«Afrique, entendus, sous-entendus, malentendus», tel est le premier sujet de réflexion qui a marqué l'ouverture des rencontres et échanges hier, dans le cadre de la Biennale de l'Art Africain contemporain de Dakar. Historien à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, le professeur Ibrahima Thioub a, dès l'entame de sa communication, essayé de voir comment les Africains et les non-Africains parlent de l'Afrique. Car l'une des grandes difficultés, pour lui, c'est l'identification de l'Africain. «Ils sont nombreux ceux qui tombent dans le panneau de l'identité chromatique de l'Afrique et qui engendrent des mésententes entre les Africains et les autres», constate Ibrahima Thioub qui a pointé du doigt le regard de l'autre et la difficulté de s'en dérober du fait qu'il (ce regard) «vous fige dans votre 'chromatie' et vous simplifie en tant que être». Ce regard, à l'en croire, impose un certain type de discours à construire ou à déconstruire, qui nous donne à voir, mais surtout à entendre. C'est dans cette optique qu'il a tenté de montrer comment, autour de cette identité chromatique, on a pu construire une histoire et une mémoire qui, à son tour, a construit des pièges.
L'esclavage, l'arrivée des Arabes en Afrique au sud du Sahara, qu'ils ont appelé «le pays des noirs», la conception hégelienne du noir sont, entre autres, des facteurs qui, à son avis, ont créé des sous-entendus et des malentendus. «La légitimation la plus simple a été de construire un malentendu très largement entendu», regrette Ibrahima Thioub.
Toutefois, l'historien a développé sa réflexion en passant par Léopold Sédar Senghor et Cheikh Anta Diop, pour montrer comment toute la production intellectuelle de ces «deux grands hommes», célébrés cette année, est à rattacher à ce regard. Selon lui, ces derniers n'ont certainement pas réussi à échapper à ce regard, mais ils nous ont quand même laissé un héritage sur lequel nous pouvons valablement nous appuyer et dépasser les malentendus. Il pense que les instruments idéologiques par lesquels les Africains sont dominés servent aussi à la dé-construction de la domination et à la libération.
L'Américain Robert Storr a, pour sa part, mis en exergue le questionnement de la corrélation entre identité et regard des autres. Partant de là, il a abouti à «la nécessité de prendre une distance par rapport à l'essentialisme» qui, a son avis, est une création coloniale. Evoquant son pays d'origine qui est de toutes les couleurs et de toutes les cultures, Robert Storr a démontré qu'il y a effectivement lieu de «réapprendre l'expérience historique pour redécouvrir l'identité culturelle africaine». Et ce, «en sortant de ce regard qui nous a été imposé et qui donne à construire un discours qui traduit la complexité».
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