De plus en plus de politiciens néerlandais souhaitent légaliser d'autres drogues que le cannabis, comme par exemple l'ecstasy. Juste de l'autre côté de la frontière, quelques spécialistes belges s'inquiètent d'assister à une augmentation des décès dûs à la drogue. Mais pas tous, loin de là. "Si le gouvernement a plus de contrôle, vous voyez qui consomme et vous vous assurez qu'il n'y a rien de toxique dans les substances vendues", argumentent discrètement beaucoup d'autres voix. Et si on osait revoir notre copie?* "Pourquoi interdisons-nous encore l'ecstasy alors que l'alcool est en vente libre?", s'interroge Paul Depla (PvdA), le bourgmestre de Breda aux Pays-Bas.
Le maïeur de cette commune qui jouxte la province d'Anvers a appris lors d'entretiens avec des experts que cette drogue était moins dommageable pour le consommateur que l'alcool. C'est pourquoi il enjoint désormais le gouvernement néerlandais d'étendre la légalisation du cannabis à d'autres drogues comme l'ecstasy. Question d'équité en matière de détention de drogue et surtout de logique. GroenLinks, parti d'opposition, est du même avis et fait également pression sur La Haye. Le parti plaide carrément pour un système où la production d'ecstasy fonctionnerait via des licences, ce qui permettrait au gouvernement de surveiller la composition et la qualité des drogues.
"Avec la coke, le speed, l'ecstasy, ça peut dégénérer instantanément"
Jan Tytgat, toxicologue de référence belge exerçant à l'université catholique de Louvain, souhaite nuancer l'assertion "il est logique d'autoriser l'ecstasy si on autorise l'alcool en vente libre". Selon lui, ce n'est pas si simple. "On a vite fait de comparer des pommes avec des poires. L'alcool est très certainement une drogue dure avec un risque d'addiction mais malgré tout, dans la plus grande majorité des cas, les consommateurs savent en boire de temps en temps sans devenir accro.
Le grand problème de l'ecstasy n'est pas vraiment la dépendance en soi, mais le danger accru de mourir d'une overdose. L'ecstasy est une amphétamine dont le principe actif, la MDMA, stimule notre cerveau et provoque une certaine euphorie. C'est une drogue qui fait halluciner comme le LSD ou les champignons. Si le gouvernement parvient à s'assurer qu'aucune substance toxique (comme des pesticides) n'est ajoutée dans ces drogues, alors oui c'est un avantage. Mais un maigre avantage à mon sens.
Peu de consommateurs de drogues dures ont sufisamment conscience de ce qui compose ce qu'ils prennent. C'est pourquoi je crains une véritable augmentation des cas d'overdoses mortelles. Puis en rendant l'ecstasy libre d'accès, vous faites passer aux jeunes le message que ce n'est pas bien grave de prendre ce genre de 'bonbon' finalement innocent. Or, ça l'est. L'alcool et le tabac causent du tort aussi, évidemment, mais à long terme.
Avec la coke, le speed et l'ecstasy, cela peut dégénérer instantanément". "Il faut voir ce que le cannabis provoque déjà chez certains" Et si les Pays-Bas franchissaient le cap, cela aurait-il un impact sur les touristes belges de la drogue? C'est bel et bien l'avis de Marino Keulen, bourgmestre Open VLD d'une autre commune belge frontalière, Lanaken. "Pour le cannabis, vous savez, les réseaux criminels ont encore gardé la main sur une partie du marché. Car vous devez en réalité vivre aux Pays-Bas pour vous procurer de l'herbe. Cela reste une attraction pour les touristes de la drogue mais aussi pour les organisations criminelles qui dealent à plein régime.
Pour l'ecstasy, ce serait la même chose mais en pire. Il n'est pas rare que ceux qui sont accros à la drogue soient à cours d'argent. Et ils ne recourent pas toujours à des moyens légaux pour se procurer l'argent nécessaire à leur consommation. Quant à l'aspect sanitaire de la chose, j'invite tout un chacun à visiter nos cliniques psychiatriques afin de voir ce que le cannabis provoque chez quelqu'un.
Avec le robinet fermé, nous devons déjà suffisamment colmater les fuites. Imaginez si on ouvre les vannes", s'inquiète-t-il. "On n'élimine pas les risques liés à l'ecstasy en la laissant relever d'un réseau criminel" Mais tous les politiciens belges ne sont pas contre une décriminalisation des drogues dites douces et de certaines drogues plus dures. Le mouvement citoyen "Smart On Drugs" est soutenu en ce sens par le secteur académique. Cathy Matheï, professeur en médecine à l'université de Louvain, explique que légaliser les drogues semble relever du blasphème en Belgique mais que le débat mérite d'être ouvert.
"Réguler peut prendre plusieurs formes. Bien sûr, il ne faut pas lancer un rayon drogues au supermarché, mais nous devons comparer les avantages et les inconvénients. Il y a certainement des risques liés à la consommation d'ecstasy, mais que l'on n'élimine pas en la laissant aux mains de réseaux criminels. Grâce au contrôle de l'Etat, vous avez un regard sur le type de consommateurs, de vendeurs et vous vous assurez qu'il n'y a rien de toxique dans la composition. Nous pouvons continuer la prévention pour canaliser la consommation mais à la fois donner un cadre plus sécurisé à ceux qui consomment malgré tout".
"Alcool, nicotine et héroïne bien plus addictifs que l'ecstasy"
Tom Decorte, criminologue à l'université de Gand, est plutôt pour la légalisation lui aussi. "Quand on compare les pour et les contre, il faut se rendre à l'évidence. Si vous interdisez les drogues, vous devez aussi interdire l'alcool et le tabac. Si vous légaliser certaines drogues, vous devez le faire pour toutes. Sur la liste des substances les plus toxiques, les experts placent l'alcool, la nicotine et l'héroïne sur le podium en raison de leur degré d'addiction. L'ecstasy et surtout le cannabis figurent bien plus bas dans le classement. Contrôler la production d'ecstasy n'est pas si compliqué que cela.
La vraie question, c'est: quelle mode de distribution du produit prévoyez-vous? Je suis contre la commercialisation des substances toxiques, elles ne doivent pas se retrouver sur le marché en vente libre. En ce qui concerne le cannabis, je suis pour le modèle uruguayen: culture personnelle limitée à domicile, consommation dans le cercle privé et disponibilité en pharmacie. Dans ce pays, la production illégale a diminué de 40% en quelques années. A terme, cela pourra atteindre les 90%. Très intéressant comme modèle. Ici aussi, on y pense. En off, les politiciens me l'avouent. Mais évidemment, tout le monde a peur de perdre des voix en faisant une telle sortie publique sur la légalisation des drogues. Donc on va persévérer: statu quo quelque temps encore, je le crains", analyse-t-il.
1 Commentaires
Anonyme
En Décembre, 2018 (12:52 PM)Participer à la Discussion