Lundi, version 1 : Ben Laden vivait dans une luxueuse villa évaluée à 1 million de dollars. Il aurait été tué lors d'un échange de tirs nourris, et il aurait utilisé une femme, la sienne, comme bouclier humain, qui aurait également été tuée. Mardi, version 2 : Ben Laden n'était pas armé, et n'a pas utilisé sa femme comme bouclier : elle s'est jetée au devant des assaillants. Elle n'est pas morte mais blessée à la jambe. Mercredi, version 3 : il n'y a pas eu d'échange de tirs. Seul un des messagers de Ben Laden, qui vivait dans la villa, a ouvert le feu dans les premières minutes de l'attaque et a été rapidement abattu. Il est le seul résident à avoir tiré sur les commandos.
Le récit officiel des circonstances de l'assaut d'Abbottabad a connu, depuis dimanche 1er mai au soir, de multiples rétro-pédalages et démentis. Une communication chaotique surprenante pour une opération préparée depuis plus de huit mois.
Ancien correspondant à Bagdad, le grand reporter Georges Malbrunot, rompu à la communication officielle américaine, s'étonne ainsi, sur son blog, de cette "cacophonie médiatique mal orchestrée, erratique, incohérente". "Des informations sporadiques essentielles filtrent dans la presse, ou pire sont présentées officiellement au compte-gouttes, sans fil directeur et visiblement non préparées, par des intervenants qui semblent improviser", écrit-il. "Pourquoi, en outre, cet événement (...) n'a-t-il pas été traité au plus haut niveau de l'Etat par la communication du président, ou a contrario directement et intégralement par le Pentagone, une fois l'opération bouclée et exploitée par les militaires ?"
"DONNER À MANGER À DES MÉDIAS AFFAMÉS"
Dans un article intitulé "Le compte rendu du raid, trop vite raconté, s'avère bancal", le New York Times revient longuement sur les couacs dans la communication des derniers jours : "Selon des responsables des présidences passées et actuelles, nous avons assisté à la collision classique entre le désir de la Maison Blanche de mettre en avant un triomphe éblouissant pour la sécurité nationale – et de donner à manger à des médias affamés – et la collecte compliquée des faits après une opération militaire chaotique à l'autre bout du monde."
Plusieurs responsables avancent ainsi que, loin d'une volonté de tromper l'opinion, les cafouillages initiaux sont dus au fait que la Maison Blanche elle-même ne détenait pas toutes les informations, ni dimanche, ni lundi.
Revenons sur la chronologie de l'annonce : alors que la rumeur court sur les télévisions américaines depuis 22 h 30 environ, Barack Obama informe officiellement de la mort d'Oussama Ben Laden en direct à la télévision vers 23 h 15 dimanche soir, heure de Washington (5 h 15 heure française) Il est alors 8 h 15 lundi, au Pakistan. Grâce au tweet d'un Pakistanais vivant à Abbottabad, on sait que le raid nocturne a commencé sept heures plus tôt, vers 1 heure du matin (22 h en France).
L'assaut ayant duré 38 minutes, selon les informations – non démenties – publiées depuis le début de la semaine, il s'est donc passé environ six heures et demi avant la prise de parole du président américain. Un peu rapide pour "débriefer" les 79 commandos qui ont participé à l'opération. Ils ne le seront en fait que lors de leur retour sur le sol américain. De même, si l'information sur l'abandon en mer du corps de Ben Laden ne parvient que plusieurs heures plus tard, c'est avant tout parce qu'au moment où Barack Obama prend la parole, l'événement n'a pas eu lieu : les dernières informations communiquées vendredi indiquent que le corps a été immergé à 11 heures (heure pakistanaise). Il était 2 heures à Washington, soit près de trois heures après la prise de parole du président.
Pourquoi alors avoir choisi de communiquer si vite, en l'absence de détails précis ? "Voulez-vous nous demander par là si nous pensions que c'était une bonne chose que ce soient les services secrets pakistanais qui révèlent l'information ?" a répondu, ironique, un responsable américain à la question posée par le New York Times.
"DIFFÉRER LA RÉVÉLATION DE L'INFORMATION ÉTAIT PLUS RISQUÉ ENCORE"
"L'administration américaine a fait le choix de parler rapidement, dans le temps des médias contemporains. C'était prendre le risque évident d'être amené à se reprendre, à se contredire par la suite. Mais différer la révélation de l'information était plus risqué encore", explique Eric Maigret, sociologue des médias à l'université Paris 3-Sorbonne nouvelle, qui a notamment travaillé sur la communication de l'OTAN pendant la guerre du Kosovo. "D'abord, cela n'aurait pas empêcher la suspicion. Cela aurait au contraire fait penser qu'ils avaient besoin de temps pour dissimuler des choses. On leur aurait reproché leur manque de transparence. Ensuite, le crash d'un hélicoptère, laissé sur place, et le fait qu'un voisin ait tweetté cet 'événement rare' aurait forcément attiré l'attention des autorités pakistanaises".
La victoire était trop belle. La Maison Blanche ne pouvait pas prendre le risque qu'on lui vole la vedette. "La réussite de l'opération est aussi une occasion unique de légitimer la figure d'Obama comme futur candidat, lui qui a souvent été accusé d'être un démocrate relativement faible sur le plan militaire", indique Eric Maigret.
La plupart des paroles démenties n'ont d'ailleurs pas été prononcées par le président américain. C'est en effet au seul John Brennan, son conseiller pour l'antiterrorisme, que l'on doit les mauvaises informations concernant le bouclier humain ou le luxe de la villa, vite démenties par les premières images tournées sur place. Le porte-parole de la Maison Blanche, Jay Carner, avait lui évoqué "un échange de tirs qui a duré pendant toute l'opération".
"LA MÉMOIRE COLLECTIVE OUBLIE LES CAFOUILLAGES"
Le débriefing des commandos a finalement eu lieu en début de semaine. De nouvelles informations, plus claires, plus précises ont été diffusées jeudi. "Mais il y a également des zones que les Américains laisseront volontairement floues. C'est la limite du secret d'Etat et il y a des informations sur lesquelles ils veulent garder la main. Ainsi, parce que cela pose des questions de légalité, ils ne diront jamais clairement quel était l'objectif réel : tuer ou capturer Ben Laden ? Ils resteront également flou sur le crash de l'hélicoptère, dont il se murmure dans les milieux militaires qu'il s'agissait d'un modèle inconnu, de dernière technologie, dont il aurait pu être particulièrement embêtant qu'il soit laissé à la vue de tous, à Abbottabad", précise Eric Maigret.
Le chercheur rappelle ainsi des précédents : le bombardement de l'ambassade de Chine en ex-Yougoslavie en mai 1999. "Les Américains ont fourni plusieurs versions différentes, sans qu'au final, on n'ait jamais su ce qui s'était réellement passé". Ou le crash d'un avion furtif F117, au Kosovo. "Il a d'abord été dit qu'il s'agissait d'un incident mécanique. En réalité, il avait été abattu par les Serbes. Un énorme revers pour la technologie américaine, qu'il était difficile d'admettre publiquement".
Mais selon lui, la mémoire collective oublie, la plupart du temps, les cafouillages initiaux pour ne retenir que l'ultime version officielle. Sauf bien sûr chez les adeptes des théories du complot.
9 Commentaires
Teuss Teuss
En Mai, 2011 (22:26 PM)Deugg Deugg
En Mai, 2011 (22:30 PM)Fa
En Mai, 2011 (22:46 PM)@@ Teuss Teuss
En Mai, 2011 (22:57 PM)Modi
En Mai, 2011 (23:01 PM)Mima
En Mai, 2011 (23:02 PM)Messi
En Mai, 2011 (23:46 PM)Undefined
En Mai, 2011 (01:53 AM)Bossoudiambour San Diego
En Mai, 2011 (14:34 PM)Participer à la Discussion