BOGOTA - C'est la fin du calvaire pour Ingrid Betancourt: après plus de six années de captivité dans la jungle, la Franco-colombienne et 14 autres otages dont trois Américains ont été libérés mercredi lors d'une opération surprise de l'armée colombienne contre les FARC au cours de laquelle aucun coup de feu n'a été échangé.
L'ancienne sénatrice, qui faisait campagne pour la présidence au moment de son enlèvement par les Forces armées révolutionnaires de Colombie en février 2002, est apparue amaigrie mais radieuse lors de ses retrouvailles avec sa mère Yolanda et son mari Juan Carlos LeCompte à Bogota. "Mon dieu, c'est un miracle", a-t-elle déclaré. "Une opération aussi parfaite est sans précédent".
Dans un discours en espagnol et en français, elle a déclaré qu'elle aspirait toujours à "servir la Colombie comme présidente", avant de remercier la France, notamment le président Nicolas Sarkozy, son prédécesseur Jacques Chirac et l'ancien Premier ministre Dominique de Villepin pour leur soutien tout au long de ces années d'épreuve.
Parmi les otages libérés figuraient également trois sous-traitants militaires américains et 11 soldats et policiers colombiens, dont certains étaient détenus par les FARC depuis une douzaine d'années.
Les Américains Marc Gonsalves, Thomas Howes et Keith Stansell, enlevés en 2003 après que leur avion de surveillance anti-drogue se fut écrasé dans la jungle, paraissaient en bonne santé et ont été conduits directement aux Etats-Unis par avion.
Ingrid Betancourt, âgée de 46 ans, et les trois Américains travaillant pour Northrup Grumman Corp. sous contrat avec le Pentagone, étaient l'une des cartes et monnaie d'échange les plus importantes pour des FARC en perte de vitesse, déjà affaiblies par l'assassinat début mars par l'armée colombienne de leur numéro deux Raul Reyes lors d'un raid en Equateur, puis par la mort -annoncée en mai- de leur chef historique Manuel "Tirofijo" Marulanda.
Selon le ministre colombien de la Défense Juan Manuel Santos, les otages ont été libérés lorsque des commandos de l'armée colombienne ont infiltré un groupe des FARC, appartenant au cercle de sécurité guérillero encerclant les otages, dans l'est de la Colombie. Ils auraient réussi à attirer les guérilleros dans un piège.
Ingrid Betancourt a raconté que les guérilleros avaient demandé aux otages de réunir leurs affaires en leur disant qu'ils allaient être transférés. Mais quand elle a vu arriver des hélicoptères blancs, elle a "senti quelque chose d'étrange". Devant les deux hélicoptères, la scène était "absolument irréelle", les hommes qui ont pris les otages en charge parlaient comme les guérilleros des FARC, portaient des T-shirts à l'effigie de Che Guevara, a expliqué l'ex-sénatrice, qui s'attendait à avoir affaire à un comité international. "Nous sommes montés dans l'hélicoptère, ils nous ont menottés... c'était vraiment humiliant", a-t-elle dit.
Puis, tout à coup, à bord, il y a eu une secousse. La jeune femme s'est retournée et a vu le commandant qui pendant quatre ans l'avait gardée et parfois traitée cruellement, maîtrisé, à terre, les yeux bandés. Là, le chef du commando de l'armée colombienne a révélé l'identité du groupe et annoncé aux otages qu'ils étaient libres.
"L'hélicoptère a failli s'écraser, nous avons sauté en l'air, nous avons crié, nous avons pleuré, nous nous sommes embrassés", a précisé Ingrid Betancourt.
Le ministre colombien de la Défense a assuré que les membres des FARC à bord seraient traduits en justice. Mais les militaires du raid ont laissé les autres guérilleros se replier dans la jungle "dans l'espoir qu'ils libéreront le reste des otages", estimés à 700, a-t-il expliqué.
L'ambassadeur américain en Colombie William Brownfield a par la suite évoqué "une proche coopération" américaine dans l'opération, dont "des échanges de renseignements" et "des échanges d'équipement, de conseils d'entraînement et d'expériences acquises lors d'autres opérations". Le discours officiel colombien ne fait toutefois pas état d'interventions directes d'agents autres que colombiens.
En France, les proches et le comité de soutien d'Ingrid Betancourt ont laissé éclater leur joie. "Si c'est vrai, c'est la plus belle nouvelle de ma vie", a lancé son fils Lorenzo, tandis que sa fille Mélanie disait avoir l'impression de sortir d'un "mauvais rêve", après une déclaration de Nicolas Sarkozy à l'Elysée.
Le chef de l'Etat a salué la fin d'un "calvaire de plus de six années" avant de remercier "le président (colombien Alvaro) Uribe, les autorités colombiennes et l'armée colombienne", qui ont conduit l'opération "avec beaucoup de professionnalisme", ainsi que ses homologues vénézuélien, équatorien et argentin et tous ceux qui ont donné "un coup de main".
Quelques heures plus tard, le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner et la famille Betancourt s'envolaient de l'aéroport militaire de Villacoublay en région parisienne à destination de Bogota. M. Kouchner a précisé qu'il demanderait à Ingrid Betancourt si elle souhaite rentrer avec la délégation.
Le pape Benoît XVI a fait part de sa "joie" à l'annonce de cette "nouvelle très belle". Le président américain George W. Bush a, lui, appelé son homologue colombien, vantant le "dirigeant fort" qu'il a été. Du côté de l'UE, le président de la Commission européenne José Manuel Barroso a dit son "soulagement" et félicité les présidents français et colombien, tandis que la présidence française du conseil de l'UE exprimait sa "joie immense". AP
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