En accueillant à Washington mercredi 15 février son "ami" le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, Donald Trump a vanté les liens indestructibles des Etats-Unis avec Israël, tout en appelant l'Etat hébreu à "la retenue" sur la poursuite de la colonisation dans les Territoires palestiniens. "Il n'y a pas de meilleur soutien du peuple juif et de l'Etat juif que le président Donald Trump", a loué son hôte.
Pour David Khalfa, chercheur de l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE) et spécialiste du Moyen-Orient, cette rencontre marque le lancement d'une nouvelle stratégie dans la tentative d’amener la paix au Proche-Orient. Interview.
Une conférence de presse avant même la rencontre officielle, des compliments appuyés à Sara Netanyahou, des mots d'amitié forts... les liens entre Donald Trump et le Premier ministre israélien ont été lourdement affichés ce mercredi à la Maison-Blanche. Est-ce le signe que la nouvelle administration américaine ne refusera rien à l'Etat hébreu ?
- Non, je ne crois pas. Et d'ailleurs Trump l’a clairement dit quand il a interpellé Netanyahou sur la question des colonies. Il a demandé de contenir, de retenir "un peu" les autorisations de nouvelles constructions. Certes, c'est un avertissement amical mais qui traduit clairement sa volonté de ne pas donner carte blanche à la coalition gouvernementale israélienne.
Il y a une communauté de vues entre les deux hommes. Il y a aussi un changement de ton, de style et de vocabulaire. Sur ces trois points, il y a un alignement qui dépasse la vision idéologique commune partagée entre les deux hommes. Ceux-ci veulent envoyer un message aux alliés traditionnels, les pays arabes sunnites, les pays du Golfe, mais aussi à des pays avec lesquels les relations sont plus tendues comme l'Iran.
Cette réunion a été préparée en amont. Il y a eu trois réunions préalables entre le chef du conseil de sécurité israélien et les Américains James Mattis, secrétaire à la Défense, le directeur de la CIA Mike Pompeo et le secrétaire d’Etat Rex Tillerson. Sur la forme et sur le fond, l'exercice est maîtrisé et l'objectif est clair : envoyer un message de "reset", on repart à zéro après huit ans de crise entre Israël et les Etats-Unis.
Les deux hommes ont parlé de solution régionale, d'impliquer d'autres Etats dans les négociations israélo-palestiniennes. Donald Trump a refusé de défendre une solution à deux Etats et Benyamin Netanyahou n'a, à aucun moment, évoqué la création d'un Etat palestinien. Quel est l'objectif final ?
- Il faut lire entre les lignes. Ni l'un ni l'autre n'ont abandonné la solution à deux Etats. Netanyahou ne renonce pas au discours de Bar Ilan lors duquel il s'était prononcé pour la création d'un Etat palestinien. Il estime que cet Etat démilitarisé, tel qu'il le conçoit, n'est pas un Etat au sens propre du terme puisqu'il n'aurait pas une souveraineté absolue notamment en matière militaire sur l'ensemble du territoire qui lui serait dévolu. La vision de Netanyahou, qui n'est pas nouvelle mais a vu au contraire l'adhésion de nombreux chefs de gouvernements israéliens y compris travaillistes, c'est celle du plan Allon. Ce dernier prévoit que la Cisjordanie serve de zone tampon. Il ne s'agit donc pas d'annexer le territoire entier, car il existe des zones densément peuplées de Palestiniens, mais d'élargir le territoire israélien là où c'est possible.
Netanyahou veut éviter un double piège. Tout d'abord celui de sa coalition qui le pousse à mettre Trump devant le fait accompli de l'abandon de la solution à deux Etats. Naftali Bennett l'avait mis en garde avant son départ, lui promettant un séisme politique s'il prononçait le mot d'Etat palestinien à Washington. Non pas que Netanyahou soit un grand défenseur d'un Etat palestinien. Mais il est conscient qu'un "grand Israël" de la Méditerranée au Jourdain deviendrait un Etat judéo-arabe dans un premier temps, arabe dans un deuxième. En réalité, même s'il ne prononce pas les mots "Etat palestinien", il ne revient pas sur son discours de Bar Ilan. Sa vision, c'est un Etat palestinien démilitarisé, à la souveraineté limitée. L'élément nouveau, en réalité, est américain. C'est Trump qui déclare ne pas préférer une solution à une autre pour les acteurs de la région. Depuis le début des années 1990, la position américaine était tranchée. Elle ne l’est plus.
Pourquoi à ce point évoquer l'implication des pays de la région ?
- Israéliens et Américains veulent tester des idées nouvelles. Netanyahou veut tenter de mettre en œuvre ce que les experts appellent le "outside in". Jusqu'à présent les négociations en face à face étaient un échec. Il est donc désormais question d’impliquer le quartet arabe (pays arabes sunnites et pays du Golfe : Egypte, Jordanie, Emirats et Arabie saoudite) en utilisant comme levier la coopération sécuritaire et un soutien face à l'Iran pour parvenir à une solution politique.
Depuis décembre, on sait que les Palestiniens et les Israéliens ont établi des "back channels", des contacts non officiels, et on sait que Netanyahou a dépêché son conseiller spécial auprès de Jared Kushner pour évoquer la question des colonies. Le deal serait d'avoir un feu vert américain pour les constructions dans les grands blocs d'implantations mais de ralentir dans les implantations isolées. Et Kushner serait également favorable à l'approche régionale. La stratégie de l'administration américaine est de faire la jonction entre le dossier "israélo-arabe" et la lutte contre l'Iran. L'idée qui émerge, c'est la création d'une alliance, une sorte "d'Otan régional" contre Téhéran afin de lui damer le pion, de contenir une menace de nucléarisation de l'Iran.
Pourquoi l'Iran sera au cœur de la rencontre Trump - Netanyahou
Le Premier chef d'Etat arabe à avoir rencontré Trump, c'est le roi Abdallah de Jordanie qui s'est rendu à Washington en dehors des invitations officielles pour évoquer ces questions-là. D'ailleurs, on a bien vu que Trump a changé de ton sur les colonies. Le nouveau directeur de la CIA Mike Pompeo a également multiplié les voyages au Moyen-Orient : Amman, Djeddah, Le Caire... les alliés traditionnels ont été consultés, l'approche est tentée.
Il va falloir traduire la stratégie en actes et ce ne sera pas simple. Il va falloir convaincre Netanyahou et sa coalition. Il va falloir convaincre les Palestiniens de revenir à la table des négociations directes et ce sera compliqué sans gel de la colonisation. Il va falloir aussi convaincre les Etats arabes dont les opinions publiques peuvent ne pas se satisfaire de telles orientations.
1 Commentaires
Anonyme
En Février, 2017 (15:30 PM)Participer à la Discussion