
La poésie est un genre littéraire qui est soumis à une prosodie particulière, variable selon les cultures, selon les époques, mais qui cherche toujours à mettre en valeur le rythme, l’harmonie et les images. Pourtant, la poésie incarne la liberté, une possibilité de paroles, une intimité avec les mots, une liberté de forme qui a à voir avec le sacré. Comme le précise Frédéric Ozanam à propos de Dante « La poésie, à sa plus haute puissance, est une intuition de l’infini : c’est Dieu aperçu dans la création, l’immuable destination de l’homme présentée au milieu des vicissitudes de l’histoire ».[1] Du latin poesis, la poésie est aussi synonyme de création, de fabrication, elle est un art que l’on cisèle tel un orfèvre.
Après son premier recueil prometteur À tire d’Elles, Pape Samba Kane revient en poésie avec un nouvel essai qui s’inspire du précédent, tout en se dotant d’une nouvelle terre lyrique. Proche de la poésie homérique, Pape Samba Kane nous entraîne sur les traces antiques qui honorent les mythes de l’amour et de la beauté.
« Une goutte de rosée
Sur mon front se répandant
Inonde mes paupières closes
Sous mes cils s’est immiscée
Rafraîchissant mes yeux
Qui éclosent » […]
Sur les rives des terres originelles, Pape Samba Kane revisite la poésie épique, la parole ancestrale pour ouvrir les chants de l’horizon. Ses récits deviennent alors des métaphores du tissage du temps. De cette poésie qui alterne allégorie, histoire et mouvement, Pape Samba Kane fait éclore une poésie moderne et renaissante.
« L’air toujours triste toujours pas navrant
Quelque chose de majestueux dans l’ennui
D’une majesté sans couronne prétentieuse
Comme Alinn Jaata la Précieuse
Et si la tristesse était la beauté
Des déesses forestières dans Babylone
La rieuse frivole »
Au passage, certains vers nous évoquent une autre poésie, celle de notre patrimoine culturel, une nouvelle fois revisitée. Devant nous surgissent les rimes de Birago Diop. De cette beauté intemporelle s’expriment l’amour du verbe, l’amour des mots.
Ferme les yeux
Et écoute les frissons du vent
De la mer et des arbres
Écoute les tornades volubiles d’averses chaudes
Et les tonnerres qui explosent d’intempérance
Entends-tu les beaux poèmes
Dissimulés dans les chants des oiseaux
Tout comme le poète se réapproprie la poésie amoureuse de David Diop, à travers les « coups » de foudre faits à Rama Kam, en la temporisant, en la recomposant en un chant slamé, rythmé qui se rapproche de notre temps.
« Et je t’aime comme David
Rama Kam
Quand tu danses le tam-tam
Comme aime Rama Kam
David
Quand elle danse
Le tam-tam »
Dans un autre passage, il chavire avec sa muse en faisant d’elle une alliée, une poétesse pour l’éternité.
« Je t’aime dans les temps
Je t’aime hors du temps
Hors du temps
Et sans repos
Tant pis
Si même trop
C’est comme ça
Je t’aime »
Ainsi, Pape Samba Kane poursuit sa quête poétique et amoureuse qui nous dit bien plus que les angoisses voluptueuses. Les dieux de l’amour et du temps se chevauchent dans une nouvelle poésie romantique qui interpelle les êtres dans ce qui demeure essentiel. Des poèmes en variation qui rythment les pages comme une musique libre et anaphorique.
« Cher ami amoureux, n’as-tu jamais
Rêvé gravir des montagnes, toiser
Des monstres, battre Aramis en duel,
Pour, et seulement, un regard d’elle ; […]
Si cher lecteur, mon semblable mâle
Avant de me juger, souviens-toi,
N’as-tu jamais été frappé de stupeur,
Étonné, charmé,
N’as-tu jamais été comme porté sur un nuage » […]
Ainsi la poésie de Pape Samba Kane nous transporte dans des ciels de rêves, des ciels de créativité renouvelée. Elle nous chante comme un dictame ce qui est beau, ce qui doit demeurer sur la terre des hommes. La poésie est un baume pour tous les maux du cœur et de l’âme. Car avec les mots, comme le dit Pape Samba Kane, les poètes sont les vraies gens du monde.
La poésie de Pape Samba Kane est proche de la définition de Stéphane Mallarmé qui écrivait : La poésie est l’expression, par le langage humain ramené à son essentiel, du sens mystérieux des aspects de l’existence : elle donne ainsi authenticité à notre séjour et constitue la seule tâche spirituelle.[2]
De cette poésie lumineuse, nous sommes saisis, comme une ode à la puissance des symboles, des chants rythmés, de la poésie ancestrale qui a bâti nos mondes d’harmonie et de splendeur. La lecture du recueil Femme écarlate de Pape Samba Kane s’inscrit dans une poétique de l’esthétisme, en des intervalles cadencés qui nous rappellent l’immanence des espérances originelles.
Amadou Elimane Kane, écrivain, poète
[1] . Stéphane Mallarmé, Correspondances, 1884, p.266
[1] Frédéric Ozanam, Philosophie, Dante, 1838, p.78
NDLR : deuxième recueil de Pape Samba Kane, publié aux Editions Lettres de Renaissances, Paris,après A Tire d’Elles, Femme Écarlate sera en vente à Dakar à partir de la semaine prochaine.
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