L’histoire des communautés humaines fait trop souvent l’impasse sur les héroïnes africaines. Sylvia Serbin répare le tort à travers le livre « Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire » (Editions Sépia, 2004)
Que léguer aux enfants d’Afrique d’aujourd’hui et de demain, quand du continent noir l’on ne retient trop souvent que ce monstre à deux têtes qui n’a cessé de le hanter : esclavage et colonisation ? Des générations d’enfants noirs, livrés à eux-mêmes, ignorent d’où ils viennent. Ils ne savent pas grand-chose de leurs ancêtres, ces anciens à propos de qui le discours colonial n’est pas toujours flatteur. Terre sans culture et sans histoire, oscillant entre enfance et inexistence, « le berceau de l’humanité », en quête de repères, soumet ses fils à un retour vers un passé peut-être glorieux, mais tu au fil du temps par des pilleurs mal intentionnés. Diviser pour mieux régner, manipuler pour sans doute mieux piller, telles sont les modalités de cet assaut des forces coloniales où l’Afrique, en victime offerte, laisse là, sur le chemin de l’horreur, une partie de son histoire.
C’est une interrogation enfantine, banale en apparence, qui pose pourtant le problème essentiel. C’est de cette manière en effet que Sylvia Serbin, auteur de « Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire » s’ouvre à ses lecteurs : « Ma fille, alors âgée de huit ans, m’interrogea un jour, perplexe : ‘’comment se fait-il que tous les autres pays ont des femmes célèbres et pas les gens comme nous (sous-entendu à la peau noire) ? Les Indiens ont Pocahontas, les Américains, Calamity Jane, les Français Jeanne d’Arc, les Anglais, la reine Victoria. Et nous, on n’existait pas avant’’ ? » En réponse à ce questionnement empreint d’angoisse, l’auteur choisit alors de revisiter l’histoire et invite les lecteurs que nous sommes à suivre ses pas dans cette quête du vrai, sorte de relecture du passé de l’Afrique. Et de lire le passé pour une déconstruction du mythe.
Réhabiliter l’Afrique
Lorsque l’on songe à l’Afrique, c’est à ses héros que l’on s’identifie bien souvent et Sylvia Serbin choisit, pour sa part, de ramer à contre-courant. Elle accorde toutes ses faveurs à ces femmes, ces héroïnes tombées dans l’oubli au fil du temps et qui, chacune à leur manière, ont su forcer les portes de l’histoire. Par un coup de pouce du destin, une main tendue à ces hommes qui les entouraient, elles ont de leur empreinte marqué leur temps. L’auteur s’inscrit ainsi dans une démarche de restauration et de réhabilitation de l’Afrique au féminin.
De la reine Pokou aux Amazones du Dahomey en passant par Nefertiti ou les femmes de Nder, ce sont des récits de bravoure et de vaillance, d’amour et de don de soi. Entre obstination et résistance, chacune de ces figures emblématiques se fond dans ces rubriques taillées sur mesure pour abriter leurs images. « Résistantes » ou « guerrières », « reines » ou « prêtresses », l’intuition et la générosité de cœur rythment la vie de ces femmes dont le récit, sous la plume de cette journaliste et historienne de formation, prend souvent tous les traits d’un sacrifice conscient et consenti. Perdre pour gagner, préférer la mort à la captivité, ces destins de femmes sont aussi des histoires de calcul et de stratégies.
Cette relecture du passé de l’Afrique initiée par Sylvia Serbin épouse tous les contours d’une fouille archéologique, un véritable travail d’investigation. On y perçoit, au-delà de cette rigueur à l’égard des faits, une aisance à capter l’attention du lecteur qui s’accroche et suit le fil de chaque histoire. Sylvia Serbin vogue d’un style à un autre, sans confondre le lecteur qui fait ainsi l’expérience d’un bouillonnement sentimental. Entre euphorie et tragédie, elle tangue, secouée par ces vagues de vie. Et le lecteur de se sentir transporté comme malgré lui et de vivre chacun de ces remous. La tristesse emboîte le pas à l’euphorie quand la tragédie sert de toile de fond à ces histoires tissées par Sylvia Serbin.
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