Après un procès inédit en France, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a été relaxé mercredi dans une affaire de conflits d'intérêts par la Cour de justice de la République (CJR), une décision qui éclaircit son horizon politique.
Les juges de la CJR, seule juridiction pouvant juger les faits commis par un membre du gouvernement, ont déclaré l'ancienne star du barreau "non coupable", rejetant les réquisitions de l'accusation d'une condamnation, qui aurait entraîné le départ de ses fonctions de l'ancienne star du barreau.
"C'est ce que le droit dictait. C'est évidemment une satisfaction, une émotion énorme", a réagi devant la presse Me Jacqueline Laffont, l'une de ses avocats.
L'accusation avait réclamé un an de prison avec sursis à l'encontre du ministre, soupçonné d'avoir profité de son poste pour régler ses comptes avec quatre magistrats qu'il avait critiqués du temps où il était avocat.
La cour a considéré que "l'élément matériel" de la prise illégale d'intérêts était bien constitué mais pas l'élément intentionnel. "A aucun moment", le ministre "n'avait exprimé (...) une animosité, un mépris ou un désir de vengeance" envers les quatre magistrats, a déclaré le président de la CJR Dominique Pauthe.
Nommé au gouvernement à la surprise générale à l'été 2020, l'ex-pénaliste de 62 ans, personnalité éruptive et clivante, a toujours clamé son innocence dans cette affaire déclenchée par une plainte sans précédent des syndicats de magistrats à la fin 2020.
- La "démission" dans la balance -
Pendant le procès, le premier en France d'un ministre de la Justice en exercice, ses avocats avaient martelé qu'il n'était "coupable de rien", soutenant qu'une condamnation, même "la plus basse", entraînerait sa "démission".
Dans une première réaction, les députés Insoumis de l'opposition de gauche radicale ont appelé à supprimer la CJR - composée de trois magistrats professionnels et de 12 parlementaires de tous bords - longtemps accusée de faire preuve de clémence.
Le président français Emmanuel Macron a toujours maintenu sa confiance en son ministre, nonobstant l'émoi suscité par cette affaire dans la magistrature. M. Dupond-Moretti devait être reçu dans l'après-midi par Emmanuel Macron, selon l'entourage présidentiel.
Sur ce dossier comme dans d'autres, le chef de l'Etat a refusé d'appliquer une règle non-écrite longtemps observée en France selon laquelle un ministre inculpé devait quitter ses fonctions.
En 2021, ce n'est qu'après sa condamnation à six mois de prison avec sursis que le ministre délégué aux Petites et moyennes entreprises Alain Griset avait été contraint de démissionner.
S'il avait été reconnu coupable, Eric Dupond-Moretti aurait connu le même sort: invoquant une "règle claire", la Première ministre Elisabeth Borne avait exclu son maintien en fonctions en cas de condamnation.
Ce ministre est un poids-lourd du gouvernement, en première ligne face à l'extrême droite. Il a obtenu des hausses sans précédent du budget de la Justice, qui souffre en France d'une sous-dotation chronique.
- "Décideur" -
Un autre membre du gouvernement, le ministre du Travail Olivier Dussopt, est actuellement jugé à Paris pour une affaire de favoritisme remontant à son mandat d'élu local à la fin des années 2000. Le parquet a requis mercredi 10 mois d'emprisonnement avec sursis et 15.000 euros d'amende à son encontre.
L'affaire Dupond-Moretti avait débuté fin juin 2020, en marge d'une affaire de corruption visant l'ancien président Nicolas Sarkozy.
L'hebdomadaire Le Point révèle que des magistrats du Parquet national financier (PNF) ont fait éplucher des factures téléphoniques de plusieurs avocats, dont Eric Dupond-Moretti, pour débusquer une éventuelle taupe qui aurait informé M. Sarkozy qu'il était sur écoute.
Eric Dupond-Moretti, alors l'un des avocats les plus connus de France, dénonce une "enquête barbouzarde".
Une fois au gouvernement, il ordonne une enquête administrative contre trois magistrats du PNF après réception d'un rapport commandé par sa prédécesseure.
Dans une autre affaire, il décide d'ouvrir une enquête contre un quatrième magistrat, ex-juge détaché à Monaco dont il avait dénoncé en tant qu'avocat les méthodes de "cow-boy" et contre lequel il avait porté plainte au nom d'un client pour violation du secret de l'instruction.
Le ministre "qui savait mieux que quiconque les conflits d'intérêts qu'il pouvait avoir avec les magistrats concernés" aurait dû s'abstenir d'être "décideur", a conclu l'enquête.
"J'ai fait ce que n'importe quel garde des Sceaux aurait fait à ma place", s'est défendu le ministre.
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