Il faut soigner le soldat Dadis
Le 17 octobre 2009, Jeune Afrique est entré dans sa cinquantième année. Occasion d’un regard rétrospectif sur un demi-siècle de cheminement commun entre le continent et votre hebdo, marqué par autant de passion que de raison, mais aussi par quelques épisodes tragi-comiques qui ont vu J.A. aux prises avec des pouvoirs à la fois tyranniques et ubuesques. Le dernier en date, qui a pour cadre la malheureuse Guinée, n’est pas sans nous rappeler quelques souvenirs?: celui de l’empereur Bokassa, il y a trente ans, faisant juger par contumace l’un de nos journalistes pour crime de lèse-majesté, celui aussi de Sékou Touré condamnant à mort notre collaborateur Siradiou Diallo. Cette fois, l’Ubu en uniforme s’appelle Dadis Camara. Il a, comme chacun le sait depuis le 28 septembre, pas mal de sang sur les mains. Il parle de lui à la troisième personne, ce qui n’a jamais été un signe d’équilibre, et il entretient avec notre journal, qu’il dit lire depuis sa prime jeunesse, un rapport inquiétant fait de désir et de haine. Deux de nos journalistes pourraient en témoigner. Cécile Sow tout d’abord, correspondante de J.A. à Dakar et envoyée spéciale en juillet à Conakry?: reçue après minuit au camp Alpha-Yaya par un président pieds nus et en bermuda, attirée dans sa chambre, importunée, demandée en mariage, harcelée au téléphone après son retour au Sénégal par un capitaine tour à tour transi et menaçant?: « Dadis t’aime, Dadis te veut, tu me rends fou, viens me rejoindre, je te donnerai tout?! », puis traitée de « très méchante » quand elle lui eut, une fois pour toutes, signifié de ne plus insister.
Cheikh Yérim Seck ensuite. Auteur d’une enquête prémonitoire publiée dans J.A. quinze jours avant le massacre du 28 septembre – « l’incroyable capitaine Dadis » – et objet depuis de la vindicte débridée du chef de l’État (ou de ce qu’il en reste). Au lendemain de la parution de ce numéro, le bipeur compulsif qu’est manifestement Dadis a appelé – tenez-vous bien – dix-sept fois la direction de la rédaction de J.A., mais aussi le standard du journal, pour se plaindre de notre collaborateur?! Le 2 octobre, fête de l’Indépendance, alors que le sang de ses compatriotes maculait encore les marches du stade et après avoir déposé la gerbe du souvenir, il n’a pas trouvé mieux que de récidiver devant les micros et les caméras. Une semaine plus tard, enfin, profitant de l’étrange complaisance d’une chaîne de télévision panafricaine, le petit caudillo de Conakry dont la communauté internationale exige désormais, au minimum, le départ, déversait sur Seck et sur J.A. un flot d’injures nauséeuses qu’il serait intéressant de soumettre à l’examen d’un psychiatre.
Puisque, manifestement, Dadis Camara nous lit, nul doute qu’il trouvera dans les lignes qui précèdent matière à résilier son abonnement. Cela tombe bien. Après quarante-neuf années d’existence qui furent autant de défis lancés à l’arbitraire et à la bêtise, Jeune Afrique n’a pas besoin d’un lecteur comme lui.
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