Devenu récemment l'artiste américain le plus cher de l'histoire, le peintre Jean-Michel Basquiat est plus influent que jamais, près de 30 ans après sa mort, même si son influence se ressent dans les rues plutôt que dans les musées.
A première vue, cet enfant de Brooklyn, mort le 12 août 1988 à 27 ans d'une overdose, n'a laissé que peu de traces à New York, où il passa l'essentiel de sa vie et qui fut pour lui une source d'inspiration majeure.
Tout juste une plaque, discrète, sur la façade de son ancien atelier, caché dans le minuscule quartier de NoHo, pour cet artiste de père haïtien et de mère portoricaine, dont un tableau sans titre s'est vendu le 18 mai pour la somme record de 110,5 millions de dollars chez Sotheby's à New York.
Aucun monument public en son honneur, aucun lieu portant son nom, plus aucune trace de ses fameux graffitis signés "SAMO". Ses admirateurs vont se recueillir, à défaut, sur sa tombe, à Green-Wood.
Avec le compositeur Leonard Bernstein, "Jean" --comme l'appelaient ses proches-- est le plus célèbre résident de ce gigantesque cimetière de Brooklyn où sont enterrés 570.000 personnes, selon Lisa Alpert, vice-présidente du développement du lieu.
Des visiteurs "laissent des choses sur sa tombe", une sépulture très sobre, avec l'assentiment de la direction, explique-t-elle.
Presque introuvable dans la rue, Jean-Michel Basquiat l'est aussi dans les musées new-yorkais: 10 pièces au MoMA, mais uniquement des dessins et des sérigraphies, six au Whitney, deux au Met, deux au Brooklyn Museum et une au Guggenheim. Pour un artiste qui a laissé derrière lui plus de 2.000 oeuvres, c'est peu.
"C'est une honte que les musées de New York n'aient pas davantage de Basquiat", estime l'artiste Michael Holman, ami du peintre, qui créa avec lui le groupe Gray.
Il rappelle que, du vivant de Basquiat, le couple de collectionneurs Lenore et Herbert Schorr proposèrent de faire don de tableaux de l'artiste au MoMA et au Whitney, qui refusèrent.
Pour M. Holman, "il y a une certaine dose de racisme" dans le peu d'intérêt affiché par les grandes institutions artistiques de New York du vivant de Basquiat, qui était noir, voire même après sa mort.
Prisé des célébrités
Professeure d'histoire d'art contemporain au California College of the Arts et auteure du seul ouvrage d'étude de l'oeuvre de Basquiat, Jordana Moore Saggese y voit aussi la conséquence du succès dont cet ovni, débarqué dans le monde de l'art sans aucune formation, bénéficia de son vivant auprès de collectionneurs et de galeristes.
"Durant les années 1970 et 1980, critiques et historiens étaient très partagés sur la question de savoir si un artiste pouvait connaître le succès sur les plans à la fois commercial", comme Basquiat, "et critique", explique Mme Saggese.
Aujourd'hui encore, quelque 85 à 90% des pièces de ce jeune homme charismatique, héros d'un film ("Downtown 81") dans son propre rôle à 20 ans seulement, sont entre les mains de collectionneurs privés, estime cette spécialiste.
De Leonardo DiCaprio à Bono, en passant par Jay Z, Johnny Depp ou Tommy Hilfiger, la liste des célébrités détenant ou ayant possédé une toile ou un dessin de Basquiat ne cesse de s'allonger.
Quelques galeries new-yorkaises proposent des oeuvres, notamment la Soho Contemporary Art. Mais elles sont plus rares que jamais avec les records atteints par ses créations aux enchères.
Elles sont aujourd'hui inabordables pour les musées, quand bien même ils souhaiteraient en acquérir.
Le propriétaire de la Soho Contemporary Art, Rick Rounick, avait neuf tableaux il y a encore quelques mois, mais n'en a plus que deux.
Influent dans la rue
"A mesure que des collectionneurs (possédant des tableaux) vont préparer leur succession et prévoir des dons aux musées, nous verrons davantage d'oeuvres majeures se frayer un chemin jusqu'aux collections publiques", anticipe Jordana Moore Saggese.
En attendant, s'il n'est que peu célébré par les institutions, Basquiat infuse la culture populaire par d'autres biais.
"Ses peintures et ses dessins apparaissent sur des T-shirts, des baskets, des montres et des sacs", souligne Saggese. "D'une certaine façon, il est plus accessible qu'il ne l'a jamais été."
Depuis 2014, la marque japonaise de vêtements Uniqlo a sorti plusieurs collections reprenant des oeuvres de Basquiat en collaboration, surprise, avec le MoMA.
L'auteur noir Javaka Steptoe a publié un livre sur cette icône du New York des années 1980, "The Radiant Child", destiné aux enfants. Une façon pour ceux qui ne connaissent rien de cette période d'entrer en contact avec son univers.
"Les enfants l'adorent, parce que son art et le leur sont similaires", explique-t-il. "Il leur donne la permission d'être eux-mêmes."
Pour Michael Holman, l'influence de Basquiat à New York est palpable dans la rue. "On voit tellement de gens qui ont adopté son style, sa coupe de cheveux", dit-il. Le chanteur canadien The Weeknd a longtemps arboré les mèches dressées en touffes en hommage au peintre.
L'artiste s'inscrit aussi dans la culture actuelle par le biais des textes des plus grands rappeurs, genre dominant aux Etats-Unis en général et chez les jeunes en particulier, notamment chez Jay Z, Kanye West ou ASAP Rocky, pour n'en citer que quelques-uns.
"C'est un héros pour les jeunes", assure Michael Holman, "comme Warhol l'était pour ma génération".
1 Commentaires
Anonyme
En Juillet, 2017 (00:58 AM)Participer à la Discussion