Le président de la République refuse la manière forte, malgré la gravité de la situation, et repousse les réformes. On peut espérer qu'il attende le moment propice, on peut craindre qu'il ne veuille durer par l'inaction... Pour lui et pour la France, ce serait une stratégie funeste. Il n'est à l'Elysée que depuis dix semaines, mais paraît président depuis bien plus longtemps. L'imprévisible fracas des temps sarkozyens nous semble une lointaine ère "paléopolitique", tant la placidité de son successeur est vite devenue familière.
François Hollande préoccupé par l'entorse au genou d'un parachutiste blessé lors de la parade du 14 Juillet. François Hollande passionné par le coup de pédale de Thomas Voeckler sur le Tour de France. François Hollande empressé auprès de son prédécesseur, Jacques Chirac, éprouvé par l'âge. C'est le président de toutes les sollicitudes, de toutes les proximités. Mais est-il le président des solutions? A ce poste, on n'a pas le droit, aujourd'hui, d'être bonhomme; ni même d'être optimiste. A moins de faire semblant...
Avec ce président, le pays est sous tranquillisant
A la France qui a voté pour lui, le nouveau chef de l'Etat envoie quelques signes tangibles, bien que coûteux, comme la retraite à 60 ans pour les carrières longues ou le plan d'embauche dans l'Education nationale. C'est là une question de cohérence politique (rentable aux législatives), de fermeté idéologique (utilisable à l'international) et de continuité médiatique (vendable comme suite de la campagne).A la France qui n'a pas voté pour lui, le président Hollande offre un personnage soucieux de sobriété dans l'exercice du pouvoir, de discipline au sein du gouvernement et de sérieux à tous les échelons politiques. Si l'action menée n'est pas approuvée par ces électeurs, la manière est appréciée.
Voici donc le pays rasséréné, qui s'abandonne à la torpeur des vacances sans songer aux difficultés qui approchent. Avec ce président, le pays est sous tranquillisants, Hollande est un anesthésiste, le hollandisme est une hypnose. L'avis de Jean Peyrelevade sur ce qu'il appelle la stratégie d'évitement de François Hollande.
C'est donc un grand malentendu qui se prépare, ou une terrible mésaventure. Un malentendu si Hollande cache son jeu, préparant pour l'automne un violent rendez-vous du réalisme. L'hypnose peut aussi être une technique pour opérer le malade par surprise et en limitant la douleur... En ce cas, le président annoncera aux catégories populaires et aux classes moyennes qu'elles vont, comme les plus riches, payer le prix du redressement des comptes publics, en perdant du pouvoir d'achat et des prestations sociales. Il dira aussi aux fonctionnaires que la garantie de leur emploi, si elle n'est remise en question, ne peut être préservée qu'au prix d'une fonte de leur rémunération nette et d'une hausse de leur productivité.
Il avouera enfin aux retraités que leur niveau de vie est appelé à chuter durablement. Il sera impopulaire, et la violence du ressentiment de ses propres électeurs sera égale aux espérances placées en lui, multipliées par le temps perdu avant d'annoncer la vérité. Car le président sera alors dans le vrai, c'est-à-dire dans le dur.
Plus de Calonne que de Turgot ou de Necker
Si François Hollande ne choisit pas ce réveil brutal, il entraînera le pays dans une fâcheuse mésaventure. La France ne peut se contenter de dépenses publiques qui n'augmentent plus, elle a besoin d'un plan drastique pour les réduire. Dans les premiers pas budgétaires du gouvernement Ayrault, il y a plus de Calonne, ce dispendieux contrôleur général des Finances de Louis XVI, que de Turgot ou de Necker, ses rigoureux prédécesseurs.
Or, en 2012 comme en 1785, la dépense publiquene peut qu'être de la poudre aux yeux, qui réjouit et rassure, avant que la réalité de la dette ne présente la facture. Hollande a sanctuarisé -non sans arguments- éducation, police et justice, mais il n'a donné pour le reste qu'une consigne générale; or il ne suffit pas de dire que tous les ministres doivent faire un effort: il faut préciser lesquels et à quelle hauteur. Si son projet est de proroger l'Etat redistributif par des rustines comptables, parce que c'est l'Etat électoral, le président ira vers de graves désagréments électoraux, et le pays, vers un durable châtiment économique. Dans son amorce de réforme de la fiscalité, le gouvernement commet deux erreurs: culpabiliser les riches au lieu de les associer à un redressement patriotique mobilisant leurs ressources; conférer à l'impôt une mission de "vengeance" sociale plutôt que d'efficacité économique. Le redressement du pays dans la justice, slogan du nouveau pouvoir, ne doit pas signifier que des torts supposés sont redressés par des justiciers autoproclamés.
L'absence de tournant de la rigueur au sommet de l'Etat est d'autant plus dommageable que cette exemplarité est le socle de toute politique de ponction fiscale. Si l'administration est irréprochable, si la protection sociale est subordonnée à l'efficacité, prélever plus d'impôts est légitime. Mais, s'il s'agit de payer plus pour que l'Etat gaspille davantage, alors c'est une double peine insupportable.
C'est à la gauche de réformer le droit du travail
François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont le souci de l'intérêt général: accompagnant une purge des dépenses publiques, l'effort fiscal de tous permettrait à l'Etat de soulager les entreprises et de leur rendre de la compétitivité par une forte baisse des charges. Seule la compétitivité crée du profit, seul le profit permet l'investissement (plus, en tout cas, que le crédit, voir la tribune deJean Peyrelevade), seul l'investissement entraîne l'emploi. Et encore: il faut instaurer une flexibilité, le CDI étant moins, aujourd'hui, un contrat à durée indéterminée pour l'employé qu'un risque à coût incalculable pour l'employeur.
Le droit du travail est en train de s'autodétruire: il ne protège plus le salarié, puisqu'il dissuade l'embauche.
C'est à la gauche de le réformer, comme elle le fit dans les pays nordiques ou en Allemagne, car elle a dans sa besace un indispensable humanisme et la nécessaire confiance des syndicats. Il est un cauchemar français, que les citoyens endormis par les précautions émollientes de leur président feront peut-être au cours de l'été: pour mieux rompre avec Nicolas Sarkozy, François Hollande devient Jacques Chirac et ne réforme rien, comme si la France était victime d'une sorte de malédiction corrézienne. Même si, dans son interview télévisée du 14 juillet, il n'a prononcé qu'une seule fois le mot crise, il est peu probable que l'actuel président, intelligent et expérimenté, croie qu'à ne rien faire on ne risque pas d'échouer...
Il a vu François Mitterrand échouer en 1981-1983 et Lionel Jospins'essouffler dès 1999, le premier parce qu'il mena une politique déraisonnable afin d'être fidèle à la présidentielle passée, le second parce qu'il refusa de mener une politique réaliste afin de préparer la présidentielle à venir. En grattant l'image de François Hollande, on espère trouver Jacques Delors, et même Winston Churchill: il serait désolant de tomber sur Henri Queuille... Pour l'heure, l'intelligence élyséenne est tactique, elle se déploie à ras de terre: le président tient son camp, rassure les marchés, occupe les partenaires sociaux et endort l'opinion.
Les "cent jours" devraient s'appeler les "sans jours", et cela ne peut durer. François Hollande doit prendre de la hauteur dans l'analyse de la situation et de la profondeur dans l'action. Alors il pourra à son tour scruter la France au fond des yeux, et pas pour l'hypnotiser; mais aussi, quand viendra l'heure du bilan, se regarder bien en face dans l'incassable et maléfique miroir du narcissisme politique.
1 Commentaires
Michaéél
En Juillet, 2012 (19:53 PM)Participer à la Discussion