Pour le chercheur au Centre d'Etude des Religions de l'UFR-CRAC à l'Université Gaston Berger, Dr. Bakary Sambe, " la visite de Mohammed VI au Sénégal coïncide avec de profondes mutations géopolitiques sur la scène africaine et du monde musulman". Selon lui, "le Maroc ne pouvait plus avoir le monopole d'une politique d'influence basée sur les ressources symboliques et religieuses". D'après Sambe, "Des pays comme la Turuqie, dont le premier Ministre Racep T. Erdogan était à Dakar en janvier dernier, investissent de plus en plus le champ de la "diplomatie religieuse".
Cette "nouvelle concurrence" à laquelle le Maroc doit désormais faire face est, pour Bakary Sambe,"rendue plus rude si l'on tient compte du fait que les Turcs disposent de moyens financiers largement plus importants et peuvent, aussi, faire valoir un modèle de réussite économique adossé à une autre Sud-Sud de loin plus séduisante". Cependant Rabat a encore des atouts considérables sur ce terrain "depuis l'inauguration de la Grande mosquée de Dakar en 1964, l'institutionnalisation du Colloque de Fès et des journées Tijaniyya et les rapports privilégiés avec les familles religieuses du pays"
Mais, faisant référence à une de ses récentes publications avec l'IFRI, l'Institut Français des Relations Internationales (Le Maghreb et son Sud: vers des Liens renouvelés, Editions du CNRS, 2013), le chercheur fait savoir que "la stratégie d'influence marocaine était mise à l'épreuve du moment que les ressources symboliques qui la sous-tendaient sont sont désormais partagées avec d'autres pays, eux aussi conscients de leur efficacité politique".
Dans le même temps, ajoute t-il, "le Sénégal a repris ses relations diplomatiques en marge du 12ème sommet de l'OCI tenu au Caire, en février 2011 avec l'Iran aussi actif que l'Arabie Saoudite qu'il vient challenger en Afrique de l'Ouest avec des arguments religieux comme économiques"
Selon l'analyse de Bakary Sambe « Le Maroc n’a pas le choix sur un plan géopolitique. Ne pouvant pas se déployer efficacement en Méditerranée avec un puissant voisin espagnol qui lui conteste même Ceuta et Melilia, le Maroc doit faire face à l'Algérie pour toute ambition maghrébine à l'Est. Il ne lui reste donc qu'une possibilité d'influence vers le sud du Sahara ».
Ayant quitté l'Union africaine (UA) avec l'adhésion du Polissario (RASD) en 1984, le Maroc a adopté une stratégie que Sambe qualifie de "bilatéralisme sélectif" en s'appuyant sur des pays comme le Sénégal comme pivot diplomatique et "continuer à s'assurer une présence même hors des grandes instances africaines de manière pour le moins paradoxale, si l'on sait les efforts du Royaume dans la naissance de l'OUA, notamment dans le cadre du groupe dit de Casablanca à l'époque"
Mais, pour ce spécialiste des questions internationales, il y a une autre raison qu'il faut garder présent à l'esprit : "le retour en force de l'Algérie sur la scène ouest-africaine avec la crise malienne et nul n'ignore les rivalités diplomatiques entre ces deux pays qu'oppose entre autres la lancinante question sahraouie », ajoute-t-il. En réalité, d'après Bakary Sambe, le Sénégal constitue une "porte africaine pour le Maroc" qui, ces dernières années, "s'évertue à conclure un accord de libre échange avec la zone UEMOA dans le contexte d'une course folle vers l'Afrique" Sambe ajoute que "le Maroc se veut la porte maghrébine de l'Afrique subsaharienne dans le but de s'ériger en intermédiaire obligé face à l'Europe et, en même temps, consolider sa présence économique dans d'autres secteurs stratégiques pendant que ses banques sont en avance dans leur conquête du marché financier africain".
Même si certains prêtent à l'Europe des intentions de "méditerranéiser" sa coopération avec le Maghreb "par une stratégie de séparation d'avec l'Afrique subsaharienne, conformément au rêve de l'UPM de Sarkozy, le Maroc sera pour encore longtemps préoccupé par ce que Hassan II appelait ses "racines africaines""
Dans une telle configuration où le royaume chérifien a plus que besoin de ses alliés africains, notamment sénégalais, nos autorités doivent saisir l'opportunité pour rappeler avec plus d'exigences au "partenaire privilégié" les "difficiles conditions de vie et de séjour des immigrés subsahariens dans le Maghreb et surtout au Maroc". "La solidarité africaine tant vantée dans les discours officiels devant aussi se manifester sur ce point précis au lieu que prédomine la posture de "gendarmes" de l'immigration subsaharienne pour l'Europe", conclut Bakary Sambe, par ailleurs, auteur d'un ouvrage intitulé : "Islam et diplomatie : la politique africaine du Maroc" (Phoenix, USA, 2011).
4 Commentaires
Marocain
En Mars, 2013 (06:32 AM)Ridial
En Mars, 2013 (11:25 AM)Kébir
En Mars, 2013 (18:52 PM)Réva
En Mars, 2013 (00:19 AM)Participer à la Discussion