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Entretien

El Hadj Mounirou Ndiaye, économiste, sur le Pétrole : « Pourquoi le mode de partage de production n’est pas adapté »

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El Hadj Mounirou Ndiaye, économiste, sur le Pétrole : « Pourquoi le mode de partage de production n’est pas adapté »


Économiste et Enseignant chercheur à l’Ufr Sciences économiques et sociales de l’Université de Thiès, le Dr El Hadji Mounirou Ndiaye alerte. La décision prise par l’Etat du Sénégal de miser sur le mode de partage de production, ainsi que la configuration de la joint-venture, dans le cadre de l’exploitation du pétrole sénégalais, ne lui semblent pas judicieux. Il ajoute cependant, quelques idées et suggestions dans la corbeille étatique.

 

Est-ce que la répartition des parts, dans sa configuration actuelle, est avantageuse pour notre pays?

Le Sénégal doit s’appuyer sur les erreurs contractuelles commises dans d’autres pays africains pour mieux profiter de cette opportunité. Le mode de partage de production évoqué par le Président Macky Sall ne me semble pas adapté. Ce que le Président Macky Sall a dit et qui a été rapporté par les médias est vrai, et c’est ce qui s’est toujours passé dans le pétrole africain.

Fan-1 et Sne-1 font partie de trois blocs offshores couvrant une superficie de 7.490 kilomètres carrés co-exploités, dans le cadre d’une joint-venture, par l’écossais Cairn Energy (40% des parts), l'américain Conoco Phillips (35%), l'australien Far (15%) et Petrosen (10%). Cependant, de mon modeste point de vue, cette répartition des parts dans la joint-venture est déjà d’une mauvaise configuration pour le Sénégal puisqu’elle va déterminer le mode de répartition des parts dans le partage de production qui est prôné. Donc plus de parts du Sénégal dans cette joint-venture, implique deux avantages immanquables: encaissement d’une bonne partie du «Cost Oil » (remboursement des dépenses d’exploration et de développement) et maximisation du « Profit Oil » (part de l’Etat dans le pétrole). Dès lors, même si les inputs de l’exploitation pétrolière s’avèrent être trop onéreux pour notre budget public, les enjeux économiques sont suffisamment colossaux pour que le Sénégal redouble encore d’efforts financiers dans les financements de cette joint-venture (et de l’exploitation future). L’argument financier étant souvent évoqué pour justifier la maigre part du Sénégal, il est alors nécessaire de mettre tout atout possible de notre côté, afin d’éviter de tomber dans le piège des contrats spoliateurs qui sont en vigueur dans d’autres pays africains ou arabes.

 

Quelle serait selon vous, la configuration idéale?

Le Président Macky Sall a très vite évacué la concession et nous sommes conscients que c’est une décision mûrie puisque cette histoire du pétrole sénégalais ne date pas d’aujourd’hui. C’est vrai qu’il existe des paramètres inconnus du public que pondèrent les dirigeants et qui infléchissent les décisions étatiques. Néanmoins, la concession pourrait, après analyse, concertation et négociations, s’avérer être la meilleure formule et consacrer une innovation sénégalaise historique dans ce sens. L’exploration du pétrole sénégalais est en cours, le forage est maintenant prévu en 2016 et il faut encore 5 à 6 ans pour le démarrage des activités de production. On peut donc dire qu’il reste encore une marge temporelle que nous pouvons utiliser pour réfléchir davantage, de connivence avec toute la matière grise dont dispose le Sénégal dans ce domaine. Les parts des entreprises étrangères doivent être consistantes, c’est vrai. Comme l’a si bien dit Monsieur le Président, «ce sont les compagnies pétrolières qui investissent lorsqu’il y a découverte de pétrole dans un pays». Mais est-ce une raison valable pour que le Sénégal courbe l’échine en renonçant à ses marges de négociations, en renonçant à l’élaboration d’une transaction optimale ? Après tout, il s’agit de nos côtes, de notre environnement immédiat, voire même d’une opportunité unique d’avoir de conséquentes ressources additionnelles pour le financement de notre émergence économique.

Comment l’Etat peut faire en sorte que les populations tirent profit des retombées pétrolières ?

Sur ce pétrole, l’on ne souhaite pas que se reproduise le même scénario des contrats miniers de Sabadola par exemple, où l’Etat et les populations tirent des miettes pour une pollution et une indisponibilité de site aussi désolantes. Le Président Macky Sall semble pourtant acquiescer aveuglément à un dictat de multinationales, dont les intérêts sont certes légitimes, mais cela ne justifie pas cette tendance à commettre les mêmes erreurs qui ont perdu le Gabon, le Congo ou la Centrafrique. En sa qualité de leader panafricain, puisqu’il est à la tête du Nepad, il peut innover, insuffler un renouveau et indiquer une nouvelle voie dans les négociations contractuelles étatiques à tous les niveaux. Avec ce pétrole, l’occasion lui est donnée de montrer une voie jamais empruntée par un Etat africain, une exemplarité et une empreinte historique, sans pour autant réellement piétiner les avantages des multinationales. La répartition des parts de ce pétrole sénégalais dépend de multiples autres paramètres qui sont encore loin d’être tranchés. Un questionnement supplémentaire et prépondérant doit être adossé à la définition des relations partenariales qui vont nous lier avec ces multinationales. Par mimétisme, Macky a jeté votre dévolu sur les contrats de partage de production qui, il faut le reconnaître, peuvent effectivement être ficelés suivant une approche favorable à notre pays. Ce questionnement répond à la nécessité indécrottable d’évaluer le coût d’opportunité global de l’exploitation pétrolière, afin de jauger les avantages minimaux que le Sénégal doit en tirer, et à défaut desquels ce jeu du pétrole n’en vaudra vraiment pas la chandelle. 

 

Avec un contexte international tendu, n’y a-t-il pas quelques risques pour l’exploitation du pétrole sénégalais ?

Avant même de parler de parts, il importe d’évoquer les récents rebondissements sur le pétrole qui font état d’une chute des cours du baril qui se situent maintenant à 60 Us dollars environ. C’est pourquoi, nous avons constaté au Sénégal une baisse de 102 F Cfa sur le Diésel et 94 F Cfa sur le Super. Les supputations vont bon train sur cette chute des cours du pétrole avec l’argument phare d’intentions de fragilisation financiers des Etats russe et iranien qui dépendent des recettes pétrolières. Mais il a été constaté que les Etats-Unis qui sont cités comme architectes de cette volonté de fragilisation de la Russie et de l’Iran, risquent de subir des conséquences négatives si cette chute ne s’arrête pas. Le pétrole américain, dont le coût d’exploitation est supérieur à 50 Us dollars par baril, ne sera donc plus rentable si le cours arrivait loin en deçà de 60 dollars. Or les américains sont aujourd’hui obnubilés par l’objectif d’extirper leur dépendance pétrolière vis-à-vis du Moyen Orient. Mais les saoudiens n’entendent pas diminuer leur offre puisqu’ils doivent faire face à la concurrence des nouveaux pays producteurs qui, même si leur pétrole est lourd et coûteux à exploiter, se font des marges incitatives de rentabilité si le baril est maintenu à un niveau haut. Ce contexte tendu laisse s’instaurer un environnement incertain où les cours du pétrole peuvent drastiquement chuter si la production continue d’augmenter. Dans ce cas, il y a des risques que l’exploitation du pétrole sénégalais soit compromise puisqu’il s’agit d’un pétrole dont l’exploitation s’avère assez onéreuse. Toutefois, l’on peut espérer que les tendances à moyen terme seront favorables pour une exploitation future du pétrole sénégalais, relativement aux capacités de recherche et d’innovations des multinationales impliquées et aux investissements déjà consentis.

 

Un transfert de technologie semble aussi être primordial à votre avis…

Pour ce pétrole, il nous faut travailler avec l’hypothèse que d’autres gisements peuvent être découverts incessamment et dans le futur. Un mécanisme de transfert de technologies, durant le déroulement des contrats, doit alors être indispensablement prévu afin de laisser au Sénégal une marge d’arbitrage entre «faire faire» et «faire soi-même» sur les découvertes futures. A défaut d’un tel scénario contractuel, le Sénégal va inéluctablement être victime de ce que les économistes des contrats appellent «effet lock in» qui nous piégera, comme c’est le cas ailleurs en Afrique, dans la dépendance perpétuelle vis-à-vis des entreprises étrangères pour des exploitations de ce genre.  

 

Vous dites que le Sénégal peut participer aux investissements. Que peut rapporter une telle stratégie aussi coûteuse ?

D’autre part, le Sénégal peut bel et bien participer dans les investissements en renonçant partiellement et momentanément aux Budgets consolidés d’investissements. Nous sommes à l’ère de l’intelligence économique et de l’optimisation. Tout Franc Cfa supplémentaire encaissé est utile. Et cet effort participatif dans les investissements ainsi que les documents d’enquêtes supplémentaires financées et coordonnées par le Sénégal pourront servir de supports et d’arguments en vue d'une négociation plus poussée des parts du Sénégal, que cela soit un partage de production ou une concession. Le Sénégal disposera ainsi d’une marge d’arbitrage confortable. Et suivant la quantité exacte des réserves (qui reste à préciser) et la durée de la production, le Sénégal peut proposer un contrat de concession en tablant sur un minimum de 25% des parts. Une telle formulation partenariale permettra d’encaisser 25% des recettes du pétrole auxquelles s’ajoute un impôt de 30% sur le bénéfice de la joint-venture qui est soumise au code général des impôts du Sénégal. 


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