Envoyé spécial à Garachico, île de Ténérife (Canaries)
D'un pas décidé, traînant derrière lui quelques valises, un émigrant s'en va en direction de l'océan Atlantique. Il a la poitrine percée d'un grand trou pour bien montrer qu'il laisse, en partant, son coeur dans l'île. Dressée à l'entrée du petit port de Garachico, la statue témoigne de l'importance de l'émigration aux Canaries, surtout dans les années 50, avant que ne déferlent les vagues dorées du tourisme. Au centre du bourg, près de l'église, une autre statue, celle du grand «libérateur» Simon Bolivar, témoigne de la proximité malgré les milliers de kilomètres qui les séparent entre l'archipel et le continent sud-américain (Venezuela, Colombie et Argentine, notamment), qui accueillit une large partie des émigrants canariens. Garachico, village isolé, coquet, heureusement épargné par le tourisme de masse, a ainsi vu partir beaucoup de ses fils. Aujourd'hui, l'histoire se renverse puisqu'il a été choisi pour recevoir 32 des 362 clandestins mineurs, fraîchement arrivés du Sénégal et du Mali au terme d'une traversée de tous les dangers. Une arrivée qui s'est traduite, il y a quelques jours, par un coup de colère d'une partie de la population, opposée à leur installation dans la commune, dût-elle ne durer que quelques mois. Faisant une haie au passage de l'autocar, quelques douzaines de personnes ont accueilli les jeunes Africains, majoritairement âgés de 13 à 14 ans, sous des cris et des injures xénophobes.
Hostilité
La propriété de la Croix-Rouge espagnole qui les héberge se compose de quelques bâtiments dans un hameau perdu, La Montaneta, qui dépend de Garachico. Des fermes, un café, une centaine d'habitants et six enfants scolarisés. Les villageois, du moins ceux présents à l'assemblée qui s'est réunie après l'arrivée des jeunes Africains, se sont tous prononcés contre leur venue. Ancien mineur et agriculteur, Antonio assure qu'il n'a pas bougé de chez lui. Assis devant le petit centre culturel où s'est déroulée la réunion, il raconte avoir vécu ses soixante-treize années sans quasiment jamais quitter l'archipel, voire le village, mais compte pas moins de quinze parents de l'autre côté de l'Atlantique. Derrière lui, des affichettes d'un parti d'extrême droite dénoncent «l'invasion» que constitue l'immigration, mettant sur un même pied l'ex-Premier ministre, José Maria Aznar, et José Luis Zapatero, pourtant opposés sur ce sujet brûlant. Antonio affirme aussi n'avoir pas participé aux manifestations d'hostilité. «Ce n'était pas des habitants d'ici qui ont protesté. Ils venaient d'autres quartiers de Garachico. A peu près une centaine de personnes. Elles criaient aux enfants des insultes horribles. Cela a duré trois jours. Et Ramon Miranda, le maire, a dû monter jusqu'ici pour discuter avec les gens et les calmer.» Antonio assure aussi ne pas être hostile à la venue des adolescents africains. «Pourquoi le serais-je ? Ils veulent seulement avoir une vie meilleure. Et puis, ils ne font pas de bruit. On les entend moins que d'autres», dit-il, tout en confiant que deux adolescents ont pu s'enfuir du centre avant d'être retrouvés par la Garde civile. Une préoccupation qui rejoint celle des manifestants qui déploraient que les murs de la propriété ne soient pas assez hauts.
Le maire reconnaît avoir «été dépassé» par l'affaire de La Montaneta. Cité par le quotidien El Pais, il raconte s'être opposé aux manifestants. «Un maire doit se tenir aux côtés du peuple qui a voté pour lui, même s'il se trompe.» De son côté, le gouvernement provincial des Canaries (nationaliste), pourtant favorable à une politique de fermeté en matière d'immigration, a dû lancer un «appel urgent» au calme, faisant valoir la tradition de «noblesse» du peuple canarien. «Indépendamment du haut pourcentage de mineurs que nous avons, les enfants n'ont pas à souffrir d'actions inhumaines. Il n'est ni bon ni souhaitable qu'ils soient reçus de cette manière», a indiqué un porte-parole. Il a précisé qu'il n'y avait pas eu de problèmes avec les onze autres centres de l'archipel accueillant des mineurs. Mais le problème ne semble pas pour autant résolu. Don Julio, le curé de la commune, se refuse à en parler, se contentant d'un lapidaire «ce sont aussi des enfants de Dieu». Mais son sacristain laisse entendre que «cela ne se passe pas bien».
Mauvaise image
«Ne pensez pas que nous soyons xénophobes à Garachico, insiste Paco, un restaurateur. Ce qui s'est passé, c'est d'une part de l'exploitation politique [la municipalité appartient à la Coalition canarienne, ndlr] visant le gouvernement socialiste de Zapatero, et de l'autre, un manque d'information du maire. Dans ce quartier, les gens sont âgés et ont peur des jeunes Africains.» «Non, les gens ne peuvent pas être racistes à Garachico. Du moins, pas avec les Africains. Il y a eu trop d'émigrants dans ce village», ajoute Désirée Martin, une jeune photographe, dont une partie de la famille est originaire du petit port. Quoi qu'il en soit, beaucoup de Canariens craignent que l'arrivée massive d'émigrants fasse fuir les touristes, principale source de revenus de l'archipel. C'est le cas de Perez, directeur d'une agence de location de meublés à Los Cristianos, qui s'énerve de la présence d'un cayuco, grosse barque utilisée par les immigrés pour atteindre les Canaries, sur la plage. «C'est normal qu'ils viennent chercher ici une vie meilleure. Mais les cayucos donnent une mauvaise image aux touristes, et ce n'est pas acceptable.»
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