L'office : Trois ans maintenant qu'Abdou Raas a disparu du paysage musical sénégalais, après un premier album qui a cartonné. Et tout le monde se rappelle du bon souvenir de son tube « Trahir ». Pourquoi une si longue hibernation ?
Abdou Raas : Ce qui l'explique n'est autre que le travail, sans se précipiter. Et tout début demande réflexion, et un temps approprié pour proposer du concret aux nombreux mélomanes. Et compte tenu d'un premier album qui a cartonné, mes proches et fans m'ont tout simplement dit que je devrais nécessairement continuer à travailler dans le bon sens, et ne pas me précipiter pour sortir un second album que tout un chacun attend avec impatience. Donc, c'est ce qui explique cette hibernation de trois années. Par ailleurs, il faut signaler au passage que j'ai eu à faire des tournées qui m'ont mené en Suède, en Italie, au Danemark, en France et en Angleterre.
Mais, Abdou Raas, il faut aussi rappeler que trois ans, c'est beaucoup, compte tenu de l'évolution de la musique sénégalaise qui apparaît comme une course contre la montre ?
Pour moi, ce n'est nullement une course. Mais plutôt un travail bien réfléchi. Et chaque personne évolue selon un niveau de compréhension. À mon niveau, je me dis que je suis un jeune talent qui n'a encore rien prouvé. Je n'ai sorti qu'un seul produit, même si cela a été du goût des Sénégalais. J'ai de l'espoir en moi, et ma carrière, donc, je n'ai pas le droit de revenir sur le marché avec un produit mort-né. Aussi, ceux qui sortent autant de produits en si peu de temps ont peut-être les moyens de le faire. À nom niveau, ce n'est pas le cas, car je n'ai pas les mêmes moyens pour sortir chaque année un nouvel album. Je ne dis pas que je ne le ferais jamais, mais présentement, je répondrais par la négative. Et mon principal souhait est d'arriver, comme le font certains, à pouvoir me produire avec mes propres moyens. Pour être sérieux, et satisfaire les Sénégalais, mes albums ne sortiront qu'après deux ou trois ans, après un travail bien mûri, mais aussi et surtout objectif.
Abdou Raas vient d'évoquer un problème de moyens. Mais faut-il aussi signaler que la réalisation d'une œuvre demande un esprit éclairé. Est-ce que Abdou Raas n'est pas toujours suivi par le fantôme de son fameux tube « trahir », qui expliquerait trois années d'absence sur la scène musicale sénégalaise ?
(Rires). Non !!! Ce qu'il faut dire encore une fois, c'et que Abdou Raas appartient maintenant au public. Un public qui, ma foi, est très exigeant. C'est ce qui fait que nous les artistes, devons travailler pour toujours les satisfaire ; même s'il faut rester, comme vous l'avez dit, trois ans ou plus sans sortir une nouvelle production. Mais le plus important, c'est de toujours penser que nous avons l'obligation de satisfaction face à notre public, nos proches et autres mélomanes qui ont un regard sur nous. C'est cela la clé de confirmation pour un artiste.
Abdou Raas n'est pas par hasard surpris par le succès ?
Je répondrais à la fois par oui et par non. Car, seul le travail paie. Et permettez-moi de vous signaler que c'est depuis l'âge de neuf ans que je travaille dans la musique. D'ailleurs, c'est ce qui m'a permis de passer par plusieurs groupes de musique. Et ayant commencé très tôt à travailler, jusqu'à sortir un album qui a plu à tout le monde, je peux tout simplement affirmer que ce n'est pas de la chance, mais plutôt un mérite.
Et par quel chemin Abdou Raas est-il passé par arriver à ce niveau ?
Effectivement, je suis passé par plusieurs chemins. Je peux dire que j'ai vu le jour à Diourbel, mais j'ai grandi à Kaolack où j'ai commencé à chanter. Par la suite, je suis retourné dans ma région natale, et peu après, cette épate de ma vie, j'ai fait la rencontre de Fatou Guéwel. Avec elle, j'ai appris beaucoup de choses, et elle a été la première personne à m'amener à l'étranger. Sans parler de Papa Ndiaye Guéwel, avec qui j'ai partagé un même album, avant d'entrer en contact avec le label Jololi qui a produit mon premier album.
Aujourd'hui, Abdou Raas a-t-il des problèmes avec ce label ?
Non ! Aucun problème. Mais à un moment donné, Jololi avait écrit à tous ses artistes une correspondance leur demandant un temps de répit en attendant d'y voir, et d'y revoir clair. Ce qui veut dire qu'il n y avait en ce moment aucune production de Jololi concernant les artistes avec qui il était en contrat. C'est peu après que j'ai fait la rencontre de Babacar Lô, qui a produit mon second album qui va bientôt sortir sur le marché. Mais encore une fois, nous n'avons aucun problème.
Et où en est la seconde production d'Abdou Raas ?
Presque finie. Et je puis vous dire qu'elle sera sur le marché en début du mois d'octobre.
Le titre ?
« Kolleuré ».
Mais Abdou Raas, qu'est-ce qui explique cette transition subite pour Babacar Lô ?
Après qu'on nous a mis en rapport, c'est lui qui a dit que ce jeune homme lui plaisait beaucoup, car pétri de talent. Et il n'a pas hésité une seule seconde à accepter de me produire pour le compte de mon second album. Et j'ose espérer que notre coopération ne s'arrêtera pas en si bon chemin.
Pour en revenir à votre prochain album, pourquoi le titre « kolleuré » ? À qui s'adresse Abdou Raas, objectivement, et quels sont les thèmes qui y sont développés ? Dans la même mouvance, est-ce tout simplement du mbalakh ou d'autres genres musicaux ?
D'abord, il faut dire que c'est du mbalakh bien de chez nous. Et au-delà du titre phare de l'album qui est « kolleuré », il y a d'autres tubes assez significatifs comme « démocratie », « sant yaye », « donou batine », et bien d'autres. J'ai également rendu grâce à la communauté laobé dont je fais intégralement partie.
Et pourquoi un morceau nommé démocratie ? Comment Abdou Raas perçoit-il l'évolution de la démocratie au Sénégal ? Avance-t-elle, ou tout simplement a-t-elle reculé ?
Je ne voudrais pas entrer dans les détails, car je ne fais pas de la politique. Mais je peux dire qu'au Sénégal nous avons la paix, et c'est cela l'essentiel. Sur ce point, il faut dire que la démocratie avance bel et bien.
Sur un autre registre, comment Abdou Raas perçoit-il aujourd'hui la musique sénégalaise ?
Nombreux sont ceux qui soutiennent que le mbalakh a du mal pour s'expatrier. D'autres encore chantent ce qu'ils veulent, du rideau en passant par même sandwich.
Pour moi qui suis chanteur, avant de dire que nous n'avons que le mbalakh, tout artiste doit d'abord penser à véhiculer des messages forts pour l'intérêt de la communauté. En tout cas moi, Abdou Raas, j'en fais mon objectif principal.
D'habitude, que jouez-vous une fois en tournée à l'étranger ?
Ce n'est certes pas pareil qu'au Sénégal. Mais à l'étranger, nous y allons pour retrouver nos compatriotes et d'autres nationalités africaines. Et d'habitude, ils ont assez souvent besoin des mêmes tubes et sons qu'ils écoutent à travers nos albums. Cependant, j'envisage de faire à l'avenir d'autres genres musicaux qui peuvent faire le tour du monde.
Sur un autre point, on se rend compte qu'il existe une pléthore de jeunes talents. La concurrence étant rude, quels sont les principaux problèmes que vous, jeunes artistes, rencontrez assez souvent ?
C'est vrai que la concurrence est très rude. Mais j'aime rappeler une célèbre phrase de feu Ndiaga Mbaye, qui avait souvent l'habitude de dire, « méfiez-vous de ceux qui te disent que tu es le meilleur de ta génération ». Mais ce qui nous fatigue le plus n'est autre que la piraterie. Un fléau qui fait fuir nombre de producteurs. Et la musique étant notre gagne-pain, j'en appelle au bon sens des consommateurs, pour qu'ils n'achètent pas des produits piratés.
Abdou Raas, est-il un boy town. Comment mène-t-il sa vie ? Quel regard jette-t-il sur les filles, ou mieux sur les « diongomas ». Aime-t-il les petites choses pour ne pas dire « némali », « bine-bine », « dial-diali » et autres ?
(Rires) ! Avant tout, je suis laobé. Et qui dit laobé, pense automatiquement aux bonnes choses. Laobé, c'est la terminaison de toutes ces choses que vous venez d'énumérer. Donc, nous voulons de ces belles maisons, de ces belles « diongomas » ou ravissantes nymphes, en plus don bon « thiouraye » (encens), bine-bine et dial-diali. Dans notre communauté, pour tout cela, c'est la rude concurrence.
Abdou Raas, est-il polygame ou aspire-t-il à le devenir ?
Pour le moment, je n'y pense. Mais en tout cas, la religion nous permet d'avoir jusqu'à quatre épouses. En ce moment, je n'ai qu'une seule épouse. Sur un autre fil, je pense que je peux à travers la musique, avoir tout ce que je viens de citer, partant des belles maisons aux belles voitures.
Belles voitures, belles femmes supposent une certaine assise financière. Et pour l'artiste, faut-il qu'il décroche de juteux contrats. Aussi, pendant ces trois années, est-ce que Abdou Raas a eu des contrats ?
Oh que oui ! Des contrats, j'en ai eus. D'ailleurs, c'est récemment que j'ai quitté la Suède. Au Sénégal, également, j'ai joué il quelques semaines à Thiès, et un peu partout.
Quel est le dernier message de Abdou Raas, surtout pour ses pairs artistes ?
Que chacun s'attelle à faire son travail, et surtout bien le faire. Nous sommes tous des Sénégalais, mais devons surtout fournir à la population des messages forts, très forts. Tout le monde nous écoute. Les autorités étatiques, religieuses, des responsables de quelque cercle que ce soit…Compte tenu de cela, nous devons, et très bien penser, avant de sortir un produit. Chacun, et tout le monde, doit apprendre de nous. Au passage, je dis un grand merci à nos grands frères dans la musique. Je veux parler de Youssou Ndour, Oumar Pène, Baba Maal, Thione Seck, Ismaël Lô…, entre autres. Sans eux, nous ne serions pas à ce stade de la chanson.
Propos recueillis par Abdoulaye Mbow
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