« Mon sang portugais s’est perdu dans la mer de ma Négritude », dit Senghor dans « Élégie des Saudades ». En rappelant ces vers du président-poète, le Pr Ibrahima Thioub, recteur de l’Ucad a revisité les relations multi séculaires entre l’Afrique et le Portugal.
La langue portugaise a été introduite, dès 1960, dans l’enseignement secondaire et plus tard, en 1972, dans l’enseignement supérieur, avec la création de la section de portugais au département de Langues romanes à la Faculté des Lettres et sciences humaines, a rappelé, hier, le Pr Ibrahima Thioub, en prononçant son discours de bienvenue au président Rebelo de Sousa. L’historien a campé d’abord le contexte des luttes de libération nationale des anciennes colonies portugaises d’Afrique, la Guinée Bissau et le Cap-Vert, en l’occurrence, pour évoquer l’histoire récente. « Le Sénégal, sous le magistère du président Senghor, faut-il le rappeler, a soutenu les peuples guinéens et capverdiens dans la lutte pour l’indépendance, contribution majeure à la révolution des œillets de 1974 qui fit entrer le Portugal dans une ère nouvelle », a souligné le recteur. Dans le même moment, se mettait en place la coopération universitaire entre le Sénégal et le Portugal, par le biais de l’Institut Camoes qui assure, jusqu’à ce jour, le programme du lectorat de portugais à l’Ucad.
Selon le Pr Thioub, « cet héritage de la culture lusophone s’est construit à travers des liens historiques de très longue durée ». Historien de formation et spécialiste de l’esclavage, l’ancien chef du département d’Histoire de la faculté des Lettres et sciences humaines pouvait valablement se prononcer sur « Le Portugal et l’Afrique ».
Du Sénégal au Guadalquivir
D’après le recteur, « contrairement à une idée reçue, la circulation des personnes et des biens entre la péninsule ibérique et l’Afrique subsaharienne est largement antérieure à l’ouverture de l’Atlantique ». Dès le VIIIe siècle, avec l’expansion de l’empire arabe en Afrique du Nord, les tribus berbères désignées sous le vocable portugais d’Alformas fournissent de l’or et des contingents d’esclaves subsahariens à l’Europe ibérique. Le flux ininterrompu atteint son apogée au XIIe siècle, avec l’ouverture d’une voie transcontinentale qui relie les rives du Sénégal et du Niger à celles du Guadalquivir dans l’Espagne musulmane.
« L’économie mercantile qui ouvre l’Atlantique au XVe siècle n’interrompt pas cette migration des Sénégambiens vers la péninsule ibérique ; elle inaugure, en retour, l’arrivée massive de ressortissants portugais, en majorité de confession juive, fuyant la persécution religieuse, en Sénégambie », renseigne le Pr Thioub. « Désignés sous les vocables de lançados, tangomaos, brancos da terra ou filhos da terra, ils jouent le rôle central d’intermédiaires entre les sociétés sénégambiennes et les marchands portugais. Séparés politiquement de la mère patrie, vivant au sein de sociétés africaines reconnaissantes de leur liberté économique et religieuse, ils y développent un métissage biologique, culturel et social, qui aujourd’hui encore, informe les langues, l’anthroponymie et la toponymie de toute la Sénégambie », souligne l’historien.
Il fait remarquer qu’outre la langue créole, « véritable lingua franca de Ziguinchor à Bissau », les vocables de Cabrousse pour Cabo Roxo, Pointe Sarène pour Ponto Sereno, Rufisque pour Rio Fresco, ressortissent du patrimoine linguistique luso-africain, sénégambien, inscrit dans la longue durée. Ainsi, les patronymes Dasilva, Corréa, Senghor, Mendy et Gomis, résonnent naturellement de leur « lusitanité » non équivoque. Les vocables sangria, chave, caldeira ont donné, dans la quasi-totalité des langues de la Sénégambie, sangara, caabi et kawdir. Sur cette lancée, il estime que la langue portugaise comporte certainement autant d’emprunts des langues sénégambiennes. Insistant sur ce métissage, le recteur a montré que « cette hybridation multiforme nous indique clairement que l’histoire de la Sénégambie ne peut s’écrire sans les sources portugaises, d’une incroyable richesse sur notre passé commun ». Pour le recteur, « les efforts de traduction doivent être poursuivis mais rien ne vaut l’accès direct aux sources par la langue elle-même ». C’est là, selon lui, une raison majeure de développer l’étude du portugais au Sénégal. Le Pr Thioub a saisi l’opportunité de la cérémonie pour rendre hommage à l’artiste Vhils, Alessandro Farto de son vrai nom, en véritable scribe des temps modernes, qui a immortalisé, sur la façade sud de l’immeuble de l’Ifan, C. A. Diop, « le visage rassurant du pharaon de l’égyptologie, parrain de notre université ».
2 Commentaires
Anonyme
En Avril, 2017 (19:04 PM)Anonyme
En Avril, 2017 (20:26 PM)Or, la casamance telle qu’elle existe géographiquement n’a jamais existé comme une région autonome. C’était plutôt une zone occupée par diverses ethnies qui consistent en autant de nations avec des mœurs, cultures et religions différentes, comme du reste tout le sénégal et l’afrique .
La casamance comme région, on la doit à la colonisation française qui l‘a intégrée dans la colonie du sénégal. Son nom nous est venu du portugais casa di mansa (maison du mansa, le mansa étant un roi mandingue, preuve que cette zone était dominée par les mandingues qui , actuellement n’ont jamais demandé l’indépendance).
Il n’existe aucun mot diola ou balante ou socé qui désigne « casamance ». Chacune de ces ethnies ayant, certes, un terme pour désigner son village mais pas la zone qui, administrativement, n’existait pas.
Avec l’indépendance, la colonie du sénégal (incluant la casamance) est devenue un état, c'est-à-dire, celui dans lequel nous vivons actuellement.
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