Jimi Mbaye est de ces éléments qui passent presque inaperçus dans les organisations qui réussissent (le Super Etoile en particulier), mais, dont le rôle est d’une importance capitale. Au fil des ans, celui qui était préposé remplacer Kabou Guèye, bassiste d’alors de Youssou Ndour au dancing « Le Balafon », à la rue Macodou Ndiaye (vers l’actuel Immeuble Fahd) - (Kabou avait subi un accident et devait être immobilisé pendant une année) est devenu incontournable dans la formation. Bassiste au début, puis soliste quand Badou Ndiaye est parti de l’Etoile de Dakar, Jimi a eu sa place dès la naissance du Super Etoile en 1981. Bref, dans la pure tradition du curieux reporter, on est allé à la découverte de la température actuelle de l’homme. Prétexte annoncé : la parution prochaine de sa nouvelle production. Echos.
Il est 17h passées dimanche dernier, lorsque notre voiture prend l’axe qui mène vers chez Jimi Mbaye. Le domicile sis à Nord-Foire est connu des habitants du quartier. Son non moins grand collègue, le bassiste Habib Faye loge derrière lui. Enfin, nous sommes chez les «Mbaye»! C’est le plus petit qui ouvre la grande porte pour nous accueillir et nous amener à la pièce qui sert de laboratoire au maître des lieux. Ici, la maison est grande et est divisée en plusieurs segments liés les uns aux autres, en haut comme au rée de chaussée. Le laboratoire est utile pour la partie dite conception des projets d’œuvres musicales, de l’autre côté opposé, le grand studio Dogo qui a accueilli des albums comme la première production en solo de Pape Diouf « Djogal Daagu », « Papa Chéri » de Ami Mbengue,…
« Hi, messieurs les journalistes ! », lance Jimi qui se décale de sa chaise roulante pour saluer vos serviteurs. Sur ces propos, le café est servi pour nous mettre à l’aise et bien enclencher le processus de palabres à outrance dont l’objectif est par ailleurs de mieux cerner la personne et son avis sur la musique sénégalaise en général, et dont les professionnels, les vrais, regrettent la situation actuelle.
« La musique sénégalaise ne marche plus »
Le problème, l’artiste le diagnostique ainsi : « c’est comme la mer et l’eau de pluie. La mer rejette toujours cette eau. Je crois qu’il y a beaucoup de gens qui sont rentrés dans cette musique et qui ne sont pas professionnels en la matière. Cela est valable pour des arrangeurs, des chanteurs comme pour des producteurs. Autant, il y en a qui sont bien, autant, il y en a qui ne sont pas fait pour la chose. On parle de la piraterie, c’est vrai que ça détruit grave… Mais, le vrai problème c’est le foisonnement de chanteurs qui ont tous la même musique, avec des arrangeurs qui ne cessent de se répéter à force de faire la même chose et dans le même temps. Sur la base d’un morceau, tu écoutes toute la musique sénégalaise, ce n’est pas sérieux ». Comme tout bon aperçu, l’analyse semble pertinente. Et pour conforter sa thèse, Jimi se souvient que quelques années en arrière, cette musique était mieux faite et pourtant ne jouissait pas d’autant de facilités technologiques. « Etymologiquement, la musique n’est plus bien faite comme avant. Il y a quelques années, elle était mieux élaborée, aujourd’hui c’est un tintamarre qu’il faut arrêter », dénonce-t-il, amère.
A partir de ce constat et pour mettre le doigt dans la plaie avec une « bouteille d’alcool de 1000° Celsus », « il faut un audit de la musique sénégalaise, voire la création d’un comité de censure pour sauver cette musique ». Ce comité de censure, l’artiste le souhaite par rapport à la musique, par rapport au texte et surtout par rapport à la conception artistico-musicale qui doit être de qualité supérieure. Pour cela, « il faut beaucoup privilégier les harmonies qu’on retient plus que les rythmes qui ne sont que pour la danse ». Sur le plan de la responsabilité des uns et des autres, M. Mbaye désigne les médias, les animateurs et présentateurs de productions musicales, en particulier. « Je crois que les animateurs de radios ont une grosse responsabilité dans cette histoire parce qu’ils font la promotion de la mauvaise musique. Il faut qu’ils soient beaucoup plus sélectifs et pédagogues, parce qu’ils s’adressent à des millions de personnes qui retiennent ce qu’ils leur disent. S’ils éduquent le peuple dans le mauvais sens, ce n’est pas bien et c’est ce qu’ils font malheureusement ». Ainsi, est réprimandé le culte de la médiocrité noté ça et là dans ce qu’il est convenu d’appeler « la musique des animateurs de radios et télé », et non la musiqué sénégalaise, la vraie, celle qui est vraiment bonne et qui peut être distillée à travers le monde entier.
Le nouvel album de Jimi
L’art est si vaste que quand on s’y met, on n’a plus un autre recours que de réussir. Et pour bien le faire, en vivre et bien y évoluer, il faut en avoir les prédispositions d’abord, puis l’envie, le dévouement et enfin la passion. C’est ce qui est arrivé à ce guitariste, qui, par la force des choses, du contexte d’évolution et l’ambiance de travail d’un « Super Etoile » légendaire, s’est retrouvé confiné au simple rôle de jouer de la guitare, mais de le faire bien. Au bout d’un succès de toute une organisation et sur près de trois décennies, l’envie première de chanter est revenue en Jimi. Après « Dakar Heart », sorti en 1998 et qui avait eu un « Indi Awards » aux Etats-Unis (le prix des maisons de disque indépendantes), « Yaye Digalma », en 2004, qui a connu le même succès avec les participations de Ablaye Mbaye et Masané, le troisième semble être aussi bien assaisonné, avec un calebasse rempli de condiments. La sortie prévue en juillet requiert plusieurs facettes. Après u!
ne écoute générale, l’œuvre est presque d’une qualité supérieure à des degrés moindres. Des titres comme « Moulay Dabakh », en hommage au regretté khalife des Tijane, Mame Abdou Aziz Sy, « Baye Magued » dédié au père adoré, « Yaye sama » pour sa maman disparue l’année dernière, « Thiofel », en reconnaissance aux proches, amis et simples admirateurs qui soutiennent ses projets, « Exilés » pour penser aux défavorisés du monde, etc, en sont de parfaites illustrations.
Fidèle à son concept de « World Mbalax », initié après mûre réflexion et plusieurs années de voyages et d’expériences, Jimi pense de ce fait pouvoir séduire le grand public sénégalais, qui est pourtant si fan de ce « mbalax » presque brouillon et bruyant. Mais, à ce titre, il insiste. « Il s’est agit de prévenir ce qui est en train de se passer justement, c'est-à-dire qu’il fallait s’attendre à ce qu’un jour, on dise que la musique sénégalaise ne peut pas être exportée. Et pour cela, il faut faire du « world mbalax », une musique de chez nous, mais qui peut être aussi bien au Sénégal qu’ailleurs dans le monde.
Enfin, il s’agit « d’un album à travers lequel, on tente de corriger la façon dont la musique est faite actuellement dans ce pays. Je crois qu’on doit faire des changements stratégiques sur le plan de l’arrangement musical et sur beaucoup d’autres choses ». Ainsi, « il faut une nouvelle réécriture de la musique sénégalaise », l’un des rares bacheliers du Super Etoile, cigarette en main.
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