parc immobilier dakarois, la police a-t-elle assez d’effectifs pour traiter au cas par cas toutes les éventuelles plaintes ?
• Recourir à la surface corrigée pour tout bail à usage d’habitation et la présentation d’un document, en faisant foi sont exigés dans toutes les affaires contentieuses, sous peine d’irrecevabilité : qui doit établir ce document ? Comment doit-il être fait ? Existe-t-il une trame à suivre ou des exemples types ? Le recours à la surface corrigée pourrait-il augmenter le prix du loyer dans certains cas ?
Si le document attestant du recours à la surface corrigée doit être élaboré par le bailleur, celui-ci n’a pas forcément les compétences requises pour le faire. Au mieux, il pourrait faire appel à un architecte ou à un technicien compétent. Ce qui impliquerait des coûts supplémentaires pour lui. Dans le cas où ce serait à l’agence d’élaborer ce document, faudrait-il d’abord que le bailleur ait recours à une agence immobilière dans la mesure où le recours aux services d’une agence immobilière n’est obligatoire que pour « les logements d’un certain standing » comme le stipule une des recommandations du rapport final de la Commission de réflexion sur la baisse des prix du loyer. Il ne faudrait pas non plus oublier le fait que la plupart des baux sont oraux et ne font objet d’aucun document signé par les différentes parties. En même temps, le caractère obligatoire de ce document – faisant état du calcul du coût du loyer selon la surface corrigée – dans les contentieux devrait normalement conduire à l’élaboration d’un modèle type que pourrait se procurer facilement tout locataire ou bailleur voulant déposer une plainte. Nous ne savons pas quelle en sera l’ampleur mais le recours à la surface corrigée pourrait bel et bien hausser le prix du loyer dans les cas où le bailleur avait auparavant sous-estimé la valeur locative de son bien. Dans ces cas précis la baisse attendue par les locataires deviendrait une hausse qu’ils ne sont pas moralement préparés à accepter même si elle est légalement fondée, preuve à l’appui.
• Supprimer le bail verbal : peut-on réellement supprimer le bail verbal ?
Le bail verbal est le contrat de location par défaut au Sénégal. Il est très rare de voir dans les autres régions du pays un locataire disposant d’un contrat formellement établi entre son bailleur et lui-même. Autre fait qui mérite d’être signalé, les agences immobilières sont presque absentes de ces régions et le rapport de la Commission de réflexion sur la baisse des prix du loyer n’en a absolument pas tenu compte quand elle recommande de rendre obligatoire le recours aux services d’une agence immobilière. Le bail verbal serait donc très difficile à supprimer de nos jours.
• Rétablir l’autorité de l’Etat : l’Etat ne met-elle pas la charrue avant les bœufs ?
L’Etat devrait, pour être plus efficace et avoir plus d’impact, agir à la source. Concrètement, il devrait mettre en œuvre et faire appliquer des initiatives de réglementation du secteur immobilier. L’effectivité des normes de construction, le retour à une politique de l’habitat social, la maîtrise foncière, etc. sont autant d’axes qui méritent d’être explorés avant l’adoption de cette loi. Des études techniques très poussées, ne se limitant pas seulement à Dakar et tenant compte de tous les paramètres, ainsi qu’une cartographie sociale des villes du Sénégal nous semblent primordiales pour mieux comprendre l’enjeu de l’immobilier avant d’entreprendre quelque action que ce soit. Comment l’Etat compte-t-il rétablir son autorité dans un secteur qu’il ne connait plus tout à fait pour l’avoir pendant longtemps laissé à la merci du marché ? Il devrait d’abord, à notre sens, essayer de mieux connaitre ce secteur ; en suite de le maîtriser ; pour enfin pouvoir le réguler.
III/ Une loi pour très peu de Sénégalais
Compte tenu de tout ce qui précède, la Loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014 portant baisse des loyers n’ayant pas été calculés suivant la surface corrigée risque fort de ne s’appliquer qu’à une infime partie des locataires : les locataires majoritairement dakarois, possédant un bail écrit à usage d’habitation, et dont la fixation du prix du loyer n’a pas été obtenue suivant la méthode de la surface corrigée.
Cette loi prête à confusion à cause du manque de communication et de concertation qui l’ont accompagnée et qui sont à l’origine de son interprétation pas tout à fait exacte par les populations qui espéraient automatiquement voir leur loyer baisser considérablement. Cette mauvaise interprétation de la loi pourrait être à l’origine d’une frustration collective, d’autant plus que celle-ci ne tient pas vraiment compte des spécificités bien sénégalaises. Les effets pervers en résultant seront surement nombreux et difficiles à tempérer.
Auteur: Dalberg Research (dalbergresearch.com)
6 Commentaires
Asterix
En Février, 2014 (19:09 PM)Messieurs les professeurs reflechissez à rendre les senegalais moins voleurs de milliards. C'est le sujet sur lequel il faut reflechir.
Dagana Ma Thia Waalo Ou Bien ?
En Décembre, 2024 (22:25 PM)James ki es ti ?????
Ozzyman
En Février, 2014 (19:23 PM)Le deuxieme danger est que cette loi risque d' eclater la bulle speculative immobiliere au lieu de la degonfler, pour presenter les chose de maniere imagée. Le danger etant de créer une crise non seulement dans le secteur mais dans d'autre domaines ou le foncier et utliser pour garantir l'investissement. De plus il etait constatable depuis 2012 une tendance baissiere sur les prix des terrains .3 eme ecceuil, a long terme maintenir des prix artificiellement bas alors que lepa demande depasse de facon exponentiel l'offre et le jour ou quelqunun voudra supprimer la loi il a interet a faire gaffe parce ce sera de la TNT
Maïmoune
En Février, 2014 (20:14 PM)Docker
En Février, 2014 (20:38 PM)Proprio
En Février, 2014 (23:30 PM)Dof Bi
En Février, 2014 (23:49 PM)Participer à la Discussion