
La crise énergétique semble une armée invincible pour les différents régimes. Du Président Abdou Diouf à Macky Sall en passant par Me Abdoulaye Wade, les coupures d’électricité et autres délestages ont toujours été le défi majeur des gouvernants. Un sempiternel calvaire des consommateurs, auquel les autorités entendent trouver une solution durable et définitive. En atteste le pari de la production déjà réussi sous le magistère du Président Sall, après seulement un an et demi à la tête du pays. C’est du moins la conviction du ministre de l’Energie et des Mines, Aly Ngouille Ndiaye. Entretien…
M. le ministre, qu’est ce qui explique la récurrence des coupures d’électricité et des délestages?
On peut parler de crise lorsqu’il y a des écarts structurels entre l’offre et la demande. C’est vrai que lorsque le Président Macky Sall arrivait au pouvoir, il y avait beaucoup de problèmes d’électricité, mais sur lesquels en un an, beaucoup de pas ont été franchis pour trouver des solutions structurelles. Et je pense qu’à la fin du premier mandat du Président Macky Sall, le problème sera réglé. Nous avons des coupures d’électricité et pas de délestages, essentiellement dues à la vétusté du réseau. Il y avait des délestages en 2010 et 2011. Rappelez-vous qu’à l’époque, on faisait un planning pour dire que tel quartier ou telle ville sera privée d’électricité et tel autre en aura. C’est en ce moment qu’on parle de délestages parce qu’il n’y avait pas suffisamment de production et il fallait planifier. Ce n’est plus le cas.
Vous soulignez qu’il y a une surproduction, mais les coupures persistent toujours. C’est quoi le problème ?
Oui, je puis vous confirmer que la production de SENELEC est structurellement excédentaire. J’ai expliqué que les raisons sont à chercher au niveau de la qualité du réseau. Mais, je dois vous dire que quelles que soient les causes, le client le vit de la même manière et nous devons y apporter des solutions.
Qu’est ce qui est fait à ce niveau ?
Le gros problème, c’est pendant la période de chaleur où la demande en électricité est plus forte et le réseau n’a pas suivi cette évolution. Donc, cela va demander des investissements sur lesquels on est, et ça peut également demander du temps puisque dès fois, rien que pour trouver un défaut sur un réseau, cela prend du temps. Ça c’est pour le réseau de Dakar, mais dans la banlieue, il y a des zones qui n’ont même pas de réseau et, par conséquent, ces populations n’ont pas accès à l’électricité ou alors y ont accès par des méthodes anormales. Nous avons résolu les problèmes de production par l’implication de producteurs indépendants qui vendront l’énergie à la SENELEC. Cette souplesse sur la production, nous ne l’avons pas sur le réseau pour lequel l’Etat, la SENELEC et les collectivités locales sont les principaux investisseurs. Aujourd’hui, nous attendons tout de l’Etat qui a programmé en 2013 près de 20 milliards.
On note beaucoup de privés dans la production d’électricité, quel est l’avenir de la Senelec ?
D’abord, en termes d’avenir, le Président avait donné des indications claires et les investissements sont en cours. La Senelec devrait être à terme, dégroupée en deux entités. Une entité de production et une autre entité de transport et de distribution. Ça peut prendre du temps, car il y a beaucoup de choses à régler d’abord. Aujourd’hui, les engagements paraphés ou signés avec des promoteurs privés sont supérieurs à la capacité actuelle.
A quand la baisse du coût de l’électricité ?
Je préfère d’abord attaquer le premier problème, fournir suffisamment d’électricité et en qualité, avant d’attaquer les problèmes de baisse de prix à la clientèle. Selon nos projections, une baisse est envisageable au début du deuxième mandat du Président Macky Sall.
Est-il possible de dépérir la subvention et maintenir le prix de l’électricité ?
Ce dépérissement est déjà en cours avec une baisse de 33% en 2013. Quand nous venions au pouvoir, nous avions trouvé une compensation tarifaire qui était l’année dernière de 109 milliards de F Cfa à laquelle il faut ajouter des frais de capacité des locations qui étaient pris en charge par l’Etat et le tout tournait autour de 120 milliards. Nous savions que ce n’était pas tenable puisque le budget du Sénégal ne pouvait durablement prendre autant de subventions. Puisque ce n’était pas tenable, nous avons pris le pari de faire dépérir la subvention d’ici 2017 sans augmenter le prix de l’électricité.
Déjà, cette subvention passera de 120 milliards de F Cfa en 2012 à 80 milliards en 2013. Cela suppose des efforts énormes attendus dans la gestion de la SENELEC pour donner un signal fort aux efforts de l’Etat. Au premier semestre de 2013, la Senelec a fait beaucoup d’efforts en ce sens et a réalisé des économies de 27 milliards F Cfa par rapport au premier semestre de 2012, dont 20.5 milliards au niveau des combustibles et 6.5 milliards pour les frais de capacités. Si tout se passe bien au second semestre, on pourrait atteindre l’objectif de 40 milliards de F Cfa à la fin de l’année.
D’autre part, il est important de savoir que l’Etat du Sénégal a fait beaucoup de choses pour faciliter la restructuration financière de SENELEC.
D’abord, en signant une convention de dettes croisées de 128 milliards dont environ 27 pour le solde des créances des collectivités locales et autres institutions, l’annulation de 11 milliards de dettes, la restructuration de 68 milliards de dettes à 15 ans avec 5 ans de différé et enfin une subvention d’investissement de 134 milliards. Ces mesures allègeront les problèmes de trésorerie et augmenteront les fonds propres de SENELEC qui pourra repartir sur le marché bancaire et emprunter pour ses investissements.
Quelles sont les nouvelles politiques énergétiques pour éviter les dysfonctionnements comme celle connue avec le gaz?
Pour le gaz, nous avions connu des pénuries au mois de mars et nous avions engagé des discussions avec tous les acteurs. L’achat du gaz est normalement libre. Mais en 2011, l’Etat avait demandé aux opérateurs d’importer mais pendant pratiquement plusieurs mois, personne n’a voulu le faire. L’Etat avait alors confié la tâche à la Société africaine de raffinage (Sar) pour assurer cette mission de service public. Mais compte tenu des problèmes de la Sar qui par ailleurs éprouve des difficultés dans le cadre de l’exécution de son contrat avec la SENELEC et avait du mal à récupérer de l’Etat les pertes commerciales sur l’importation de gaz qu’elle réclame entre 2007 et 2011, nous avons pensé appeler tous les acteurs et discuter sans tabou des problèmes de la structure du prix du gaz.
L’Etat a pris en charge le paiement des pertes commerciales, accepté la prise en charge des pertes occasionnées par un blocage des prix pour encourager l’implication des autres importateurs et va revoir très prochainement la structure des prix.
Qu’en est-il des relations SAR-SENELEC où on parle de 55 milliards FCfa de dettes?
Vous savez, même si c’était la volonté de l’Etat, avec l’exclusivité de la fourniture des combustibles de la SENELEC à la Sar, c’est entre 45 et 50% du chiffre d’affaires de cette dernière. Ce qui n’est pas sans risque surtout que ces deux entreprises ont des cycles de recouvrement très différents. La dette de SENELEC vis-à-vis de la SAR est dynamique. Ce n’est pas une dette qui est statique. La Sar a, avec la Senelec, un contrat de 270 milliards de F Cfa. Si vous regardez un contrat de 270 milliards, cela fait à peu près une consommation de 22 milliards de F Cfa par mois. C’est une dette qui est dynamique, et il y a des mois qui sont payés et d’autres qui ne sont pas payés à temps posant des problèmes. A chaque fois que cela arrive, l’Etat entre en jeu par le biais du Fonds de soutien à l’Energie pour concilier les positions et avancer.
Revenons à l’électricité, peut-on dire qu’il n’y aura plus de coupures d’électricité, encore moins des délestages?
Je peux dire qu’il n’y aura plus de coupures lorsque nous aurons fini d’investir dans le réseau. Je suis ingénieur, je préfère parler de choses factuelles plutôt que de faire de la politique politicienne. Je considère que nous avons des chantiers sur lesquels des défis sont à relever. Je considère par contre que celui de la production a été relevé. Ce que nous avons en production sur la base de contrats déjà signés avec des privés dont certains ont démarré, d’ici 2017, nous allons doubler la production actuelle. On doit faire en sorte que la production faite à Kaolack puisse être vendue à Tambacounda ou à Kédougou. C’est comme ça que la Senelec peut être efficiente et faire des bénéfices. Nous avons des restrictions, car nous n’avons pas le réseau partout. Nous sommes sur des projets et des propositions intéressantes qui laissent croire que nous allons baisser les coûts et avoir une Senelec bénéficiaire.
Qu’en est-il du Plan Takkal que vos prédécesseurs vous ont légué?
Il est derrière nous avec nos prédécesseurs.
Cela veut-il dire que ce Plan ne pouvait pas régler la situation?
C’était un plan d’urgence et nous ne sommes pas dans l’urgence. Nous nous inscrivons plutôt dans la durée. Toutes les options de production du Plan Takkal ont été annulées. Nous avons changé de mode de production et d’interlocuteurs. Ce plan n’est plus d’actualité. Ce que nous avions trouvé ici comme solutions aux problèmes de l’électricité n’était pas tenable pour notre pays et déjà dans le domaine de la production, nous sommes revenus sur la production par la SENELEC de trois centrales de 70 MW chacune. Nous nous sommes focalisés sur un nouveau mixte énergétique avec différentes formes de production d’électricité, à des prix plus soutenables.
Quelle est votre politique en matière énergétique?
Après avoir défini en octobre 2012 la Lettre de politique sectorielle, nous avons adopté un plan de production au Conseil des ministres décentralisé à Matam. Nous nous basons sur le mixte énergétique, nous devons produire de l’électricité avec du charbon, du gaz, de l’hydroélectricité et les autres formes d’énergie renouvelables. Si l’on compare le mixte que nous avons en 2012 et celui que nous visons en 2017, c’est totalement différent. En 2012, le mode de production était le diesel oil à hauteur de 39% et le fuel lourd à hauteur de 49%, les deux réunis font 88%. La production au diesel oil, c’est l’un des modes de production d’électricité le plus cher actuellement. En 2017, nous visons le gaz à hauteur de 35%, le charbon à hauteur de 27%, nous n’aurons plus pratiquement de diesel oil contre 23% d’énergie renouvelable. Si vous comparez ces deux modes de production, vous comprendrez aisément que nous allons baisser les coûts de production, ce qui pourrait se traduire par une baisse du prix de l’électricité à partir de 2017. La charge de l’électricité est très chère pour le monde industriel, le Directeur de la Société des eaux du Sénégal (Sde) me disait que c’est plus de 30% de leurs charges.
Malgré tout, les coupures persistent. Pouvez-vous donner des assurances aux Sénégalais?
On produit suffisamment, mais il y a des problèmes sur le réseau, donc je ne peux pas donner des assurances. Dans certains endroits, le réseau est vétuste.
Que faut-il faire alors?
Il faut le refaire en mettant des secours là où ce n’est pas secouru. On est dessus, mais cela peut prendre du temps.
Où en est-on avec la révision du Code minier?
Les travaux ont démarré avec tous les acteurs, nous allons changer tous les aspects du Code qui peuvent l’être. Tout finira avant la fin de l’année et le nouveau proposé en 2014.
Les implantations de certaines centrales sont contestées par les populations, pourquoi ne pas les impliquer dans les négociations?
Il n’y a pas eu de forcing, les populations sont intégrées. Cependant, elles peuvent ne pas être d’accord. Prenons le cas de Diogo par exemple, au départ elles étaient plus de 130. Au finish, seules 14 étaient encore récalcitrantes. Les populations disent qu’elles ne sont pas suffisamment indemnisées alors que l’industriel soutient qu’il a indemnisé plus que prévu. Sur le plan légal, c’est l’industriel qui a raison, car les montants et les formes d’indemnisation sont fixés par la loi. Il y a peut-être des raisons de revoir la base de l’indemnisation.
On note des conflits dans les zones aurifères. Quelles sont les urgences que vous avez prises ?
On est en train de prendre des mesures pour sécuriser la zone. Ce qui se passe au Sénégal, c’est qu’il n’y avait pas d’encadrement de l’orpaillage. Contrairement à certains pays, il y a des zones d’orpaillage. Ici, il n’y a pas de couloir d’orpaillage dans notre Code minier. Tout le monde sait que l’orpaillage existe, mais ce n’est pas ce qui est en train d’être fait à Kédougou. Il y a exploitation semi-artisanale et semi-industrielle avec des explosifs et tout ce que l’orpaillage ne connaissait pas. Nous avons beaucoup de ressortissants de la sous-région dans la zone et que, l’exploitation n’était pas organisée. Mais nous allons l’organiser parce qu’aujourd’hui, nous avons mis en place des cartes d’orpailleur et défini leurs champs d’action. Et si toute la procédure est respectée, ne sera plus orpailleur qui veut. Et cela va amener un peu d’ordre dans le secteur. Et du point de vue sécuritaire, la gendarmerie a pris toutes les dispositions nécessaires.
Sur le plan politique, Habib Sy votre adversaire de 2009 a déclaré qu’il ne sera pas candidat en 2014, qu’en pensez-vous ?
Je pense qu’il fait preuve de réalisme et cela ne sert à rien de s’engager dans ce combat qu’il sait perdu d’avance. C’est dommage, car ce face à face allait être celui de la clarification, mais puisqu’il me déclare victorieux avant le coup de sifflet de l’arbitre, j’en prends acte et je me concentre déjà sur ce que notre équipe fera comme réalisations à Linguère. Je laisse les Linguèrois apprécier ce qu’il appelle « ses réalisations ». Je note avec beaucoup de plaisir les prières qu’il a formulées pour moi. Je lui souhaite à mon tour beaucoup de chance pour la succession de Me Wade.
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