Avis aux nostalgiques : le Xalam, groupe mythique de la musique sénégalaise des années 80, va renaître de ses cendres. C’est en tout cas la mission que s’est assignée Cheikh Tidiane Tall. Le musicien revient également dans cette seconde partie de l’entretien qu’il nous a accordé, sur un autre projet qui lui tient à cœur : l’association des salseros du Sénégal.
Faire revivre le Xalam
Tout le monde me dit qu’il faut que je travaille à reconstituer le Xalam parce que je suis l’aîné. Aujourd’hui, on voit le Baobab faire le tour du monde avec des morceaux qu’ils jouent depuis 35 ans. J’ai joué à leur premier concert avec Youssou Ndour et Jean-Philippe Rykiel. Baobab devient, à chaque fois, un nouvel orchestre pour le public. Pourtant, ils ne jouent pas de sabar. Ce sont des Africains. Ils jouent la salsa et ont un public blanc. Ceci doit donc être un exemple pour les jeunes : en musique, il faut faire des standards. Faire le Mbalax, c’est quelque chose de bien, mais il faut aussi une musique pour tout le monde. Je n’ai fixé aucun délai pour reformer le Xalam, je suis trop occupé par l’Association des Salseros. Mais j’en ai discuté avec Henry (Guillabert) qui a des infrastructures. C’est à moi donc de parler aux plus jeunes qui sont à Paris. J’avoue que ce sera un travail difficile, mais il faut le faire. Nous sommes tous des musulmans, il faut se pardonner et tourner la page. Parce que le Xalam ne nous appartient pas, c’est un patrimoine africain. Ce n’est pas un problème d’individus. Je ferai de mon mieux pour que l’orchestre se reconstitue. En France, on jouait parfois ensemble. Nous avons fait une tournée en Espagne en 2004. Nous avons des titres inédits avec un nouveau concept. Mais, à l’instar de tous les grands musiciens, nous sommes tous occupés. Mais Henry est rentré, il est au Quai des arts de Saint-Louis. Et moi aussi je suis là, j’ai des responsabilités. Souleymane (Faye) a aussi son groupe. On peut donc faire le tour du monde et revenir faire un grand disque qui va rester encore deux à trois ans. C’est cela que je veux faire. Et j’espère que les jeunes vont me rejoindre parce que ce sera bien pour tout le monde. Même ceux qui sont en Europe ont besoin de revoir les éléments du Xalam. Henry m’a confirmé qu’il y a actuellement à Londres quelqu’un qui nous attend pour une tournée. Ce qui montre qu’une œuvre bien faite peut durer longtemps. Il faut savoir faire des standards. Si on devait reprendre le Xalam pour des tournées, on n’allait rien créer. Nous avons un répertoire très riche. Pour chaque concert, nous pouvons jouer un répertoire différent.
A l’origine c’était le Xalam 1
C’est le professeur Sakhir Thiam qui a eu l’idée de former l’orchestre au début des années 60. Il a choisi le nom de Xalam, qui signifie guitare traditionnelle. En ce moment, nous étions encore des lycéens. Et Sakhir amenait sa guitare chez Jean Thiam. A l’époque, j’étais ‘tumbiste’, joueur de tumba… En 1966, Sakhir devait aller en France poursuivre ses études. Il m’a donné les notions théoriques parce qu’on ne peut pas faire la musique sans la théorie et je suis devenu guitariste. C’est en 1969 que j’ai eu mon premier clavier par un ami français. C’est ce dernier qui m’a donné les premières notions. Et tout ce que je jouais avec la guitare, je pouvais le faire sur le clavier. C’est ainsi que j’ai compris beaucoup de choses. Je suis le premier à jouer le clavier au Sénégal, mais il y a des choses qu’on ne dit pas dans ce pays. En 1970, nous jouions tous les grands bals. Notre dernier bal, nous l’avons joué avec le Super Star qui s’appelait Super Eagles. En 1970, nous sommes partis en tournée parce que nous n’avions plus rien à prouver. Nous avons fait l’Afrique anglophone et francophone pour savoir ce qui s’y passait. Nous avons acquis beaucoup d’expérience et montré que le Sénégal avait de grands musiciens. En ce moment, nous jouions toutes les musiques.
L’après Xalam 1
A la fin de l’aventure du Xalam 1, certains sont partis en France et d’autres aux Etats-Unis. Moi je suis allé jouer avec Laye Thiam, un grand trompettiste. On jouait des variétés à l’hôtel de Ngor. Par la suite, je suis allé au Sahel pour créer l’orchestre du Sahel en 1974. C’est ainsi qu’est né le Sahel. Après, j’ai monté un orchestre de variétés pour jouer dans tous les hôtels. En 1980, Jules Sagna de Radio Sénégal m’emmena aux Etats-Unis pour que j’enregistre avec les Cubains. Je suis alors parti avec Idrissa Diop. Je me rappelle bien à l’époque un grand musicien cubain m’a dit : ‘On n’a rien à t’apprendre sur notre musique, tu la connais parfaitement. Avec ta manière de jouer la guitare, si tu restes à Cuba, tu pourras gagner beaucoup d’argent.’ Mais je ne pouvais pas rester parce que ma fille qui est là (elle assistait à l’entretien, Ndlr) avait 6 ans. Et puis, il s’est passé un incident qui m’avait beaucoup peiné : on avait volé ma guitare que j’avais payée à mille dollars. Et là, je ne pouvais plus supporter de rester dans le pays.
Xalam 2 : pour montrer l’horizon musical sénégalais
Le Xalam 2 a été créé en 1969. Au début, nous les appelions ‘Cadets Xalam’, à côté du Xalam 1 qui regroupait des musiciens plus âgés. Paradoxalement, au début, aucun musicien du Xalam 1 n’était aux Cadets Xalam, hormis Coundoul. C’est après que Prospère (Niang) et Henry Guillabert ont intégré le groupe. Après leur arrivée, on a commencé à les appeler Xalam 2. Ils ont alors décidé d’arrêter les interprétations pour faire des créations. Ils jouaient de bons morceaux. Ils sont allés en France et m’ont appelé pour faire le disque Xarit avec des titres dont Keur gui, C’est pas bon. Je suis venu au Xalam 2 pour les renforcer. Je leur ai dit que si nous voulons nous réconcilier avec le Sénégal, il faudra faire une musique moderne. C’est la raison pour laquelle nous avions fait ce disque. Nous avons aussi fait le reggae pour montrer tout l’horizon musical sénégalais. C’est pourquoi jusqu’à présent, si vous l’écoutez, vous avez l’impression que cela n’a pas duré. Quand ils ont enregistré Dolé, ils m’ont appelé pour faire la promotion du disque. C’était en 1986, on a fait une grande tournée en 1988. Prospère est tombé malade et a demandé qu’on le ramène au Sénégal.
Prospère, l’infatigable
Prospère était le moteur du Xalam, l’infatigable. A l’époque, on avait un grand pavillon pour les répétitions de 11 h à 17 h. Durant ces heures de travail, on ne répondait même pas au téléphone parce que c’était quelque chose de professionnel. Même en dehors des répétitions, c’est Prospère qui s’affairait autour des dates de concerts et autres prestations avec le concours du manager. Prospère était l’assistant du manager. Coundoul s’occupait des questions administratives. C’était donc très dur après la mort de Prospère. Il y avait un peu de découragement. Et il fallait y croire pour continuer l’aventure.
Jouer la musique sénégalaise différemment
Nous avons de superbes mélodies ; mais il faut une bonne négociation sur le plan de la division rythmique. Moi j’ai envie de faire une salsa Sérère parce qu’ils ont une division rythmique bien conçue, c’est pareil pour le Pulaar. Ceux qui ont les gros moyens doivent tout faire pour rompre la monotonie dans la musique sénégalaise. Il faut que le Mbalax soit bien conçu, que les instruments et la parole soient mis en valeur. Mais pour cela, il faudrait que les arrangeurs connaissent l’ossature et la valeur de chaque instrument. Il faut que l’arrangeur connaisse la voix du chanteur, qu’il sache faire la différence entre celui qui n’a pas le sens du rythme mais qui a une bonne voix.
Recul de la musique traditionnelle
La musique traditionnelle n’a plus la même notoriété. Il y a des musiciens qui font le ‘tradi-moderne’, mais malheureusement, ils ne le mettent pas en valeur. Jouer à la fois le marimba, les instruments modernes et traditionnels n’a pas de sens. Quand j’ai créé la musique ‘tradi-moderne’, c’était pour que les femmes chanteuses puissent se différencier des musiciens modernes. Je ne jouais pas la guitare. Je jouais le clavier et je mettais en valeur le xalam, les sabars et un piano acoustique. Mon souci, c’était donc de mettre en évidence les instruments traditionnels.
Manque d’harmonie et d’inspiration
Pour faire carrière dans la musique, il faut l’étudier. Sans notion harmonique, on ne peut pas aller loin. Un instrumentiste doit connaître la théorie. Une chanson doit avoir des harmonies. Mais actuellement, on voit que les chansons tournent autour de trois à quatre mesures. Autre chose : il faut que les jeunes soient humbles. Ils n’ont rien créé. Tous les airs que vous entendez, ont été déjà chantés. Prenez par exemple le thème de l’amour, il est chanté par tous. Un même titre peut être déposé par trente artistes. Ce qui montre que les gens ne réfléchissent pas. Il y a une panne d’inspiration. Pourtant, il y a tellement de choses à dire, mais c’est comme si les chanteurs avaient peur de quelque chose. Un artiste doit avoir une position très claire. Tout le monde connaît, par exemple, celle de Ouza. S’il ne parle plus aujourd’hui, c’est parce qu’il en a marre.
Association des salseros du Sénégal
Si nous avons organisé un téléthon pour Laba Socé, c’est parce qu’il est un ténor. Il est le premier disque d’or salsa africain, sénégalais en particulier. Il ne faut donc pas penser que si on organisait à nouveau un téléthon, on va récolter des millions. Et c’est justement cela que nous voulons éviter, c’est pourquoi nous nous sommes constitués en association. Nous avons recensé les musiciens salseros vivants ou décédés. Nous avons une mutuelle, une coopérative d’habitat. Nous allons essayer de trouver un moyen pour aider ceux qui ne jouent plus. Nous savons que la salsa est la musique qui marche partout dans le monde. L’ambassadeur de Cuba doit nous recevoir. Nous avons projeté de faire des bals mensuels dans les régions, de faire un festival annuel. Mais ce sera de la musique afro-cubaine pour montrer que cette musique vient d’ici, en Afrique. J’ai demandé aux gens de nous préparer tout le patrimoine culturel, les œuvres chantées par les anciens. Nous voulons les mettre en boîte pour les droits d’auteur. Parce que si l’on veut aider un musicien disparu, il faut reprendre ses anciens morceaux. Au moins, nous pourrons vendre ces produits. C’est ainsi qu’entend fonctionner l’association. Cela n’empêche pas qu’il y a d’autres musiciens qui ont leurs propres projets, comme le Baobab. Moi, je travaille à la reconstitution du Xalam et sur le projet de Kiné Lam. Mais l’association a prévu de monter un orchestre qui s’appellera Salsa all stars (Salsas). Ce groupe va être constitué par les meilleurs musiciens du Sénégal.
Doublon de l’Ams ?
Dans toutes les régions où nous sommes passés, un représentant de l’Association des métiers de la musique du Sénégal (Ams) a assisté à nos réunions. Je ne suis pas en train de critiquer l’Ams. Mais je dois préciser une différence de taille : notre association ne regroupe que des pratiquants. Les musiciens de notre association ne sont pas des bureaucrates. Ils sont tous actifs. Ce sont des gens qui jouent et qui savent défendre l’intérêt des musiciens. En plus, je me suis porté volontaire pour être formateur parce que nous voulons rehausser le niveau de la musique. Nous comptons organiser des stages de formation. Nous allons faire des bals pour lever des fonds. De ce fait, nous aurons une caisse fonctionnelle. Tout le monde a confiance en ce projet, il faut que cela réussisse.
Privatisation du Bsda
On ne peut pas privatiser un bureau des droits d’auteur parce que ce n’est pas pour les musiciens seulement. C’est aussi pour les peintres, les cinéastes, les écrivains, etc. Dans tous les pays du monde, il y a un conseil d’administration où peuvent être représentés les artistes. Ce serait très facile de critiquer le Bsda (Bureau sénégalais des droits d’auteur). Pourtant, si on lui avait donné les moyens nécessaires, il n’y aurait plus toute cette piraterie. C’est le président de la République qui doit donner l’ordre de lutter contre la piraterie puisque c’est lui le Protecteur des Arts (…).
Reproche aux journalistes
Ce que je reproche aux journalistes, c’est qu’ils ne s’adressent pas souvent aux expérimentés et à ceux qui connaissent l’histoire de la musique. C’est une erreur : quelqu’un qui ne sait pas ce qui s’est passé en 1980, ne peut pas écrire sur ce qui se passe actuellement. Les jeunes ont trouvé un gâteau sur le plateau parce que cette musique a commencé avec les anciens avant Youssou Ndour et autres. Les journalistes doivent prendre la peine d’aller faire des recherches pour avoir des arguments. Quand ils veulent critiquer un musicien, ils auront des arguments solides. Mais actuellement, c’est comme si les journalistes avaient peur de certains acteurs de la musique. Notre métier comme le vôtre n’a pas d’âge. Il faut que tout le monde fasse son travail.
*(Fin) Propos recueillis par Yacine CISSE, Abdou Rahmane MBENGUE & Mbagnick NGOM
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