Plus divisés que jamais dans un Brésil en crise, 147 millions d'électeurs votent, ce dimanche, pour élire leur nouveau Président. Samedi soir, le député d'extrême-droite Jair Bolsonaro (Parti social libéral) était donné en tête avec 40 % et 41 % des intentions de vote, selon les instituts de sondage Ibope et Datafolha. Le candidat du Parti des travailleurs, Fernando Haddad, ne récolterait que 25% des voix. Désigné en septembre pour remplacer l'ancien président Lula, emprisonné pour corruption, il pourrait toutefois être au coude à coude avec Jair Bolsonaro en cas de second tour, le 28 octobre.
Entretien avec Maud Chirio, historienne, spécialiste de la dictature militaire brésilienne (1).
Les pro-Bolsonaro parlent de « gouvernement militaire », comme pour minimiser la période de la dictature. Ce glissement sémantique est-il lié à Bolsonaro ?
Disons que sa candidature est le résultat d'une poussée conservatrice. Celle-ci repose notamment sur la construction d'une représentation positive de la dictature militaire dans ses aspects les plus sensibles, comme la torture ou les assassinats politiques. Jusqu'à l'explosion des mouvements d'extrême-droite, en 2013-2014, ce discours restait cantonné à des cercles militaires de réserve ou à des groupuscules néofascistes. Globalement, dans la sphère publique, la dictature ne recueillait ni véritable adhésion, ni absolue condamnation.
Contrairement à l'Argentine et au Chili, le Brésil n'a pas rompu franchement avec la dictature...
La transition démocratique ne s'est pas accompagnée d'épuration. Les militaires ont pu continuer très tranquillement leur carrière. Tout comme les politiques et les technocrates, qui ont participé à la dictature.
Bolsonaro n'a pas caché qu'il voulait nommer des militaires dans son gouvernement. Avec son éventuelle élection, peut-on craindre un retour de la dictature ?
L'expérience d'un pouvoir civil relativement bien installé ne suffit pas à se garantir contre le retour d'une culture militaire profonde. Depuis l'Indépendance, en 1822, les militaires ont été quasiment systématiquement au coeur de l'exécutif. Hormis ces trente dernières années.
Les officiers sont aujourd'hui enthousiastes à l'idée de pouvoir participer au pouvoir avec Bolsonaro. Ils s'estiment moralement supérieurs, exempts de la tare congénitale de la classe politique, qui est la corruption. Ils mobilisent aussi fortement contre le risque communiste. Ils ne sont plus disposés à laisser la démocratie civile suivre son cours sans leur intervention.
Avez-vous été étonnée par la montée en puissance de Bolsonaro ?
Oui ! Ce n'était pas prévisible. Trump, dont l'élection a surpris tout le monde, reste quelqu'un de modéré à comparer à Bolsonaro.
(1) Maud Chirio est l'auteure de La politique en uniforme, l'expérience brésilienne, 1960-1980, aux Presses universitaires de Rennes, 346 p., 20€.
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