
Abou Dhabi est depuis longtemps accusé par Khartoum et d'autres acteurs de soutenir les Forces de soutien rapide (FSR), les paramilitaires en guerre depuis bientôt deux ans avec l'armée, ce que démentent les Emirats.
Pourquoi le Soudan est-il important pour les Emirats?
Le Soudan est l'un des plus grands pays d'Afrique par sa superficie et dispose de vastes ressources naturelles, notamment terres agricoles, gaz et or. Le pays borde la Libye, où Abou Dhabi est accusé de soutenir le camp de l'Est face au gouvernement de Tripoli (ouest), reconnu par l'ONU, et possède un accès à la mer Rouge, axe stratégique du commerce pétrolier.
En 2021, le chef de l'armée soudanaise, Abdel Fattah al-Burhane, prend le pouvoir par un coup d'Etat aux côtés de son adjoint d'alors, le commandant des FSR, Mohamed Hamdane Daglo. Deux ans plus tard, un conflit éclate entre les deux généraux, impliquant divers acteurs internationaux, Emirats, Egypte, Turquie, Iran et Russie, tous soupçonnés de soutenir l'un ou l'autre camp.
"L'objectif principal des Emirats au Soudan est d'exercer une influence politique sur un pays très important sur le plan stratégique", estime Andreas Krieg, spécialiste de la sécurité au Moyen-Orient à King's College London.
Des entreprises émiraties liées à l'Etat voient dans le Soudan un hub pour investir dans les ressources naturelles et faire du commerce, poursuit-il.
Pour le chercheur soudanais Hamid Khalafallah, ce pays aride s'intéresse aux ressources qui lui font défaut, notamment les minerais et terres arables.
De la Libye à la Somalie, "on observe un schéma où les Emirats collaborent avec des groupes paramilitaires pour exploiter les ressources du continent", souligne-t-il.
Un rapport de l'ONG Swissaid estimait l'an dernier qu'en 2022, 66,5% des exportations d'or africain vers les Emirats avaient été effectuées illégalement.
Premier acheteur mondial d'or soudanais, secteur largement contrôlé par les FSR, Abou Dhabi est un acteur clé du commerce de ce métal précieux.
Quels liens avec les paramilitaires?
Les relations des pays du Golfe avec l'armée soudanaise remontent à la guerre au Yémen, où Khartoum a rejoint la coalition dirigée par Ryad en 2015.
Le général Burhane commandait les troupes soudanaises déployées sous l'égide saoudienne, et les FSR combattaient aux côtés des forces émiraties, rappelle Federico Donelli du Nordic Africa Institute.
Le fossé entre Ryad et Abou Dhabi, alliés traditionnels, s'est depuis creusé. Selon M. Donelli, le soutien émirati présumé aux FSR viserait à "contrer les objectifs saoudiens".
Cette alliance serait également idéologique, décrypte Andreas Krieg, car les paramilitaires se montrent disposés à contenir les Frères musulmans, un mouvement interdit aux Emirats et dans d'autres pays arabes.
L'armée soudanaise est elle proche de l'ancien régime islamiste du dictateur déchu Omar el-Béchir.
Les deux camps ont été accusés de crimes de guerre depuis le début du conflit, qui a fait des dizaines de milliers de morts et plus de 12 millions de déplacés.
En janvier, Washington a accusé les FSR de génocide, massacres et viols de masse. Le même mois, deux élus américains ont affirmé que les Emirats avaient violé leur engagement de ne plus fournir d'aide militaire aux paramilitaires.
Selon des diplomates, analystes et ONG, les FSR ont reçu un soutien crucial des Emirats, notamment des armes via le Tchad voisin, des accusations rejetées par Abou Dhabi.
Quels enjeux pour Abou Dhabi?
Jeudi, le Soudan a saisi la CIJ, la plus haute juridiction de l'ONU, accusant Abou Dhabi de complicité de génocide pour son soutien présumé aux FSR.
Les Emirats ont qualifié cette plainte de "coup médiatique" et annoncé leur intention d'obtenir son rejet.
Les décisions de la CIJ sont juridiquement contraignantes, mais la Cour ne dispose d'aucun moyen pour les faire appliquer.
Pour Federico Donelli, cette procédure risque de ternir l'image des Emirats.
"A l'international comme en Afrique, les Emirats sont de plus en plus perçus comme un acteur déstabilisateur", observe-t-il. Mais "le poids financier et politique qu'ils ont acquis ces dix dernières années devrait les protéger de toute répercussion sérieuse".
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