Les députés argentins ont adopté, vendredi, le projet de loi autorisant l'interruption volontaire de grossesse, deux ans après un premier rejet de la part du Sénat. Réclamé depuis des années par les mouvements féministes, le projet de loi, désormais soutenu par le président Alberto Fernandez, prévoit la possibilité d'avorter jusqu'à la quatorzième semaine.
Deux ans après le blocage d'une proposition de loi similaire, les députés argentins ont adopté, vendredi 11 décembre, un texte visant à légaliser l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Ils ont commencé les débats la veille, lors d'une journée particulièrement symbolique puisqu'elle célèbre à la fois la journée internationale des droits de l'Homme, mais aussi le premier anniversaire de l'arrivée au pouvoir du président péroniste Alberto Fernandez qui avait fait du droit à l'IVG un argument de sa campagne.
Le projet de loi, réclamé depuis des années par les mouvements féministes, prévoit la possibilité d'avorter jusqu'à la quatorzième semaine. Un tournant radical dans la législation argentine : le pays pourtant pionnier sur certaines questions sociétales en Amérique latine pour avoir promulgué des lois sur le mariage homosexuel et l'identité de genre, n'autorise, à ce jour, l'avortement qu'en cas de viol ou de danger pour la santé de la personne enceinte et avec l'autorisation d'un juge. Des dizaines de femmes meurent ainsi chaque année des suites d'un avortement clandestin.
Le texte qui a reçu l'approbation de la Chambre des députés, pourrait en revanche se heurter, en janvier prochain, aux réticences des sénateurs jugés plus conservateurs. Le vote s'annonce pour le moins serré : selon les estimations de l'organisation Economia Feminista, 35 sénateurs devraient voter contre le projet de loi et 33 pour.
"Une mobilisation trans-générationnelle"
Il y a deux ans, les sénateurs avaient déjà rejeté un texte similaire, dissipant les espoirs de changement de dizaines de milliers de jeunes femmes descendues dans la rue, un foulard vert à la main, pour défendre leurs droits. Cette année-là, militantes et simples citoyennes avaient formé une "vague verte", mouvement inédit et spontané s'imposant pendant des mois, aussi bien sur les avenues des grandes villes qu'au sein des débats publics.
"Beaucoup de jeunes filles issues des classes populaires et moyennes ont manifesté pour la première fois lors de cette campagne. Mais on a vu aussi des femmes plus âgées, qui apportaient avec elles leurs expériences de militantes féministes. Cette mobilisation est trans-générationnelle, ce qui explique aussi, à mon sens, son ampleur et son efficacité", rapporte auprès de France 24, Maricel Rodriguez Blanco, docteure en sociologie de l'École des hautes études en sciences sociales et spécialiste des mouvements sociaux en Argentine.
Cette année, Covid-19 oblige, l'exaltation de la rue n'était évidemment pas la même qu'en 2018. Les manifestations plus clairsemées ont laissé place à des campagnes d'affichage et à une mobilisation davantage ancrée sur les réseaux sociaux. La colère, elle, en revanche, n'a pas faibli. D'autant plus que la gravité de la pandémie a failli éclipser le projet de loi initialement déposé mi-mars au Parlement. "On a bien sûr compris la nécessité du report", rapporte auprès de France 24, Ofelia Fernández, 20 ans, députée de la coalition présidentielle pour la ville de Buenos Aires (la plus jeune législatrice d'Amérique latine) et référente du mouvement pro-IVG.
"La question de l'avortement va toujours générer de l'antagonisme"
"Mais lorsque la situation est revenue à la semi-normale, fin août, le texte avait disparu de l'agenda législatif. Et les prétextes étaient indignes : 'ce n'est pas le moment de générer de la discorde'. La question de l'avortement va toujours générer de l'antagonisme, et aucun droit similaire n'a jamais été conquis en essayant de modérer cette tension ! Il a donc fallu se mobiliser pour rappeler sa promesse au Président", ajoute Ofelia Fernandez.
Deux ans après le rejet du texte initial, les espoirs de voir la législation changer n'ont jamais été aussi grands. D'abord car le projet de loi bénéficie du soutien d'un président ouvertement favorable à l'IVG, une première en Argentine. Mais aussi car depuis 2018, le Congrès a été partiellement renouvelé [la moitié des députés et un tiers des sénateurs]. "Surtout, le texte a été débattu avec l'opposition et quelques modifications ont été apportées à plusieurs articles. Ces changements laissent penser que le projet sera mieux accueilli par les sénateurs. Enfin, il ne faut pas oublier l'influence que peut avoir sur la chambre, Cristina Kirchner, [ancienne présidente argentine et] aujourd'hui présidente du Sénat", rappelle Maricel Rodriguez Blanco.
Une influence au-delà de l'Argentine ?
L'actuelle vice-présidente du pays, aujourd'hui ouvertement pro-IVG, devra trancher, en cas d'égalité des voix au Sénat. L'optimisme est alors permis. "Malgré le poids de l'Église catholique, le projet est aujourd'hui en bonne voie et on peut s'en réjouir. Il est le fruit d'un immense travail, d'une campagne nationale portée par plus de 300 organisations, avec des manifestations d'ampleur inégale, mais présentes dans le pays, depuis de nombreuses années", note la sociologue.
Une mobilisation dont la force pourrait même traverser les frontières et inspirer les pays voisins sud-américains qui pour la plupart, se montrent toujours réticents à légaliser l'avortement. "La campagne argentine pour l'IVG a tissé des liens de solidarité très forts avec des mouvements féministes d'autres pays d'Amérique latine [la Bolivie, le Pérou etc]. Les jeunes militantes partagent leurs compétences, diffusent leurs actions et travaillent ensemble sur des questions juridiques. Bien sûr chaque pays a son histoire particulière, mais ce tournant progressiste gagne de l'ampleur. Si l'Argentine venait à légaliser l'IVG, cela pourrait sans doute faire bouger les lignes sur tout le continent…"
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