Le capitaine Dadis Camara souligne l'indiscipline et la totale désorganisation de l'armée, qu'il « faut obligatoirement réformer ». Mais il impute la responsabilité du « carnage », aux leaders de l’opposition en les accusant d’avoir poussé des jeunes à la rue. Mais les révélations se font de plus en plus précises venant des organisations des droits de l’homme et même des rangs de l’armée. Nous publions le témoignage d’un militaire, acteur de la répression.
RFI : Monsieur, vous êtes militaire au sein du BATA, le Bataillon autonome des troupes aéroportées, et vous étiez parmi les soldats qui ont réprimé la manifestation du 28 septembre.
Militaire : Effectivement monsieur, je fais partie de ceux qui ont réprimé cette manifestation sanglante au niveau du stade du 28 septembre ; oui !
RFI : Je veux d’abord vous demander si toutes les informations qu’on a diffusées ces derniers jours c’est-à-dire tous les témoignages qu’on a eus font état de tirs à balles réelles sur les populations et de viols de femmes. Est-ce que vous avez vu ça de vos propres yeux ? Est-ce que vos collègues du BATA, les militaires ont commis ces actions ?
Militaire : Je confirme, qu’il y a eu des viols, qu’il y a eu des tirs à balles réelles. Effectivement, monsieur.
RFI : Le matin, quand on vous a envoyés pour empêcher la manifestation de l’opposition au stade, est-ce qu’on vous avait donné des ordres précis ?
Militaire : C’est la gendarmerie qui était d’abord concernée puisqu’ils ne se sont pas entendus avec les opposants, on a reçu l’ordre d’aller mater cette opposition, que nos chefs ont qualifié d’indisciplinés. Nous sommes y compris moi, j’en faisais partie, on ne pouvait pas refuser les ordres c’est-à-dire c’était d’aller mater les opposants et leur faire comprendre qu’il n’y a qu’une seule autorité en Guinée et de leur donner une leçon. Il y a eu tellement de morts, on ne pouvait même pas compter. Moi, j’avais même des vertiges franchement, j’avais des vertiges. Il y a eu 160 ou 180 morts. Franchement, je ne peux même pas vous dire combien de cadavres. Et je sais que dans la nuit du lundi, ils nous ont dit d’aller récupérer les corps et on a récupéré environ 47 corps qui ont été enfouis, je ne peux pas dire à quel endroit vraiment.
RFI : Vous-même avez participé à cette opération de récupération des corps dans les morgues ?
Militaire : Je suis fonctionnaire.
RFI : On vous a obligé à aller récupérer les corps ?
Militaire : On ne peut pas refuser. Si on refuse, on est mort.
RFI : Si vous refusez, vous êtes mort ?
Militaire : Effectivement.
RFI : On vous avait donc distribué des armes et des munitions ?
Militaire : Effectivement, on avait des armes et des munitions depuis près d’une semaine et on était déjà aux aguets.
RFI : Depuis une semaine, vous étiez aux aguets ?
Militaire : oui.
RFI : Quand on vous a dit d’aller mater et donner une leçon à l’opposition, est-ce qu’on vous a donné l’ordre de tuer des opposants, des leaders politiques ?
Militaire : L’ordre de donner de tuer des opposants, franchement non. Mais il fallait donner une leçon. Si je dis « donner une leçon » en termes militaires, vous connaissez ce que ça veut dire !
RFI : Est-ce que vous pouvez m’expliquer ce que ça veut dire précisément ?
Militaire : Ca veut dire les châtier normalement sans les tuer quand même, de démontrer et de prouver que franchement le pays il est commandé. C’est comme ça qu’on nous a dit.
RFI : Beaucoup de témoignages que nous avons recueillis font été de viols massifs et collectifs, d’exactions comme des viols avec des armes sur des femmes. Est-ce que vous avez pu identifier les soldats ou les corps auxquels appartenaient ces soldats qui ont commis ces exactions ?
Militaire : Ce sont les gens de la garde présidentielle, puisque les gendarmes étaient un peu en arrière. Il n’y avait pas que des armes, il y avait aussi des bois, monsieur. On prenait toute sorte de choses. Et même des pieds !
RFI : Vous me disiez tout à l’heure que vous ne pouviez pas refuser d’aller mater l’opposition. Quel est votre sentiment aujourd’hui ?
Militaire : Depuis lundi, je ne dors pas. Je n’arrive pas à dormir. Je ne fais que revoir ces images horribles, ces vivants, ces tués à balles réelles à bout portant au niveau… je n‘arrive pas à dormir. Je fais des cauchemars. Je n’arrive pas à dormir. (Soupirs)
RFI : Tout le monde a tué ?
Militaire : C’était des ordres, monsieur, c’est tuer ou être tué.
RFI : Vous-même, vous avez dû tuer des gens ?
Militaire : (silence) C’est très difficile pour moi de répondre à cette question. Je vous dis, c’est tuer ou être tué.
RFI : C’est tuer ou être tué. Les ordres venaient donc de la hiérarchie ?
Militaire : Franchement, il n’y a pas de hiérarchie actuellement dans l’armée. Vous pouvez recevoir des ordres de tout le monde. Tout le monde donne des ordres ici, tout le monde donne des ordres. Il n’y a pas une hiérarchie dans l’armée guinéenne. C’est de la pagaille. Franchement parlant, c’est de la pagaille. On dirait des milices qui sont organisées. Franchement, ça fait longtemps que nous sommes là dans l’armée et franchement, c’est de la pagaille. Il faut que la communauté internationale vienne en aide, si non franchement j’ai peur pour ce pays.
RFI : On parle beaucoup du désordre qui règne au sein de l’armée. Est-ce que vous pouvez nous parler de ce désordre. Comment fonctionne aujourd’hui le BATA où vous êtes un membre intégré. Est-ce qu’il y a eu des recrutements ces derniers temps ? Est-ce qu’il y a des milices à l’intérieur du BATA ?
Militaire : Oui, si je vous confie qu’il y a des milices à l’intérieur du BATA. Il y a des gens qui sont venus. Il y a même des miliciens venus du Libéria, qui sont actuellement incorporés au sein de l’armée guinéenne, au sein du BATA, sans aucune éducation militaire, sans aucune formation. Ce sont vraiment là des assassins qu’on est en train de recruter, monsieur. Franchement, je suis militaire, je suis militaire mais j’ai peur pour ce pays. Ce n’est pas dans cet esprit là que avons pris le pouvoir. Nous avons pris ce pouvoir pour vraiment garantir l’intégrité de notre pays, pour vraiment faire de notre pays une grande démocratie. Mais ce n’est pas ce qui se passe actuellement dans l’armée guinéenne. C’est vraiment écœurant, nous avons peur franchement. Même nous les militaires, on a peur. On a peur franchement. Actuellement, il y a plus de 600 personnes incorporées dans l’armée, des éléments venus de la forêt, des éléments venus du Libéria, monsieur. On a peur même de règlements de compte.
RFI : Vous êtes militaire depuis quelle année ?
Militaire : Depuis 2002.
RFI : Et depuis que vous êtes incorporé dans l’armée, depuis que vous êtes au BATA, vous avez vu la situation se dégrader donc j’imagine ?
Militaire : La situation se dégrade de jour en jour.
RFI : Est-ce que ces nouveaux incorporés, est-ce que les personnes que l’on recrute aujourd’hui, disposent d’armes ? Est-ce que vous avez eu des armes neuves ? Est-ce qu’il y a beaucoup d’armes qui arrivent aujourd’hui dans les casernes ?
Militaire : C’est tous les jours que les armes circulent dans nos casernes. Ceux qui sont recrutés aujourd’hui et incorporés ont des armes. Ils ont tout : des grenades, des armes, des munitions. On ne tient pas compte de la date d’intégration. Il suffit seulement de former les gens et de leur montrer le chemin de bataille, c’est tout. Il y a des jeunes volontaires que l’on a recrutés et qui franchement sont là seulement pour préserver le pouvoir en place, sans aucune éducation militaire. Cette équipe cherche aujourd’hui comment préserver le pouvoir. Elle ne veut pas quitter le pouvoir… ces gens sont comme le président Conté. C’est maintenant qu’on voit, même nous, le vrai visage de ce chef. Même nous, on est marginalisé dans l’armée. On est marginalisé dans l’armée. On a peur…Tu ne peux pas parler. Je vous dis actuellement dans l’armée, c’est l’anarchie totale, l’anarchie totale, l’anarchie totale ! On ne sait pas qui est qui dans l’armée aujourd’hui. Personne ne connaît aujourd’hui qui est le commandant ou le caporal ! Ils ont bastonné le général Toto… ce sont les gens de la garde présidentielle. Des caporaux. Il n’y a pas d’ordre dans l’armée guinéenne. Dans cette armée, s’il n’y a pas de force d’intervention, je vous assure que la Guinée va sombrer un jour très proche dans l’anarchie, ça viendra de ce même camp Alpha Yaya. Tous les ingrédients sont réunis pour qu’il y ait vraiment un affrontement un jour très proche au sein du camp Alpha Yaya. Franchement, j’ai peur pour ce pays.
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