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Pour son tout premier
long-métrage dans son nouveau costume de réalisatrice, la comédienne et
actrice Aïssa Maïga a traité du réchauffement climatique sous un angle
essentiellement humaniste et grandement féministe. La Française
d’origine sénégalaise et malienne, qui a pris le projet du film «
Marcher sur l’eau » (1h30, 2021) en cours, a réussi à s’en approprier en
y imprimant son identité et ses gênes. Le film est en compétition
officielle de la 27ème édition du Fespaco.
Il y a la figure féminine qui est omniprésente dans «
Marcher sur l’eau » qui traite du réchauffement climatique. C’est un
propos crypto personnel ou un message de genre ?
Le film raconte le quotidien d’une communauté, les Peulhs wadaabé
du Niger. Pour moi, c’était très important de parler des questions des
nomades du Sahel et plus généralement des populations sahéliennes face
au manque d’eau. J’ai voulu aborder ce sujet non pas avec un film
d’expert avec des voix-off et par lequel on va énormément apprendre par
des statistiques sur le réchauffement climatique, etc. Ce qui m’a
vraiment intéressé, c’est de mettre mon attention sur une communauté
avec des personnes à travers lesquelles le spectateur pourra
s’identifier. J’ai voulu aborder par le problème du manque d’eau
l’impact sur les enfants, sur l’école, la façon dont les femmes sont
frappées de plein fouet, etc. L’important a été que tout le monde soit
représenté. Maintenant, il est vrai que les voix féminines ont retenu un
peu plus mon attention. Notamment à travers le parcours des jeunes
filles et des mamans. Elles sont impactées de façon très frontale par le
réchauffement climatique, ne serait-ce que quand elles donnent
naissance ou qu’elles doivent faire les toilettes. Cette question est
cruciale chez elle.
Justement, dans ces questions, les femmes ont souvent été
alignées dans la partie des problèmes. Avec votre film, vous relatez
clairement leurs propositions. Quelle est l’idée qu’il y avait derrière
cette mise en scène ?
J’ai coécrit le film avec Ariane Kirtley, qui dirige l’ONG Amman
Imman avec laquelle on a travaillé autour de la question du forage. Au
moment où nous avons commencé à établir ce que pouvait être la narration
du film, mon regard a été celui d’une enfant de la diaspora africaine.
Mon père était malien, ma mère est une Sénégalaise, j’ai grandi en
Europe et j’ai toujours baigné dans cette culture multiple. Dans le
cadre de ces cultures, les femmes ont toujours eu, dans ma famille déjà,
un rôle hyper important. Elles ont toujours eu un caractère très fort
et ont été très engagées. C’est aussi cela que j’ai voulu montrer dans
le film : ces figures qui sont des héroïnes mais que nous ne sommes pas
très habitués à voir. Nous voyons souvent dans les films les problèmes
que les femmes subissent mais nous ne nous rendons pas assez compte
effectivement de leur rôle moteur. Dans cette communauté peulh wadaabé,
les femmes sont souvent amenées à quitter le village pour trouver des
moyens de subsistance, faire des tresses, vendre de la pharmacopée,
faire du ménage, être employées de maison dans les capitales des pays
voisins, etc. Pendant ce temps-là elles laissent leurs enfants au
village. Ce qui m’a encore plus intéressé c’est comment les enfants se
comportent quand leurs mamans ne sont pas là et que leurs papas partent
aussi avec les bétails dans les pâturages. Il était intéressant de voir
comment une jeune fille est mise à la tête de sa famille, tout ce
qu’elle doit endurer et ce à quoi elle doit faire face. Houlaye a 14 ans
quand ses parents partent et qu’elle doit prendre soin de la petite
famille tout en continuant à aller à l’école, l’approvisionner en eau,
s’occuper de ses petits frères et surtout garder le moral malgré le
manque qu’elle ressent. Donc, la question de comment rendre à l’écran
l’extraordinaire force que toute une génération doit mettre en œuvre et
la dignité du peuple sahélien était primordiale. Il y avait aussi la
beauté de ces populations qu’il fallait projeter car il n’était pas
question de projeter du misérabilisme. Elles ne sont pas des misérables
en réalité et ne font pas pitié. Je voulais simplement que les
spectateurs s’identifient aux personnages et qu’ils se demandent ce
qu’ils feraient s’ils étaient à leur place. J’ai utilisé les moyens de
la fiction pour faire du documentaire.
Comment avez-vous réussi à repérer les personnages, et
surtout celui d’Houlaye ? Et comment vous vous êtes pris pour tenir
toute cette charge émotionnelle ?
Les repérages ont été fait par Guy Lagache, le réalisateur qui
devait faire ce film à l’origine. A l’époque il a été nommé à la tête de
Radio France et a dû quitter le projet. Le producteur m’a ensuite
contactée et proposé de continuer le projet. Je me suis demandé en ce
moment comment raconter le réchauffement climatique. On en entend tout
le temps parler et on en est stressé. C’est angoissant de voir des
espèces animales s’éteindre et que 2,2 milliards de personnes n’ont pas
accès à une eau potable. Donc j’ai choisi de raconter l’histoire de
personnes dans un village qui sont des véhicules d’une émotion et sont
les meilleurs ambassadeurs de leur propre histoire. Guy Lagache avait
fait les repérages dans plusieurs pays et le Niger, notamment le village
de Tatiste avait retenu son attention. Quand on m’a remis le projet,
j’ai été très attirée par ce qu’on m’a raconté de ce village et des
personnes qu’on y a rencontrées. Du coup, le film est un vrai
documentaire car ça parle de leurs réalités. En même temps, étant
actrice et habituée de la fiction, j’ai mis à profit les outils de
narration pour construire une dramaturgie. C’est ma sensibilité.
L’éducation d’un peuple a brillamment transparu à travers
le personnage de l’enseignant et la veillée de contes. Quelle est
l’importance que vous accordiez à l’entame à ce sujet ?
Mon grand-père mort avant ma naissance est quelqu’un dont j’ai
beaucoup entendu parler, notamment sur la question de l’école. A
l’époque, dans les années 1950, il n’était pas question pour un
personnage de son rang d’envoyer sa progéniture à l’école. Mais il a
choisi d’inscrire ses enfants à l’école car il voulait qu’ils
comprennent les outils culturels des autres afin de s’émanciper dans la
vie. Cette question de l’école a donc beaucoup apporté à la famille. Mon
père était journaliste et homme politique. Il avait voyagé à travers le
monde et avait certains engagements. C’est l’école qui le lui a permis.
Tout ceci est un peu mon héritage. Raconter la question de l’eau
c’était aussi forcément raconter comment cela impacte la scolarité des
enfants. Les peulhs wadaabé sont des peuples nomades qui restaient
ensemble quand ils n’étaient pas encore face à ces contraintes du
réchauffement climatique. Aujourd’hui ils sont forcés de se sédentariser
et se saisissent dans ce contexte d’un outil, qui est l’école, pour
garantir à leurs enfants une perspective. Mais ce qu’on constate est que
la question de l’eau est devenue tellement difficile que les enfants
sont obligés continuellement de quitter la classe pour aller marcher des
kilomètres pour les corvées d’eau. Ce qui m’a intéressé c’était aussi
que nous nous mettons à la place de cet enseignant qui est vraiment
passionné, vivant et sait embarquer sa classe par son envie et son
charisme. Ensuite il y a tous les âges dans sa classe. Ce qui est très
frappant c’est de voir que, malgré la détermination des parents à
scolariser les enfants et la volonté de ceux-ci d’y rester ainsi que la
dévotion du maître, la question de l’eau plombe le développement de
l’école et la scolarité normale.
Quelle a été la température émotionnelle quand le forage s’est mis en marche, chez la population et l’équipe technique ?
La question du forage a été là dès le début du film. Ce dernier a
été produit dans l’idée de montrer le problème de l’eau mais aussi les
solutions qui peuvent exister. Le forage est un exemple et l’Ong Amman
Imman a mis longtemps pour réunir les fonds. C’était très difficile, et
la production et moi-même avons beaucoup aidé à chercher des
financements. Honnêtement nous n’avons jamais été sûrs que le forage
allait se réaliser. Quand alors d’un seul coup et après tout ce temps
d’incertitude et de batailles l’eau jaillit enfin, l’émotion était juste
énorme. Il faut savoir que les travaux du forage ne sont pas totalement
terminés. L’infrastructure n’est pas seulement destinée qu’au village
de Tatiste. Elle est multi village et demande des travaux pour
construire toutes les canalisations pour relier plusieurs dizaines de
kilomètres. J’espère que ce sera bientôt totalement abouti avec l’appui
du gouvernement du Niger. Mais oui, le démarrage a soulagé les deux
parties. Au-delà de la disponibilité de l’eau, le forage est un point
d’ancrage qui permet de développer plusieurs projets de santé, pour
soutenir la mère et l’enfant, abreuver le bétail, développer des
cultures, etc.
Ne seriez-vous pas l’aboutissement de la volonté de votre
grand-père de scolariser sa famille, de l’émanciper, l’inscrire dans les
cultures du monde et de lui faire jouer sa partition dans la
transmission ?
Ce regard me touche beaucoup. La question des héritages
immatériels, invisibles, de ce qui transmet d’une génération à une autre
m’intéresse grandement. Cette transmission peut s’effectuer quand les
gens sont vivants, à travers l’éducation, les contes, les discussions,
etc. Ça se transmet aussi par-delà la mort. Mon père est mort quand
j’avais 8 ans, dans des circonstances qui ne sont jusque-là jamais
élucidées. On sait juste que c’est lié à son engagement politique en
tant que journaliste. Il m’a inspiré. En tant qu’actrice, il a toujours
été question de donner du sens à ce que je fais. Effectivement ce film
est hanté par toutes ces parts d’héritage. Quand je filme les paysages
du Sahel, quand je filme la beauté peulh qui me rappelle ma grand-mère,
quand on capture les silences et les émotions, c’est une réalité qu’on
filme mais tu sais que ce que tu sens vient de quelque part. Mon regard
se construit à travers ces héritages, et même les manques. Tout de même,
quoique j’aie une expérience de comédienne de 25 ans, je suis une toute
jeune réalisatrice. C’est mon tout premier long-métrage et je suis
encore en train de chercher ce que j’ai à transmettre.
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