Depuis maintenant près de 2 mois, aucune barque transportant des immigrés clandestins n'est arrivée sur les îles Canaries. Alors que depuis des années, ces îles espagnoles étaient l'une des portes d'entrées principales des clandestins en Europe.
L’Agence européenne Frontex, qui coordonne la lutte contre l’immigration clandestine avec les pays d’émigration (Mauritanie, Maroc et Sénégal notamment), se félicite de ce résultat. Pourtant, les immigrés en provenance d’Afrique continuent de tenter leur chance en Europe. Ils changent simplement de route.
Entretien avec Juan Antonio Corujo, coordinateur de l’équipe d’urgence de la Croix-Rouge aux Canaries.
RFI : Voilà maintenant près de soixante jours que le dernier bateau est arrivé aux Canaries. Comment expliquez-vous cet arrêt si brutal ?
J.A. Corujo : En 2006, plus de 31 000 immigrés en provenance d'Afrique y avaient été recueillis. Un chiffre record. Puis fin 2008, un peu moins de 12 000 personnes étaient arrivées par bateau sur les îles Canaries. Au cours des deux dernières années, il y a donc eu une baisse notable du nombre d’arrivées.
Selon certains experts, la crise économique joue un certain rôle dans ce phénomène. Elle dissuaderait les candidats au départ d’aller en Espagne... Même si cette explication est contradictoire avec l'augmentation sensible des arrivées d'immigrés en Andalousie. En réalité, il y a surtout une plus grande vigilance dans la zone Frontex, qui comprend toute la zone de la Méditerranée au Cap Vert. Cette vigilance a augmenté grâce à la coopération bilatérale entre les polices espagnole, marocaine, mauritanienne et de toute l'Union européenne...
RFI : C’est donc l’action conjuguée des polices européennes et des pays de transit, comme le Sénégal, qui bloque l’émigration vers les Canaries ?
J.A.C. : Il semble en effet que cette pression policière pousse les mafias, celles qui font du trafic d'êtres humains, à choisir d'autres routes, plus sûres, afin de ne pas être détectées. C’est en tout cas l’hypothèse la plus solide que nous ayons aujourd’hui. Car le flux migratoire continue. Ce que l'on observe en fait, c'est un changement de route vers les côtes du nord du Maroc, de l'Algérie et de Libye. De telle manière que les sorties du continent africain se font davantage vers la Méditerranée, plus particulièrement vers le sud de l'Espagne. La semaine dernière par exemple, des bateaux sont arrivés sur la côte andalouse, non loin de Grenade et d’Almeria.
RFI : Pensez-vous que les routes d’émigration excluent désormais les îles Canaries ?
J.A.C. : Evidemment, cela fait très longtemps que nous n’avions pas été confrontés à une telle situation, à un arrêt de l’arrivée de bateaux. Ceci dit, les flux migratoires sont imprévisibles. Et il se peut très bien que les choses changent dans les prochains jours ou les prochaines semaines. Ici, à la Croix-Rouge, nous restons donc très vigilants. Et nos équipes sont mobilisées au cas où arriverait un ou plusieurs bateaux.
RFI : Selon vous, l’Andalousie serait donc devenue la nouvelle porte d’entrée espagnole dans l’Union Européenne ?
J.A.C. : En fait ces derniers mois, les arrivées de bateaux sur les côtes andalouses sont restées plutôt stables. Elles ont même sensiblement augmenté. La semaine dernière, nous avions comptabilisé l’arrivé de 3 bateaux, dans lesquelles se trouvaient 115 personnes. Ils se sont échoués sur les côtes proches de Malaga et de Grenade. Et du coté d’Almeria, on a retrouvé 64 personnes. Il est probable qu’au cours des derniers mois environ 500 personnes soient arrivées en Andalousie, mais c’est un chiffre approximatif. Au total, environ 1300 personnes ont pris pied l’année dernière en Andalousie
RFI : Les trafiquants privilégient-ils le passage en mer Méditerranée par facilité ?
J.A.C. : Il faut prendre en compte le fait que les embarcations qui arrivent en Andalousie, après être parties de l’Afrique du Nord, sont de petite taille. Elles ne peuvent transporter qu’une trentaine de personnes. Alors que celles qui débarquent sur les plages des Canaries peuvent, elles, contenir plus de 200 personnes. Les bateaux rapides utilisés en Méditerranée sont difficilement détectables. Ils passent plus facilement inaperçus et peuvent être confondues avec des bateaux de pêche. Mais la vigilance exercée par les autorités espagnoles et marocaines reste très importante, et il devient de plus en plus difficile de passer au travers.
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