

Le mur en construction.
Sous Khadafi comme auparavant sous la monarchie, les écoles et les
universités ont toujours été mixtes en Libye. À Derna pourtant, dans
l'est libyen, étudiants et étudiantes se préparent pour la première fois
à étudier séparément. Une milice locale a en effet érigé un mur en
plein milieu du campus pour séparer les filles des garçons.
Le mur de séparation sera achevé dans deux semaines et les cours
pourront alors reprendre à l'université Omar al-Mokhtar de Derna. La
construction de ce mur est le résultat d'un accord entre le rectorat de
l'université et une milice islamiste locale, Bouslim, qui va assurer la
sécurité à l'intérieur de l'établissement.
"Cela fait deux ans que les milices islamistes veulent faire la loi dans l'université"
Zohra (pseudonyme) est une ancienne enseignante de l'université Omar al-Mokhtar de Derna.
La construction de ce mur est le résultat de deux ans de pression
des milices islamistes sur la ville et plus particulièrement sur son
université.
Derna est encore plus conservatrice que les grandes villes de
Libye, comme Tripoli ou Benghazi. Les islamistes y ont facilement fait
leur nid, après la chute du régime de Kadhafi. Ils mettent la pression
sur le personnel de l'université et sur les étudiantes. Ils critiquent
la mixité, la tenue vestimentaire de certaines étudiantes, et certains
programmes qui, selon eux, sont contraires à l'Islam. Le département de
droit est le plus visé car il enseigne les lois terrestres et pas la
charia - même si les lois libyennes soit inspirées de la législation
musulmane !
Ces milices extrémistes ne se sont pas contentées de fustiger
l'université, elles ont menacé le personnel enseignant et les
étudiantes, à travers des inscriptions dans la rue, près de l'université
ou même des menaces de mort. Beaucoup d'enseignants sont d'ailleurs
partis pour aller exercer à Benghazi ou à Tripoli.
"Les étudiants savent qu'ils risquent leur vie s'ils critiquent cette mesure"
L'état sécuritaire à Derna, et plus particulièrement à l'intérieur
de l'université, a été l'occasion rêvée pour les islamistes de prendre
le contrôle des lieux [l'université a fermé à plusieurs reprises ces
deux dernières années pour des questions de sécurité à l'intérieur du
campus]. Des armes ont été introduites sur le campus. Il y a eu des
blessés lors d'altercations entre étudiants. Les milices ont alors
proposé un marché au rectorat : assurer la sécurité à l'intérieur du
campus en échange de la construction d'un mur qui sépare les filles des
garçons, et la mise en place d'un uniforme "islamique" pour les
étudiantes. Ces conditions ont été acceptées par la présidence de
l'université, mais également par le conseil local de Derna.
Du côté des étudiants, je n'ai pas entendu d'opposition, mais cela
ne veut pas dire que tous sont d'accord : ils savent bien qu'ils
risquent leur vie s'ils critiquent cette mesure. Et puis certains
veulent juste que l'université rouvre ses portes et qu'ils puissent
poursuivre normalement leurs études, peu importe que ce soit ou non dans
la mixité.
C'est normal qu'après la chute d'un régime dictatorial, un pays
connaisse un certain recul, car les choses mettent trop de temps à se
mettre en place. Qu'une telle initiative soit proposée par des miliciens
ou de simples citoyens, cela ne me choque pas, mais que le rectorat et
même les autorités soient d'accord, c'est cela qui est désespérant.
La ville de Derna, jadis capitale de la région Cyrénaïque, est
connue pour abriter des membres présumés d'Al-Qaïda. En février 2011
déjà, avant la chute de Kadhafi, le vice-ministre libyen aux Affaires
étrangères affirmait qu'un "émirat islamique" avait été établi par les
insurgés, notamment un ancien détenu du camp de Guantanamo.
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