Le référendum sur l‘indépendance de la Catalogne, qui a plongé l‘Espagne dans la crise, a été observé avec intérêt dans les régions françaises traversées par des tentations autonomistes, voire indépendantistes, mais aucune comparaison ne peut être faite entre les situations qui prévalent dans les deux pays. En Corse, où la revendication est la plus puissante, même si elle reste minoritaire, les partisans de l‘indépendance estiment eux-mêmes que la question ne se posera pas avant dix ans. Au Pays basque français, dans le Pays catalan et, encore plus, en Bretagne, c‘est avant tout le souhait d‘une meilleure prise en compte des spécificités locales qui domine.
La Constitution de la France, pays qui reste très centralisé malgré plusieurs réformes de décentralisation, dit qu‘elle est “une République indivisible” et les autorités restent attentives à l‘exemple que pourrait constituer une Catalogne indépendante. Dès lundi, Emmanuel Macron avait d‘ailleurs souligné que la France n‘avait qu‘un “seul interlocuteur en la personne de M. (Mariano) Rajoy”, le président du gouvernement espagnol. Voici la situation et les réactions dans ces différentes régions dans la foulée du référendum en Catalogne.
LES NATIONALISTES CORSES ET LE “MODÈLE” CATALAN
En Corse, où les aspirations d‘autonomie vont crescendo depuis 40 ans, la consultation catalane n‘est pas passée inaperçue. Trois cents personnes étaient réunies en signe de soutien dimanche dernier, jour de référendum, dans les rues d‘Ajaccio, la capitale régionale, et de Bastia, la deuxième ville de Corse, au moment où des heurts étaient constatés dans les bureaux de vote de l‘autre côté de la Méditerranée.
Le président de l‘Assemblée de Corse, l‘indépendantiste Jean-Guy Talamoni, se trouvait au même moment à Barcelone, répondant à l‘invitation de la présidente du Parlement catalan, Carme Forcadell. Il y était venu “représenter officiellement la Corse” dont l‘Assemblée avait voté une motion favorable au référendum catalan à la fin du mois de septembre. “On soutient parce que c‘est juste et que c‘est un peuple ami”, a déclaré à Reuters Jean-Guy Talamoni, tout en concédant qu‘un tel référendum dans l’île n’était “pas pour demain”.
Si les nationalistes, qui ont remporté aux législatives de 2017 trois députés sur les quatre possibles, multiplient les liens avec la Catalogne, dont ils vantent la réussite économique, la comparaison trouve vite ses limites. La Corse compte pour 0,5% dans le PIB français et 320.000 habitants y vivent, quand la Catalogne est le poumon de l‘Espagne, forte de ses 7,5 millions d‘habitants et de sa puissance économique (20,6% du PIB). La région de Barcelone compte aussi pour 28% dans les exportations espagnoles quand celles de la Corse sont quasi nulles.
“La Corse n‘est pas développée, elle a dix ans de retard”, concède Jean-Guy Talamoni. “La question de l‘indépendance ne sera pas posée avant dix ans, c‘est le temps nécessaire pour obtenir un nouveau statut et promouvoir le développement.” Le “riacquistu economicu”, renouveau économique voulu par Gilles Simeoni, le président de l‘exécutif corse et leader de la famille nationaliste, est encore un voeu pieux.
Au plan des institutions, la Catalogne jouit d‘une autonomie de gestion depuis 1979 - renforcée en 2006 - le catalan est une langue officielle et Barcelone dispose de certaines prérogatives régaliennes, comme la police, quand la Corse a connu trois statuts particuliers dans le cadre de la décentralisation depuis 1982 et a peiné pour promouvoir sa spécificité culturelle.
L’île s‘apprête à connaître la fusion de ses trois collectivités locales (assemblée de Corse et deux conseils départementaux) en une seule au 1er janvier 2018. Mais ce qui caractérise le contexte corse, c‘est la violence politique qui la ravage depuis 1976, date de création du FLNC (Front de libération nationale corse) qui a revendiqué environ 4.600 attentats à l‘explosif sur les 10.000 perpétrés dans l’île depuis lors et des meurtres. Les deux mouvances clandestines principales ont annoncé leur démilitarisation en 2014 et 2016.
Mais le FLNC dit “du 22 octobre”, lors d‘une conférence de presse couverte par le quotidien local Corse-Matin, a prédit en septembre “un scénario à la catalane”. L‘hypothèse de l‘effet domino catalan est contestée par Gilles Simeoni qui se dit “admiratif de cette capacité à affirmer de manière pacifique et déterminée ses aspirations”. “On doit inventer notre propre chemin, y compris au plan institutionnel et la solution pour la Corse consiste en un statut d‘autonomie de plein exercice.”
. Le conseiller territorial de droite, José Rossi, a mené la charge contre la majorité en place, estimant que “le nationalisme corse est un populisme”. Mais il se retire de la scène politique à trois mois de nouvelles échéances territoriales, les 10 et 17 décembre, où les nationalistes pourraient conforter leur majorité.
LES MODESTES REVENDICATIONS DES CATALANS FRANÇAIS
Les violences qui ont émaillé le référendum en Catalogne ont choqué les Catalans français, qui ont manifesté leur soutien à leurs “frères” situés de l‘autre côté des Pyrénées. Dans le département des Pyrénées-Orientales, jadis rattaché à la Catalogne jusqu‘au traité des Pyrénées signé en 1659 entre les royaumes de France et d‘Espagne, des rassemblements spontanés ont lieu depuis la semaine dernière. Lundi à Perpignan, chef-lieu de ce département de 450.000 habitants, quelque 500 personnes se sont réunies devant le consulat d’Espagne pour dénoncer “la répression antidémocratique de l‘Etat espagnol” en Catalogne.
“Nous sommes tous des Catalans, même si nous vivons dans la République française. Depuis sept ans, les Catalans du Sud se battent pour pouvoir organiser un référendum que Madrid a voulu empêcher par tous les moyens. Le vote a eu lieu malgré toutes les violences auxquelles nous avons pu assister. Nous soutenons nos frères catalans”, témoigne Jordi Vera, coordinateur du mouvement “Oui au pays catalan”.
Créée en 2016 en réaction au rattachement des Pyrénées-Orientales à la région Occitanie, à la suite de la réforme territoriale, cette force politique qui revendique une vingtaine de maires plaide en faveur d‘une collectivité territoriale unique à l‘image de la Corse, mais pas pour l‘indépendance. “Nous avons le sentiment que les Catalans du Sud ont décroché sentimentalement de l‘Espagne. La population ne se soumettra plus”, assure Jordi Vera, qui se dit “citoyen français de nationalité catalane”.
En mission en tant qu‘observateur international mandaté par la Generalitat de Catalogne pour le référendum, Gérard Onesta affirme que le vote était bien légal. “La Généralité de Catalogne ne sort pas d‘une pochette surprise. Elle est issue d’élections où elle a obtenu la majorité en sièges. Après avoir tout fait durant un an pour négocier avec Madrid, elle ne fait qu‘appliquer le programme qu‘elle s’était engagée à suivre”, a-t-il déclaré à Reuters.
LES BASQUES FRANÇAIS NE RÊVENT PAS D‘INDÉPENDANCE
La situation en Catalogne a suscité peu de réactions au Pays basque français, même si environ 200 personnes se sont rassemblées dimanche devant le Consulat d‘Espagne à Bayonne à l‘appel de mouvements de la gauche aberzale (patriote en basque) et du mouvement écologiste Bizi! Derrière une banderole “Oui à la démocratie, oui au référendum”, les manifestants se sont ensuite déplacés vers la sous-préfecture où ils ont glissé à travers les grilles des tracts demandant à l‘Etat français d‘isoler l‘Etat espagnol.
“Nous dénonçons les agissements antidémocratiques du gouvernement espagnol qui utilise tout son arsenal juridique et policier pour empêcher le déroulement du référendum”, a dit l’avocate Laurence Hardouin, membre de la coalition de partis politiques basques EH Bai, dans le journal Sud-Ouest. Pas question pour autant de prôner l‘annexion des 3.000 km2 du Pays basque français - ou vivent 300.000 habitants bénéficiant du deuxième bassin d‘emploi recruteur dans la région Nouvelle Aquitaine après Bordeaux - à son homologue espagnol qui deviendrait hypothétiquement indépendant.
Aucun des maires des 10 principales villes du Pays basque n‘est issu des rangs des indépendantistes et, lors des dernières législatives, sur les cantons basques, la coalition EH Bai n‘est arrivée qu‘en troisième position avec 12,21% des voix. En outre, l‘apaisement domine au Pays basque espagnol. C‘est à Bayonne que le 8 avril dernier était organisée la journée du désarmement au cours de laquelle les caches d‘armes de l‘organisation séparatiste ETA ont été révélées aux autorités françaises qui ont procédé à la saisi de l‘arsenal.
L‘ETA (Euskadi Ta Askatasuna) avait annoncé en octobre 2011 l‘abandon définitif de la lutte armée contre l‘Etat espagnol qui a fait plus de 800 morts en quarante ans. Pour Madrid, la remise des armes n‘est pas suffisante et l‘Espagne a demandé à l‘ETA de s‘auto-dissoudre. L‘organisation séparatiste a le 27 septembre dernier indiqué dans un communiqué publié par le journal basque espagnol Gara que l‘Etat espagnol montre qu‘il est “une prison pour les peuples en niant l‘identité nationale des Pays catalans”.
LA BRETAGNE SE PLACE SUR LE TERRAIN CULTUREL
Hormis les représentants des mouvements régionalistes et indépendantistes, la plupart des élus bretons se sont montrés discrets sur la tenue du référendum en Catalogne. Soutenant le “processus démocratique” initié en Catalogne, le maire régionaliste de Carhaix (Finistère) Christian Troadec, ancien leader du mouvement des “Bonnets rouges”, a toutefois saisi l‘occasion de cette consultation pour hisser le drapeau catalan au fronton de son hôtel de ville. “Il ne s‘agit pas de se prononcer pour ou contre l‘indépendance mais de défendre la démocratie et la possibilité donnée au peuple catalan de décider de ce qui est bon chez lui”, a-t-il expliqué à Reuters.
Plusieurs mouvements autonomistes ou indépendantistes bretons, tels Breizhistance, Breizh Europa et l‘Union Démocratique Bretonne, qui avait envoyé un observateur à Barcelone dimanche dernier, ont également condamné les violences et soutenu la tenue d‘un référendum. “Les exemples catalans et écossais sont porteurs d‘espoir pour les Bretons, les Corses, les Alsaciens et bien d‘autres composantes des peuples de l‘Hexagone ou d‘Europe”, écrit dans un communiqué Caroline Ollivro, présidente de Breizh Europa.
Très actifs dans les années 1970 et 1980, où une branche armée prenait pour cible des symboles de l‘Etat français pour défendre ses revendications, les mouvements autonomistes et régionalistes bretons ont au fil des ans cédé du terrain sur la scène politique au profit de la sphère culturelle. Les principales revendications de la Bretagne, qui compte environ 3.260.000 habitants, portent aujourd‘hui sur des questions linguistiques, avec la défense de l‘enseignement du breton ou la réunification de la Bretagne historique à cinq départements, incluant la Loire-Atlantique, qui a mobilisé à plusieurs reprises des milliers de manifestants à Nantes.
Dans un récent entretien au magazine Bretons, l‘actuel président de l‘Assemblée nationale, François de Rugy, annonce qu‘il va “proposer” cette réunification. Selon un sondage publié en 2013 par cette revue, seulement 18% de la population bretonne se déclarait en faveur de l‘indépendance de la région.
Roger Nicoli, Johanna Decorse, Claude Canellas, Pierre-Henri Allain, avec Emile Picy, édité par Yves Clarisse
2 Commentaires
Anonyme Kaduz
En Octobre, 2017 (13:27 PM)Anonyme
En Octobre, 2017 (14:15 PM)Participer à la Discussion