Les images de stars du showbiz, du football et de la lutte, ont, de nos jours, fini de se substituer aux informations didactiques, instructives et éducatives. L’histoire, la géographie, les mathématiques qui figuraient jadis sur les couvertures des cahiers scolaires sont surclassés par les posters de Rihanna, Balla Gaye ou Ronaldo, entre autres. Ce, au grand dam, de l’instruction.
«A notre époque, les cahiers portaient des cartes de géographie, des figures historiques, des formules de mathématique, de géométrie ou même des théorèmes. Mais aujourd’hui, c’est vraiment la catastrophe !». Saliou Mbaye est amer. Ce père de famille quinquagénaire, n’en revient pas. Le temps semble avoir effacé des couvertures de cahiers scolaires, toutes les informations utiles à l’instruction des enfants. Aujourd’hui, place aux effigies des stars du ballon rond, de la lutte et surtout de la musique comme les sulfureuses Rihanna, Nicky Minaj, Beyonce etc. Des effigies, en déphasage avec les valeurs que l’école et la société voudraient transmettre à l’écolier.
Saliou, qui était venu jusqu’à Sandaga acheter des fournitures pour ses enfants, n’a pas eu l’embarras du choix. Car, une bonne partie du marché est inondée par ce genre de cahiers. Les entreprises productrices de ce type de supports, dans leur rude concurrence, semblent avoir oublié l’élève, ne mettant en avant, que la recherche du profit. La période où les écoliers doivent apprendre des couvertures de leurs cahiers, semble être révolue pour elles.
Nafissatou, une écolière de 11 ans, elle, semble ne pas être trop inquiétée par une telle évolution. Fan invétérée de la sulfureuse chanteuse Rihanna, le cahier est pour elle, le prolongement de la télé. «Pour moi ce n’est pas un problème. Car, ce sont des photos de stars que nous aimons, que nous suivons à la télé. C’est pourquoi nous achetons plus les cahiers avec leur image. C’est vrai que c’était plus facile d’avoir à portée de main les informations sur l’histoire, la géographie du Sénégal, les mathématiques et autres. Mais ce n’est pas grave, on se rabattra sur les livres», dit-elle, avec l’innocence qui la caractérise.
Quand certains élèves n’y voient pas trop d’inconvénients, nombre de parents d’élèves, qui connaissant l’impact de ces images sur l’éducation de leurs enfants, prennent leurs précautions. «Quand les pères de familles sérieux viennent acheter des cahiers, ils font tout pour éviter ceux sur lesquels il y a les photos de Beyonce, Rihanna, Messi, Balla Gaye.... Ils réclament d’autres types de cahiers. Mais malheureusement, ceux qu’ils veulent, ne sont pas nombreux sur le marché», explique un commerçant qui a installé son business en plein cœur de Sandaga.
Cheikh Mbow de la Cosydep : «Les images sur les cahiers doivent être en adéquation avec les valeurs que nous voulons inculquer aux enfants»
Voir des effigies et slogans, qui n’ont aucun rapport avec l’école et nos valeurs, évincer les informations utiles aux élèves sur les couvertures de cahiers, inquiète nombre d’éducateurs. Cheikh Mbow, le coordonnateur de la Coalition des organisations en synergie pour la défense de l’éducation publique (Cosydep), qui souligne que le cahier reste le support quotidien de l’élève, estime que le contenu de cet outil doit être scrupuleusement mis en adéquation avec nos croyances et valeurs. «Les images qui figurent sur les cahiers doivent être en adéquation avec les valeurs et les croyances que nous voulons que ces enfants aient. Qu’on ne laisse pas n’importe qui mettre n’importe quelle image sur ce support», a déclaré M. Mbow. Ce dernier estime qu’ «on devrait même aller jusqu’à mettre en place un dispositif qui permette de valider les images-là». Ce, parce que, explique M Bow, les images construisent les premières perceptions de l’enfant.
Mettre en place un dispositif pour valider ces images»
L’Etat devra, être plus regardant sur la question. L’autorité devra voir, de son avis, «ce qui est sur ces images, quel est le message qui y est véhiculé et devra même orienter ces images s’il le faut». «Si nous nous rendons compte que nos enfants ont des difficultés, ces difficultés peuvent être portées par ces cahiers», suggère M. Bow. Poser tous ces actes permettra, selon lui, à l’élève de se construire qualitativement. «Si nous voulons avoir des enfants qui soient plus ambitieux, des enfants qui se construisent qualitativement, il faut qu’on leur offre des images qui leur permette de faire face à des défis pour cheminer plus loin et se construire qualitativement. Tout le monde sait que la force de l’image est avérée. Les jeunes retiennent plus facilement les messages d’une image qu’un texte étudié en classe. Il nous faut veiller à ce qu’ils voient ce que nous voulons qu’ils voient, qu’ils voient des valeurs qu’on voudrait construire en eux. Travailler à éviter toute cette théorie mondiale dont on parle liée à la marchandisation que l’on parle de l’école», propose-t-il.
Abdou Diaw, Directeur de l’enseignement élémentaire : «Nous n’avons aucun pouvoir sur la confection des cahiers»
Bien qu’il veuille changer une telle situation, le ministère de l’Education n’a pas les coudées franches. C’est qu’a expliqué M. Abdou Diaw, le directeur de l’Enseignement élémentaire. «Les cahiers portant des images de lutteurs et autres, le ministère l’a toujours déploré. Mais comme le ministère n’achète plus de cahier, ce sont les collectivités qui achètent. Ils sont en rapport avec les entreprises qui cherchent les stratégies qui leur permettent de vendre le plus facilement possible. C’est un aspect purement commercial alors que nous, nous avons des objectifs pédagogiques. On n’a pas de pouvoir sur cela. Nous en tant que ministère, nous n’avons pas de pouvoir coercitif pour dire ‘‘vous ne pouvez pas mettre telle ou telle chose sur les cahiers’’. C’est purement privé et commercial», a expliqué M. Diaw.
«Ce que nous pouvons faire… »
Ce que le ministère peut faire, indique-t-il, c’est d’agir auprès des parents d’élèves et les collectivités locales. «Nous pouvons agir auprès des parents d’élèves, auprès des collectivités locales, pour leur dire que nous ne voulons pas avoir des cahiers portant des slogans, de la lutte et autres dans nos écoles. C’est tout ce que nous pouvons faire. Maintenant si les entreprises mettent toujours sur le marché ces produits, les gens qui achètent peuvent faire le tri», dit-il. Le directeur de l’enseignement élémentaire souligne aussi que le problème fondamental c’est que les entreprises sont prises par l’aspect purement commercial. Mais, il assure que «la position du ministère de l’éducation a toujours été, pour les cahiers comme pour les livres et tous les outils qui entrent dans l’école, que ça véhicule des informations et des images qui sont en adéquation avec la mission fondamentale de l’école qu’est de former et d’éduquer».
Avis de Thomas Tine, Psychologue : «Avec des supports visuels, il est possible de formater toute une société»
Le psychologue Thomas Tine a analysé l’impact que pourrait avoir ces effigies sur les écoliers. Et il reste évident que l’impact de ces effigies sur les écoliers, n’est pas neutre.
«Les publicitaires ne s’y trompent pas, ils savent que l’image est un puissant support qui impacte les représentations mentales. Cela se comprend aisément, puisque la vue est le sens qui a le plus fort pouvoir incitatif, à caractère persuasif d’action, contre toute logique. En influençant les représentations mentales par supports visuels interposés, il est possible de formater toute une société. Lancez l’image et la charge émotionnelle suscitée par celle-ci fait le reste... », a expliqué M. Tine. Le psychologue souligne que c’est conscient de la force qu’a l’image que de grandes entreprises vont jusqu’à consacrer chaque année des sommes qui tournent autour des 15 millions de dollars à la publicité.
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