
Au milieu des mémoriaux en hommage aux 84 personnes tuées de la promenade des Anglais, un carré de bitume est devenu un défouloir : c'est là qu'a été tué le chauffeur du camion.
C’est un endroit à part sur la promenade des Anglais. On ne s’y approche qu’à tâtons, en s’interrogeant ou en passant son chemin. Au milieu des mémoriaux, en face du palais de la Méditerranée, se dresse un monticule de déchets. C’est ici précisément que le chauffeur du camion a été tué. Un carré de bitume devenu défouloir.
Lucie quitte le cercle de badauds, prend son élan et crache de toutes ses forces. «J’en ai besoin pour faire sortir ma haine, dit-elle en accompagnant son geste d’un signe d’agacement. C’est une sorte d’exutoire, ça me libère de quelque chose.» Un crachat parmi tant d’autres qui a rejoint les pierres, bouteilles plastiques et papiers qui recouvrent déjà les mots «assassin» et «lâche», inscrits sur l’asphalte. Parfois un passant fait valdinguer les déchets en donnant un coup de pied dans le tas. «Il ne mérite rien d’autre. Je n’ai pas de mots pour décrire son acte alors j’ai balancé mon paquet de cigarettes», tente d’expliquer Jessica en tenant par la main son fils. Sur son dos, un T-shrit M’en bati, sieu Nissart [Je m’en fous, je suis Niçois].
De l’autre côté du cercle, Mickaël a sorti un stylo. Ce vingtenaire crayonne en lettres capitales : «Bâtard, meurs en enfer». A peine le papier froissé qu’il est nerveusement jeté sur le monticule : «Notre voisine est décédée. Il y avait de fortes chances pour que j’y sois ce soir-là.» Sa sœur l’interrompt. «On ne combat pas la haine par la haine, glisse-t-elle. Viens, on va aller déposer une bougie un peu plus loin !»
Et c’est justement ce mélange des genres entre les lieux de recueillements et celui du défoulement qui gêne quelques rares passants. Khadija est mal à l’aise. «On ne devrait pas lui accorder notre colère. Même pas un instant de notre temps, dit celle qui vient tous les jours depuis vendredi. Et s’ils ressentent de la haine, jeter un papier n’est pas suffisant.» Khadija passe son chemin. Elle préférera rester de longues minutes devant les bougies, les fleurs et les peluches installées aux endroits où 84 personnes sont décédées le soir du 14 juillet.
Mathilde Frénois à Nice
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