
SENENEWS.COM – Certains jours, vivant au loin, on lit les déclarations des dirigeants de son pays avec dans le cœur un mélange de rage et d’inquiétude.C’est mon cas. Lorsque le Conseil des Ministres du jeudi 14 février a évoqué la décision du PrésidentMacky Sall de doter l’Etat sénégalaisd’une Agence de sécurité et de proximité, nous avons été nombreux à croire à une farce de mauvais goût.
En effet, il y a seulement dix mois, le Président de la République nouvellement élu supprimait une quarantaine d’agences crées par l’ancien régime au motif qu’ « Il s’agit avec détermination, d’éliminer les risques de double emploi, de confusion des rôles et de compétences entre des structures d’un même département ou entre deux ou plusieurs ministères et de supprimer les structures inopérantes sans grande utilité pour la fonction de l’Etat ».Cette nouvelle agence aurait donc « pour vocations de répondre aux besoins sécuritaires au sein des communautés de base et d’être une action significative de lutte contre le chômage des jeunes…
L’organisme ainsi créé, pour une prévision de recrutement de plusieurs milliers jeunes au cours de l’année 2013, viendra en appui aux services de sécurité publique, dans la dimension prévention » a précisé le communiqué du Conseil des ministres.La stupéfaction l’emporte devant le panurgisme politique à très courte vue dont la nouvelle équipe au pouvoir fait de plus en plus montre. Parce que si l’on fait le compte, au rythme où vont les choses, Macky Sall risque de créer autant d’agences qu’Abdoulaye Wadeen douze années.
Et entendre l’avocat, à qui l’Etat a chargé de concevoir et de réaliser cette nouvelle lubie inutile, déclarer dans un fatras d’inepties aussi préméditées qu’informes que « l’agence qui va être créée se chargera de mettre en place toutes les orientations du président de la République en matière de gouvernance sécuritaire…. L’agence n’est qu’un organe de cette politique de sécurité intérieure…aussi une unité opérationnelle qui va abriter les Assistants de sécurité, mais aussi des unités choc qui vont s’occuper de la garde rapprochée…» est non seulement inquiétant mais troublant.
S’il est vrai, comme annoncé, que cette agence s’occuperait entre autres de gérer « les déguerpis », d’assurer la sécurité des usines « Sabadola », de « lutter contre la violence sur les gradins », d’avoir « un rôle de police touristique pour sécuriser la destination Sénégal », je me demande bien ce qui restera à la Police et à la Gendarmerie nationale.Macky Sall continue d’entretenir l’inquiétude des sénégalais sur sa vision et son projet pour le Sénégal.
On peut bien sur comprendre et partager l’obsession du Président de la République d’honorer son engagement à trouver des emplois pour les centaines de milliers de jeunes sénégalais qui ont fait le choix du changement en le portant à la Magistrature suprême. Mais, enfin, prendre le risque de la confusion dans un domaine aussi sensible et régalien que la sécurité peut s’avérer périlleux.
La gouvernance sécuritaire, lorsqu’elle est conçue comme une boite à outils délivrant des orientations et des mécanismes permettant aux acteurs publics comme privés de produire une indispensable sûreté de la circulation des biens et des personnes, est bien sur nécessaire dans toute société démocratique. La police et la gendarmerie sont les organes régaliens qui, sous toutes les latitudes démocratiques contemporaines, sont chargées d’assurer la sécurité des personnes et des biens.
Qu’il soit nécessaire de définir des orientations encourageant la pluralisation des modes de production de sécurité notamment la sécurité privée, de rétablir une Police municipale bien nécessaire devant les lourdes problématiques posées par l’accroissement de nos villes et de renforcer les effectifs et les moyens de la police et de la gendarmerie me semble non seulement opportun mais incontournable pour répondre aux enjeux du développement.Devant la prolifération du business des sociétés de gardiennage et de sécurité, on aurait attendu de l’Etat qu’il vienne réglementer davantage ce secteur laissé à lui-même afin de veiller notamment au respect des droits des milliers de jeunes travailleurs sans aucune protection.
Paradoxalement, cette agence risque d’être lourde de périls pour la sécurité du pays.
L’Etat, en venant s’immiscer dans ce secteur non pas pour garantir la sécurité des citoyens mais pour régler des problèmes politiques, risque d’aggraver une situation déjà bien compliquée. Et en annonçant une mise en service de cette agence et des recrutements de plusieurs milliers de jeunes « au cours de l’année 2013 », le Gouvernement, à la confusion rajoute la précipitation qui, on le sait n’est pas bonne conseillère.
La concurrence déjà féroce des sociétés de sécurité, la prolifération des milices (maraboutiques, politiques) et l’insécurité grandissante qui menace les citoyens sénégalais commandent non pas de multiplier des organes qui vont se partager un maigre budget mais d’accroître le personnel des organes régaliens et de leur donner les ressources nécessaires à leurs missions.
Je me suis souvent demandé comment l’Etat sénégalais pouvait jeter à la rue les centaines de jeunes qu’il formait pendant les dix longs mois de leur service militaire. Il suffirait de les intégrer parmi les forces de Police et de Gendarmerie pour en faire de précieux et compétents auxiliaires de l’Etat. Pourquoi faire compliqué quand c’est si simple ? Ce projet cacherait-il des desseins moins avouables ? L’histoire nous dira !
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