Ce dimanche, une partie de la collectivité lébou intronise Abdoulaye Makhtar Diop comme Grand Serigne de Dakar. Un choix contesté par l'autre camp qui considère que Ibrahima Diagne est le successeur légitime qui doit diriger la communauté. Ce n'est pas la première fois que les Lébous, qui font partie des premiers habitants de Dakar, font face à une telle division. Dans cette enquête, "Le Soleil" revisite l'histoire de ce peuple qui, depuis plusieurs siècles, a marqué le Sénégal et sa capitale.
ORIGINES : Des clairières nilotiques à la longue odyssée vers Dakar
Tout concourt, sur la question des origines, à créditer cette thèse, selon laquelle les Wolofs lébous seraient venus du Nord-est avant de s’installer sur cette région ouest-septentrionale du Sénégal, empruntant le même itinéraire que les Sereer qui, sous la pression des invasions almoravides, ont poussé plus vers le sud, dans les marécages du Sine et du Saloum.
Dans son ouvrage « Nations nègres et cultures », l’éminent historien Cheikh Anta Diop s’efforce, à l’aide d’un certain nombre d’arguments linguistiques, sociologiques et historiques, de montrer que les Wolofs lébous viennent des berges du Nil. Ils y auraient contribué activement au rayonnement de la grande civilisation de l’Egypte pharaonique avant de se diriger vers l’Ouest par vagues de migrations collectives qui les auraient fait transiter par le Sahara. Cette région était alors, non pas l’immense désert qu’il est devenu, mais une zone fertile. L’espace traditionnel des Wolofs lébous ne correspond pas exactement à l’emplacement actuel de cette ethnie dans la nouvelle distribution géographique consécutive à l’implantation coloniale. Il s’étendait sur la quasi-totalité de la partie nord-occidentale de la Sénégambie, allant d’ouest en est, de la bordure de l’océan atlantique aux confins du désert du Ferlo et du sud au nord de la latitude de Jurbel jusqu’au-delà de la rive gauche du Sénégal.
Il comprenait, outre les royaumes vassaux du grand empire du Jolof (Kajoor Baol) qui s’était constitué en très forte unité politique autour de la province qui porte le même nom, toute cette région à cheval sur les berges du fleuve Sénégal et dont la limite septentrionale s’éloignait jusqu’à 60 km environ dans l’actuel territoire mauritanien sur une ligne allant de la mer jusqu’aux alentours du lac de Rkiz où se situe le village de Xoomak, région correspondant au Waalo des origines et qui constitue « le noyau le plus ancien dans l’aire du peuplement wolof », selon l'historie Boubacar Barry.
Wa-Lof ou les gens de Lof
On ne peut comprendre l’histoire du peuple wolof-lébou que par référence à l’ensemble soudano-tekrourien qui l’englobait et où ont dû coexister, pendant longtemps, des Etats que le contexte géographique (pays au carrefour des voies commerciales transsahariennes, à la portée des influences maghrébines, atlantiques et intérieures) semblait exposer à des « processus permanents de dislocation ». Selon Pathé Diagne, les Wolofs « tiennent leur nom de la langue qu’ils parlent. Cette langue elle-même (empruntant) sa dénomination au pays du Lof », une ancienne province du Waalo dont les populations se faisaient appeler wa-Lof ou les gens de Lof, d’où le mot wolof.
La « nation » wolof-lébou apparaît aujourd’hui comme une entité qui, par delà les particularités locales des différents rameaux qui la composent (Waalo-Waalo, Saloum-Saloum, Ajoor Ajoor, les Lébou, les Njambour-Njambour, les Baol-Baol, etc.), présente les mêmes traits physiques et une langue commune. D’un groupement à un autre, on retrouve presque partout, chez ces populations, les mêmes modèles sociaux, le même sens aigu des relations sociales et à quelques variantes près, les formes identiques de croyances.
Dëkk raw, la presqu’île mythique
Le caractère controversé et complexe de l’origine de la société wolof-lébou fait qu’elle est souvent considérée comme un amalgame d’ethnies diverses (Serère, Sarakholé, Peul, Toukouleur, etc.) dont le brassage à l’intérieur de cette zone qui favorisait les interactions culturelles, devait aboutir à sa constitution. Pathé Diagne faisait remarquer, à ce titre, que cette société représentait « la meilleure expression de l’hétérogénéité culturelle qui caractérise l’espace soudano-tekrourien », hétérogénéité qui dénote, selon lui, d’un « héritage commun qui atteste une continuité réelle ».
Jean Boulegue, dans un article intitulé « Les pays Wolof et Sereer dans le monde du moyen-âge », distingue deux phases différentes dans l’évolution du peuplement mandingue dans l’espace sénégambien. Il y a, selon lui, une première rencontre qui remonte à l’installation du groupe wolof-sereer de ce pays (ce qui confirme la thèse unanimement admise par les diverses traditions orales selon laquelle, ceux-ci ont été précédés dans cette région qu’ils occupent aujourd’hui encore). Cette première rencontre distinguait, d’après Boulegue, très nettement de l’implantation de populations malinké consécutive à l’expansion de l’empire du Mali, à son apogée. Cette dernière phase est supposée contemporaine à la naissance de l’empire du Jolof qui devait subir, du moins, au niveau de ses provinces septentrionales, une très grande influence de la part de ce rameau de peuple venu de l’ancien empire du Gaabu. Selon certaines sources orales traditionnelles, l’appellation des Wolofs viendrait du nom du fondateur du premier village sédentaire de cette région du nom de Jolof Mbing qui lui-même était mandingue d’origine.
Selon ces mêmes sources, ce sont également ces peuplades socé qui auraient engendré les premiers propriétaires terriens ou laman qui ont eu également à jouer un rôle politique prépondérant dans la dislocation même de l’empire du Jolof. Puissants possesseurs fonciers, fiers de leurs nombreuses richesses et de leur esprit d’indépendance, ils seront également les premiers à se soulever et à se rebeller contre l’autorité impériale, avant d’écraser sous la direction d’Amary Ngoné Sobel, ses troupes démobilisées et affaiblies par des querelles intestines et des conflits de dynastie.
Il ressort donc assez clairement que c’est du côté de ce « royaume amphibie », dont parlait l’autre, pour désigner la Walo, qui était, selon l’historien Boubacar Barry, « un lieu privilégié de convergences de divers peuples nomades ou sédentaires » qu’il faudra nécessairement se tourner pour apprécier, à leur juste valeur, tous les faits liés à l’histoire de cette société wolof. Cette partie du Sénégal en constitue indéniablement un des noyaux les plus anciens.
Moustapha SENE
Entre mer, imaginaire et syncrétisme religieux
Un dispositif symbolique fait de l’homme la référence absolue et de l’eau, une valeur-refuge. Chez les « peuples d'eau » que sont les Wolofs- Lébous des Niayes et de la presqu’île du Cap vert, il existe un imaginaire collectif bien structuré articulé à une vision écologiste du monde où toute l'architecture du système de représentations repose sur le concept de « Nit ». C'est-à-dire de l’homme ou plus exactement de la personne humaine en tant que référence permanente du dispositif de pensée et noyau dynamique d'un réseau de participations. Et ceci exactement comme dans cette théorie « de la chaîne et de l'échelle » dont aimait à parler le Pr Jacques Brengues et que son collègue, Michel Cartry a bien systématisée pour qui, l'individu dans ces sociétés africaines, comme les nôtres, est toujours et d'emblée située en un ou plusieurs points d'une chaîne des ancêtres ainsi qu’en plusieurs lieux du Cosmos ou de son environnement naturel. En même temps qu'il est marqué dès sa naissance ou avant sa naissance par quelques signes originaires qui orienteront sa destinée.
Analysant, dans une éclairante communication au Colloque de l’ISE de 1983, les éléments d’ethno-histoire et d’histoire qui ont présidé à la formation du peuplement actuel des alentours du Lac de Guiers, l’anthropologue – environnementaliste Cheikh Ibrahima Niyang notait que : « Ainsi ce sera par l’eau, le fleuve, que les Wolof seraient arrivés au Walo. A travers beaucoup d’autres aspects de leur vie et de leur mythologie, on retrouve une référence quasi-constante à l’eau, que ce soit celui du lac de Guiers, du fleuve Sénégal ou des marigots du Delta. C’est peut-être pourquoi Robin (1945) a pu dire du Walo que c’était un « royaume amphibie ». Selon Cheikh Anta Diop, le mot « wolof », lui-même, viendrait de « Walaf » qui littéralement veut dire : les gens du bord de l’eau. »
Niyang, le chercheur continue : « D’après les mythes recueillis à Gnith, les génies (Tamb en Wolof) de plusieurs familles se trouvent dans les eaux du lac, ce qui explique des nouveaux nés y soient plongés puis retirés et portés en l’air dans un geste qui évoquerait l’émergence de l’homme à partir de l’homme aquatique. Tel fondateur de tel clan de pêcheurs est présenté comme génie des eaux qui prit une forme humaine, le protecteur de tel autre clan est un cheval à huit pattes qui réside dans le lac, qui réapparaît ou agite les eaux quand le besoin se fait sentir. Mais ce n’est pas seulement avec l’eau que les hommes tissent des relations symboliques profondément ancrées dans leur univers culturel ; il en est de même avec la faune, la végétation ou l’environnement naturel. La relation apparaît, de manière manifeste, dans une analyse du totémisme wolof. »
C’est dire que, pour les Lébous, les marais et les lacs des deltas et estuaires qui étaient nombreux dans cette partie Sénégal des Niayes avant que ne soit consacré, avec l’avènement de Dakar, le règne du béton, ces zones humides côtières ne font pas qu’accueillir une faune terrestre aviaire et aquatique, sédentaire ou migratrice dont la survie est fortement liée à la présence de l’eau et des ressources alimentaires qu’elles renferment, elles abritent aussi et surtout des sites sacrés. Ce qui donne à comprendre, sur cette fonction intangible qui leur est associée et que le 6eme Congrès de Durban (en Afrique du Sud) de l’Union internationale de la Conservation de la nature (Uicn) a consacré sous le vocable d’« Eco-cultures » dont les mythes et rites et nombreux autres proverbes et récits sacrés portent les traces.
M. SENE
Les 12 Pinthies de Dakar, une véritable organisation sociopolitique
L’histoire des Lébous se confond avec les 12 Pinthies ou quartiers traditionnels. La région de Dakar est administrée par 12 Pinthies avec des Ndiambours qui sont délégués pour l’élection du Grand Serigne. Ce qui fait un total de 36 dignitaires. Dans chaque Pinthie, on retrouve un chef plus connu sous le nom de « Borom dekeubi ». Il s’agit de 12 sous-groupes sociaux.
Les douze Pinthies ou quartiers traditionnels de Dakar étaient tous situés d’abord dans le Plateau, au centre ville. C’est par la suite que certains ont été déplacés vers le quartier de la Médina pour céder les surfaces occupées à l’administration coloniale qui y installa des infrastructures comme le Palais du Gouverneur général de l’Afrique occidentale française (Aof) devenu Palais présidentiel à l’indépendance en 1960.
Aujourd’hui, il arrive de voir un Pinthie établi au Plateau et en même temps à la Médina. Il ne s’agit pas d’une doublure. C’est le cas pour Diécko, Gouye Salane, Mboth au Pont de la Gueule Tapée d’où le nom de Mbotty Pom (littéralement Mboth gui ci pom bi) et Khocc. Ce transfert de certains Pinthie a été causé par l'épidémie de peste qu’avait connue l’ancienne capitale de l’Aof.
Même si des Pinthies sont installés à la Médina, les représentants des familles authentiques de ces quartiers ont maintenu leur base affective au Plateau. Ils se retrouvent à tous les grands événements religieux comme les fêtes de Tabaski, de Korité et surtout de Tamkharite, ou autres événements familiaux comme les funérailles, les mariages et baptêmes. Ils reviennent pour partager avec la base affective les événements. Les 12 Pinthies occupaient des places comme celles qui abritent le siège de la Bceao, la Cathédrale de Dakar, le Palais présidentiel, le site du ministère de l’Intérieur, etc. D’ailleurs, l’Archevêque de Dakar, le Cardinal Monseigneur Théodore Adrien Sarr, avait rappelé, lorsqu’il présentait les condoléances de l’Eglise à la famille du Grand Serigne Bassirou Diagne Marième Diop, que ce sont les Lébous qui ont permis à la communauté catholique de s’installer. Depuis, une complicité existe entre ces deux communautés.
Un Pinthie, une pratique
Chaque Pinthie lébou se caractérise par une pratique très reconnue. Par exemple, à Kayes Findiw, les Mbengues soignent les maladies de la sphère Orl (oreille, nez, gorge...). À Thieurigne, on pouvait retrouver des spécialistes du Coran d’où le nom de Thierigne (Serigne ou maître coranique), mais également le guérisseur de la fièvre jaune qui reçoit tous les jours des patients. Les Samb se retrouvent à Yakh Dieuf, les Ndoye à Gouye Salane, les Guèye à Khocc, les Paye à Mboth. Les six Pinth (quartiers traditionnels) déplacés parmi les douze qui étaient au Plateau sont : Santhiaba, Ngaraaf, Kayes, Ousmane Diène, Diécko et Mbotty Pom.
Selon l’enseignant et historien lébou, Ndiaga Samb, les 12 Pinthies ont joué un rôle important dans l’histoire des Lébous. Celui de Mboth est actuellement situé entre la gendarmerie Thiong, les rues Raffenel, Mbaye Guèye et une partie de Paul Holl. Le Pinthie de Thieudème, qui a vu naître Ngoné Mbengue Yayou Dial Diop, premier Grand Serigne de Dakar, se trouve entre les rues Mbaye Guèye, après le marché Sandaga, et entre l’Hôtel des députés, une partie de la rue Paul Holl, Fleurus et l’avenue Emile Badiane. Celui de Yakh Dieuf qui compte un sous-quartier, Yakh Dieuf Souf, aux rues Paul Holl et Liban, occupe les rues Ngalandou Diouf, Fleurus, Diaraf Modou Assane Paye et Ely Manel. Ce Pinthie est frontalier de Gouye Salane Plateau situé entre les rues Liban, Ngalandou Diouf, Ely Manel Fall et l’Avenue Lamine Guèye. On retrouve aussi Gouye Salane à la rue 39 à la Médina, au célèbre quartier Angle Goumba.
Une partie du Pinthie de Khocc est devenue Fann Hoc, avec la création des premières habitations de la Sicap à l’ère coloniale, et une autre est à Colobane, entre la Gendarmerie nationale et l’autoroute. Khocc authentique, précise Ndiaga Samb, se trouve entre les rues Wagane Diouf, Ngalandou Diouf, Lamine Guèye, Saint-Michel, Talmat, Robert Brun. Cette rue (Robert Brun) porte le nom de l’un des premiers commissaires de police français qui dirigea le Commissariat central de Dakar, rappelle doyen Séllémane Tall. Pour le cas de Kayes, il existe deux Pinthies. D’abord Kayes Birame Codou Mbengue ou Kayes Findiw situé entre l’actuelle Intendance militaire sur l’Avenue Lamine Guèye, les rues de Liban (ex-Tolbiac) et Lapérine.
Passé religieux de Thieurigne
Certains historiens comme l’ancien ministre Alioune Diagne Mbor, actuel « Ndèye Dji Rew » de la Collectivité lébou, une bibliothèque vivante, a expliqué que Kayes Findiw signifierait « Kaye dekeu » (viens habiter), en référence à l’hospitalité qui a toujours caractérisé cette communauté. Pour d’autres, le nom de Kayes Findiw aurait été donné par Birame Codou Mbengue, appelé le Lamane de Beigne, un village ancêtre des 12 Pinthies. Beigne se trouve actuellement sur le boulevard de la République qui mène au Palais présidentiel. Enfin l’actuel Pinthie de Kayes Findiw de Birame Codou est différent de Kayes Guedj, aujourd’hui disparu, fondé par les Ndoye de Sémou Ndoye. Kayes Guedj était un quartier de pêcheurs qui évoluaient entre l’actuel Port de Dakar et la zone de Bel-Air.
Il existe aussi Kayes Ousmane Diène (Mame Ousmane Diène) à la Médina, entre la rue 11 et Ngaraaf. Mame Ousmane Diène serait le génie protecteur de la ville de Dakar. Une autre partie de ce Pinthie est situé entre les rues Moussé Diop (ex-Blanchot) et le quartier Darou Salam, entre le mur de l’Intendance et la Légion de gendarmerie. Le Pinthie de Thieurigne, qui a un passé religieux, a abrité un célèbre « daara » (école coranique) et l’une des plus anciennes grandes mosquées de la Médina.
Celui de Mbakeundeu se trouve en face du stade Iba Mar Diop ou ex-quartier « Ndonndi » où logeaient les tirailleurs sénégalais. Ce nom de Mbakeundeu est de moins en moins utilisé. Quant au Pinthie Ngaraaf, qui a enfanté l’un des premiers Cadis ou juges musulmans, Khaly Djibril Diagne, il est situé à la rue 15, dans le quartier de la Médina. Gouye Salane et Diécko, tous deux voisins au centre-ville entre l’avenue Lamine Guèye et la rue Ely Manel Fall, sont également situés à la Médina. S’agissant de Santhiaba devenu le siège de la Collectivité lébou, il abrite depuis quelques années les plus grands rassemblements. C’est le lieu où les autorités administratives nouvellement nommées viennent transmettre leur message à la communauté.
El hadji Abdoulaye THIAM
Et Tilène, le refuge des chacals, devint Médina
L'arrêté n°1467 est l’acte administratif qui a règlementé le transfert de certains quartiers de la capitale à la Médina, nom donné par Seydi El hadji Malick Sy, le guide religieux tidiane, à l’ex-Tilène (refuge des chacals) devenu Médina. Cet acte administratif à son article 1 stipule : « Il est déclaré d’utilité publique la création d’un village de ségrégation sur les terrains compris dans la zone détruite par l’arrêté n°1301 du 13 août 1914 susvisé ». L’idée de déplacer la communauté dite indigène du Plateau ne date pas de l’épidémie de peste de 1914, comme l’avancent bon nombre de personnes. Selon les écrits de l’ancien ministre d’Etat, le Professeur Assane Seck, c’est un long processus déjà entamé dans le cadre ancien de la ville de Dakar. D’abord, il y avait l’arrêté du 30 juillet 1858 qui prévoyait l’ouverture des rues, ensuite le plan d’urbanisation sous l’ère Pinet-Laprade à l’époque, directeur des Ponts et Chaussées au ministère des Transports de l’ancienne colonie.
El. H. A. T.
NDEPPE, SOUMBEDIOUNE, ILES DES MADELEINES… : Ces sites sacrés où habitent les génies protecteurs
Ndéppé à Rufisque ou île des Madeleine à Dakar, ainsi que d’autres localités, sont respectées par la communauté léboue pour leur sacralité. Ce sont sur ces sites que les génies protecteurs de la communauté ont élu domicile.
Ndéppé est un endroit bien connu des Rufisquois. Des jeunes y viennent en période de chaleur pour passer de bons moments sur la plage. Les pêcheurs y débarquent quotidiennement le poisson frais que leur arrachent les femmes commerçantes. Ce lieu est également un bout de terre situé à l’entrée de Diokoul, un quartier traditionnel de Rufisque où le génie tutélaire du Cap-Vert (actuelle région de Dakar), Mame Coumba Lamb, a élu domicile. « Keur Mame Coumba Lamb » est bien connu de tous. Dans un coin tout à fait à l’extrémité de Ndéppé, là où les vagues viennent heurter les rochers, on peut y voir une végétation de cactus sur le sable fin. L’endroit est sacré car c’est un lieu de prières où on vient faire des libations et formuler des vœux de paix et de prospérité.
Depuis de longues périodes, les populations de Rufisque organisent des processions les menant vers ces lieux où ils déposent des quartiers de viande, du mil ou encore du cola en guise d’offrandes. Parfois, un bœuf noir y est égorgé à l’honneur du génie tutélaire et de ses nombreux fils. « La plupart du temps, on se rend à Ndéppé à l’approche de l’hivernage afin de prier pour une saison des pluies abondante. On y vient également pour demander protection si on craint qu’un malheur ne vienne frapper la ville », explique Adji Oulimata Diop, fille de la prêtresse Mame Fatou Seck. Des malades possédés par les esprits sont souvent envoyés à Ndéppé où ils cherchent refuge chez Mame Coumba.
Au-delà des Rufisquois et des Sénégalais, des malades provenant d’Europe, des Etats-Unis et d’autres coins du monde sont venus à cet endroit sacré pour des soins. C’est parce que dans l’imaginaire des Lébous de Rufisque, Mame Coumba Lamb est le génie protecteur du Cap-Vert qui protège des forces maléfiques. Des autorités viennent souvent demander conseils à la famille de Mame Fatou Seck de Thiawlène afin qu'elle leur indique la voie à suivre. C'est le cas avant la construction d'une route ou de toute autre infrastructure dans la ville. « Grâce à notre grand-mère qui a découvert ce secret, plus personne n'est possédé par les djinns à Rufisque », souligne la fille de la prêtresse lébou Mame Fatou Seck.
Des sites comme Ndéppé, où les génies élisent domicile, il en existe aussi dans les localités habitées par les lébous. À Bargny, Mantouli Faye, une autre descendante de Mame Coumba Lamb, a porté son choix sur la forêt. À Gorée, cette mission est assurée par Coumba Castel. Du côté de Yoff, Mame Ndiaré protège les populations. À Dakar, le génie se nomme Ndeuk Daour et habiterait entre l’île des Madeleines et la plage de Soubédioune. Comme à Rufisque, des offrandes sont faites à son honneur par les lébous de Dakar, sur la plage, pour demander protection ou pour résoudre certains problèmes. Toutefois, dans les sites comme l’île des Madeleines, certains comportements ne sont guère tolérés par « le propriétaire des lieux ». Les ressources qu’on y trouve peuvent être consommées sur place, mais ne doivent, en aucun cas, être transportées sur la terre ferme. De même, aucune espèce animale ne doit y être tuée, même le serpent.
Cependant, la remise d’offrandes et autres libations qui étaient, jadis, pratiquées sur ces différents lieux, que ce soit à Ndéppé, à Soumbédioune ou à Yoff, sont de plus en plus rares. Un fait que regrette Oulimata Diop, la fille de la prêtresse Mame Fatou Seck. Cette gardienne du temple et détentrice du secret des génies lébous lance un appel pour plus de respect à la famille de Mame Coumba Lamb ainsi qu'à celle des autres génies protecteurs de la région de Dakar, fief des lébous.
Maguette NDONG
Thiédème, là où tout a commencé
L’un des 12 « pinthie » de la communauté léboue, Thiédème, a vu naître Dial Diop, le premier grand Serigne de Dakar. D’où son statut de gardien du temple.
Fief traditionnel lébou, à cheval entre les avenues Lamine Guèye et Blaise Diagne, le quartier Thiédème pâtit de la forte urbanisation du quartier de Plateau et de l’excroissance du marché Sandaga. Cette zone, qui est l'un des 12 « pinthie » de la collectivité léboue, est en train d’étouffer à cause des nombreuses boutiques et constructions qui la ceinturent. La journée, ses habitants doivent slalomer entre les étals de marchandises qui ont envahi les petites ruelles jusqu’aux portes des maisons. A ce décor peu reluisant viennent s’ajouter le vrombissement continu de machines et autres bruits qui témoignent de l’intensité des activités économiques dans cet endroit.
Première à s’installer dans le quartier Thiédème, la famille Mbengue semble s’accommoder de ce train-train quotidien. Ce mercredi matin, le chef Ismaïla Mbengue, la soixantaine, est assis devant la porte de la petite demeure aux mûrs jaunis par l’usure du temps. Au milieu de deux autres personnes, parmi lesquelles Badara Ndir, ancien technicien de la Télévision nationale, il discute en toute tranquillité. En face, les étals et les va-et-vient incessants des commerçants semblent être le cadet de ses soucis. Né il y a plus d’un demi-siècle, l’homme est un témoin privilégié d’une grande partie de l’évolution de ce «pinthie» dont le visage s’est modifié au fil du temps, du fait d’une urbanisation galopante.
Si la structure physique des lieux a radicalement changé, on ne peut pas en dire autant pour les us et coutumes de ses habitants. Dans ce quartier, les gens sont encore très attachés à la tradition léboue en dépit de la modernisation. Ici, la famille Mbengue fait office de gardienne du temple. « Le chef du pinthie vient toujours de notre famille. Ce n’est pas comme dans les autres pinthie où c’est l’aîné du quartier qui est toujours désigné comme étant le chef. C’est notre ancêtre Mapoul Mbengue qui a fondé Thiédème en 1458 », raconte Ismaila Mbengue, sans doute pour justifier l’influence de cette famille au sein de la communauté léboue. Un nouveau chef du « pinthie » devra d'ailleurs être élu prochainement par les habitants. « Le chef du quartier, Mamadou Mbengue, est décédé il y a trois mois. La famille Mbengue va se réunir pour désigner son successeur avant que ce ne soit porté à la connaissance du public à travers une réunion du pinthie », poursuit-il.
C'est ici à Thiédème que tout est parti, plus précisément au sein de cette famille qui a vu naître Dial Diop, le premier Grand serigne de Dakar. Et Ismaïla Mbengue précise à ce sujet que seuls les Diop peuvent être Grand serigne de Dakar. "Même pas les Mbengue de qui tout est parti". Néanmoins, souligne-t-il, il est arrivé dans l'histoire des lébous (mais rarement) qu’un Diol ou un Sylla soit désigné Grand serigne. Ce fut le cas avec Alpha Diol. « Si à la mort du Grand serigne celui qui est pressenti pour prendre le fauteuil se nomme Diop, mais est trop jeune pour régner, on confie la succession à un Diol ou un Sylla », nous confie Ismaïla Mbengue.
Diégane SARR
MOBILITE ET ORDRE SOCIAL : Une société lignagère et bien stratifiée
Le groupe wolof-lébou est, comme ces peuples de la savane soudanaise auxquels elle appartient, une société rurale. L’espace géographique occupé par les wolofs est caractérisé, pour l’essentiel, par un relief uniformément plat, où s’étendent à l’infini des plaines sablonneuses dont la monotonie ne se heurte qu’à quelques élévations dunaires sur le littoral. Deux régions naturelles semblent nettement s’y distinguer. Jusqu’avant l’infiltration islamique, les Wolofs accordaient une place prévalente à la lignée utérine. La société wolof qui était initialement matrilinéaire est arrivée à accorder progressivement, sous l’influence de la religion musulmane, une prépondérante au lignage paternel. C’est ainsi que le système de succession et d’héritage qui, originellement se réalisait par voie utérine, tend de plus en plus à être supplanté par un mode de transmission patrilinéaire s’inspirant du droit successoral musulman. Le mode de filiation reste néanmoins bilatéral avec, selon le rameau considéré et la relative intégration des valeurs musulmanes, une prépondérance accordée à l’un ou l’autre lignage que sont le Xeet (ou meen) et le geeno. Quelle que soit la structure de parenté en vigueur, il reste que, comme l’a admirablement montré Abdoulaye Badara Diop, les Wolofs lébous « ont accordé traditionnellement une très grande importance aux liens de sang (qui)… déterminent leur rang, leur fonction dans la fonction globale et dans l’organisation politique ».
La religion traditionnelle des Wolofs- Lébous est l’animisme. Nous avons essayé de montré plus haut comment la religiosité y était vécue. La présence de l’Islam est pourtant très ancienne. D’aucuns la situent entre le XIème et le XIIème siècle de notre ère, mais son intégration totale reste encore à faire, la religion traditionnelle semble encore se juxtaposer à l’Islam dont elle réussit à absorber certaines valeurs, non sans les réinterpréter et les modeler. Il existe dans presque toutes les familles wolofs des interdits ou Maam, animaux liés à une famille par une parenté totémique, symboles des génies tutélaires faisant encore l’objet de cultes nombreux.
Sur le plan de l’organisation socioéconomique, il est intéressant de noter que les structures profondes de la société wolof-lébou restent encore aristocratiques et féodales. Elle est, en effet, très fortement hiérarchisée par une double stratification sociale : la première reposant sur la parenté et l’alliance, la seconde sur un système d’inégalité et de domination se fondant sur l’existence des ordres politiques, religieux etc. Le statut social de l’individu était conféré par la naissance. La famille y constituait la cellule sociale minimale, mais elle se dissolvait par le lignage qui était la famille étendue. C’est le lignage qui cimente la parenté à partir de la descendance duelle : matrilinéaire et patrilinéaire.
M. SENE
Gorgui Ngalla GuEye, historien : « Le ndëpp est une véritable thérapie psychanalytique »
Le ndëpp, ou séance d’exorcisme chez les Lébous, est destiné à guérir ceux qui sont possédés par les esprits maléfiques ou djinns. L’historien Gorgui Ngalla Guèye présente les différentes étapes de ce rituel si particulier.
Imaginons une cérémonie de ndëpp ou séance d'exorcisme. En ce lundi après midi, les populations se sont donné rendez-vous sur une place publique. Dans une frénésie indescriptible, parents, amis des malades ainsi que de simples spectateurs ont pris d’assaut les lieux. Des roulements de tams-tams pressants se font entendre. Sous la direction de la prêtresse, la foule est prête à aider le malade à retrouver tous ses sens (la vue, l’esprit, l’usage des jambes…). Des facultés qui ont été « faits prisonniers » par des djinns, ces esprits maléfiques. Pourtant avant de se retrouver là, le malade est passé par une dizaine d'étapes, explique l’historien Gorgui Ngalla Guèye. Il faut d’abord diagnostiquer le mal par le biais du « seet » ou la recherche des causes surnaturelles de la maladie au moyen des cauris ou des baguettes flottants dans l’eau. Le mal connu, on passe par l'étape du « sajja » durant laquelle la nature de l’animal à sacrifier ainsi que sa couleur (noire, blanche ou rouge) est déterminée par le génie. Pour transposer la pathologie vers l'animal maintenu en position couchée, le malade l'enjambe sept fois et les chants qui rythment ces actes demandent au génie d'accepter l’offrande.
Après ce stade appelé «jéggët», on passe au « njappa » durant lequel la prêtresse procède aux ablutions de l’animal qui doit être exempt de toute souillure. « Cet aspect du rituel prouve que nous ne sommes pas des animistes, que nous nous livrons à ces pratiques pour soigner nos malades en leur rendant la raison, afin qu’ils puissent adorer le divin », précise l’historien Gorgui Ngalla Guèye. Ensuite vient le « naan » qui consiste à ouvrir la gueule de l’animal et le malade doit y exprimer tous ces désirs. Ainsi l’animal sacrifié rapportera les prières aux génies. Le « ray » ou immolation permet de saisir le djinn qui est à l’origine du malade. Ainsi, on fait asseoir le patient sur l’animal avant de l’égorger, un procédé qui rappelle le linceul. Puis, pour la dernière fois, les femmes font sept fois le tour de l’animal en chantant au son des tam-tams assourdissants.
L'étape du « natta » permet de mesurer les membres du patient pour en chasser l’esprit en y versant du mil que les femmes pileront pour préparer le « nakka » (mixture de farine de mil et de sucre) à distribuer aux enfants parmi les spectateurs. Le « bukattu », qui consiste à recueillir le sang de l’animal tué, est un symbole de délivrance car il matérialise l’enterrement de la maladie. Le patient est ensuite lavé avec le sang de l’animal, puis prend un bain de lait frais. C'est l'étape du « sangu ». En réalité, ces libations sont destinées aux esprits qui ne se désaltèrent qu’avec du sang ou du lait frais. Avec l'étape du « roog », on entoure le corps du malade d'une sorte de collier fait à partir des intestins de l’animal sacrifié. Les différentes étapes de la consultation du malade prennent fin avec le « tastal » durant lequel la famille se retrouve pour fêter la guérison complète d’un de ses membres. Après tout ce cérémonial et ce rituel, le malade est très souvent guéri. Selon l’historien Gorgui Ngalla Guèye, cela montre que le ndëpp est une véritable cure psychanalytique qui présente divers aspects socio-thérapeutiques.
Amadou Maguette NDAW
Dakar a connu 18 Grands Serigne depuis 1795
Depuis l’intronisation du 1er Grand Serigne de Dakar, Dial Diop, en 1795, 18 Serigne Ndakaru se sont succédé. Chef supérieur de la Collectivité léboue, le Grand Serigne joue dans la hiérarchie des grands dignitaires lébous un véritable rôle de président de la République. Il est assisté dans ses tâches d’un «Ndèye Djirew» (ministre de l’Intérieur, responsable de la propriété foncière), d’un «Saltigué» (ministre de la Défense), d’un «Ndèyi Ndiambour» (président des Assemblées consultatives), etc. Ces autorités coutumières constituent des contre-pouvoirs qui font qu’un Grand Serigne de Dakar est loin d’être ce dignitaire omnipotent qu’on imagine. Il est fréquent qu’il soit fortement contesté, au point de devoir faire face à un, voire deux alter-égo qui animent une dissidence. Il peut même être destitué en plein mandat, comme ce fut le cas du fils et premier successeur de Dial Diop, Matar Diop, limogé par l’assemblée des « Ndiambour », suite à un grave différend ayant opposé sa famille au Damel du Cayor, Biram Fatim Thioub, en 1831.
De Dial Diop à El hadji Bassirou Diagne
1795-1815 : Dial Diop, 1er Serigne Grand Serigne de Dakar.
1815-1831 : Matar Diop, dont l’autoritarisme fut fortement contesté par Matar Sylla.
1831-1855 : Elimane Diol, d’ascendance toucouleur, mais apparenté à Dial Diop par sa mère.
1855-1870 : Mouhamed Diop, fils de Matar Diop.
1870-1887 : Thierno Diop, surnommé « Dial Diop II ».
1887-1893 : Demba Fall Diop.
1893-1896 : Massamba Coki Diop N°1, d’ascendance cayorienne.
1896-1942 : Alpha Diol, fils d’Elimane Diol.
1915-1923 : Abdou Cogné Diop.
1923-1962 : El hadji Moussé Diop.
1932-1969 : El haj Ibrahima Diop.
1949-1950 : Abdoulaye Diop.
1969-1985 : El Momar Marème Diop.
1985-2013 : El hadji Bassirou Diagne, 4e Serigne Ndakaru à ne pas porter le nom « Diop », après Elimane Diol, Alpha Diol et Matar Sylla. Durant ses 27 ans de règne, Bassirou Diagne fut contesté par El haj Mame Youssou Diop. Au décès de ce dernier, en 1987, il fut successivement relayé dans la contestation par El hadji Libasse Diop, El hadji Ibrahima Diop et enfin Massamba Coki Diop, rappelé en Dieu le 4 février dernier.
11 Commentaires
Bob
En Mai, 2013 (21:22 PM)Tout ça est bien joli et trés bien écrit sauf que les 1er à investir Dakar c'est les Mandingues ( Socés) qui ont migré vers le sud du Sénégal plus tard ......
Wolof Et Lébou
En Mai, 2013 (21:30 PM)en tout cas, ces gens là on fait du Sénégal ce qu'il est...sans argent ni richesses minières.
il faut alors wolofiser les autre pour alors accéder au stade d'Etat-Nation solide et pérenne.
Max Barma
En Mai, 2013 (01:13 AM)Walaf pure. Wo Lof, lof signifie engourdi voir fatigué.
Kiki Kaka
En Mai, 2013 (05:52 AM)Aucours de leur traversée ils ont laisser des signes
Arrivée au senegal j ai été par exemple surpris de voir que beaucoup de senegalais portaient un nom COUMBA
étrangement c est le nom d un celebre fetiche tres puissant au benin dans un village (Ojdui une ville) appele sinendé nord du benin
En effet tous les adeptes de ce fetiche s appelle comba
Alors est ce un hasard , une coincidence ?? je ne sais pas ...donc avis au historiens pour les recherches
Diop
En Mai, 2013 (10:07 AM)Yoff
En Mai, 2013 (11:34 AM)Shirk
En Mai, 2013 (16:01 PM)N'adorez pas les suppôts de satan en égorgeant pour eux. C'est du shirk qui fait sortir de l'islam. Le prophéte a dit que ALLAH a maudit celui qui égorge pour autre que lui.
Satan veut nous emmener avec LUI en enfer et beaucoup de pratiques ayant cours chez les lébous est du shirk.
Dans ce texte, il apparaît clairement que ce sont les djinns qu'ils adorent, qu'ils craignent en dehors d'ALLAH.
ALLAH a dit le coran "ALLAH ne pardonne pas qu'on lui associe et pardonne en dehors ce cela ce qu'il veut" et le prophéte nous a fait savoir que celui qui meurt en ayant associé ALLAH ira en enfer.
Repentez vous et voez un culte exclusif à ALLAH
Kiki
En Mai, 2013 (17:27 PM)Pour Kiki
En Mai, 2013 (22:13 PM)@poseidon
En Avril, 2024 (11:38 AM)Sow
En Mai, 2013 (17:08 PM)estce que il y'a une autre cheferie wolof
Maguette Ndiaye
En Mai, 2013 (17:24 PM)Participer à la Discussion