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Le Grand Entretien de Seneweb est allé à la rencontre de Me Assane Dioma Ndiaye, président de la Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH). L’avocat des victimes tchadiennes et sénégalaises de Hissène Habré revient sur les enjeux du procès qui s’ouvre à Dakar après le démarrage le 8 février dernier des activités des chambres africaines extraordinaires, mises en place au sein des juridictions sénégalaises pour juger l’ancien chef de l’Etat tchadien. Assane Dioma Ndiaye répondait aux questions de Momar Mbaye.
Ouverture à Dakar des chambres africaines extraordinaires
Depuis la survenance de l’alternance, nous avons noté une réelle volonté politique des nouvelles autorités sénégalaises d’aller vers ce procès. Des actes majeurs qui ont été posés notamment l’accord avec l’Union africaine et tout dernièrement la présentation des magistrats désignés par le Sénégal et avalisés par l’Union Africaine pour le jugement des faits commis au Tchad de 1982 à 1990. Nous sommes dans une irréversibilité de ce procès, la volonté politique a été suffisamment affirmée, nous n’attendons que le réquisitoire aux fins d’information et sur ce point, nous n’avons aucune crainte.
L’universitaire Kader Boye et le parallèle avec les chambres Cambodgiennes
On peut faire des similitudes avec les chambres cambodgiennes, avec le tribunal spécial sur la Sierra Leone, avec le tribunal spécial sur le Rwanda. Mais le plus important c’est de coller à l’esprit et à la lettre de la décision de la Cédeao, qui est pour une procédure spéciale ah hoc à caractère international. Il fallait conceptualiser une juridiction qui remplisse les critères posés, indiqués par la décision de justice. Il est important que le choix des chambres africaines colle à notre système judiciaire. (…). C’est comme la procédure en matière d’assises à l’époque, avec une commission d’instruction, une commission d’accusation d’instruction, une chambre d’assises des jugements, une chambre d’assises d’appel. L’essentiel c’est d’assurer au maximum les droits de la défense et de la présomption d’innocence. Un procès juste et équitable.
La lettre de François Serres à Macky Sall
On est étonnés d’entendre cette position des avocats et de ceux qui défendent Hissène Habré. Au départ, le souci était de lui assurer un procès juste et équitable. Au niveau des parties civiles, nous exigeons ce procès juste et équitable. C’est le seul gage de la crédibilité des décisions qui vont intervenir. Nous ne sommes pas prêts à cautionner une parodie de procès. Il s’agit de relever un défit, de montrer que l’Afrique n’est pas réfractaire à la justice, elle n’est pas une terre de prédilection de l’impunité. L’Afrique est capable d’organiser de grands procès internationaux. Nous faisons ce pari pour les victimes du Tchad mais également pour l’Afrique tout entière. Nous aurions souhaité un pacte moral autour de cette exigence d’un procès juste et équitable. Il ne peut pas y avoir d’impunité dans cette affaire. Il est important de concilier les droits de Hissène Habré et les droits de la défense. Car un déni de justice reviendrait à une double victimisation, ce qui serait la plus grande atteinte à la dignité humaine. On a le droit de défendre son client, on doit également avoir une pensée à cette victime qui ne dormira et qui n’exorcisera ce trouble psychotraumatique parce qu’elle aura l’occasion de se retrouver face à son présumé bourreau pour se défendre.
Habré, un procès politique ?
Une commission a travaillé sur la question. Je ne peux pas me prononcer sur la crédibilité ou non. Il y a eu beaucoup de témoignages. Habré est venu lui-même au Sénégal, est allé devant la cour de la Cedeao, qui a indiqué la direction à suivre. Le Sénégal qui a ratifié la convention de 1984 a demandé à l’Union Africaine ce qu’il fallait faire, Hissène Habré étant sous sa juridiction. Les faits sont objectifs. Les victimes sont réelles, rien n’a été créé. Dire que c’est un procès politique, dénier à ces victimes leur qualité de victimes, c’est faire insulte à l’Afrique, comme si l’Afrique se plaisait à organiser un tel procès avec huit (8) millions d’euros, simplement pour faire de la politique politicienne. Les choses me paraissent beaucoup plus sérieuses que cela. S’il arrive que Hissène Habré est acquitté, il n’y a pas de problème ; parce qu’on ne peut pas présumer de sa culpabilité. Revenons à une sorte de sérénité, parce que Hissène Habré ne serait pas le premier président à être jugé, et surtout cette volonté de maquiller l’essentiel, d’essayer d’asseoir une thèse coloniale, néocoloniale ou politique.
Habré, le seul à payer ?
Cela aurait été beaucoup plus compliqué pour les victimes si on avait choisi la voie d’un tribunal ad hoc avec application du système accusatoire, où il appartiendrait aux victimes et au procureur dans une parfaite égalité, d’apporter la preuve des faits allégués.
Les chambres africaines telles que conçues vont prévoir le système inquisitoire. Il appartiendra au procureur général d’apporter la preuve de la culpabilité d’Hissène Habré. A ce niveau, les victimes n’ont pas cette obligation de résultat. Mais elles vont avoir la redoutable charge d’apporter la preuve du lien entre le dommage qu’elles allèguent et le fait de monsieur Hissène Habré. La justice pénale internationale ne recherche pas une responsabilité directe. L’exemple de Charles Taylor, jugé pour des faits de 1996 à 2001 en Sierra Léone alors qu’il n’y a jamais mis les pieds. Il a fallu établir des liens entre ce qui s’est passé.
Dans l’affaire Habré, nous avons suffisamment d’éléments (…), de par les archives que nous avons découvertes, les différents témoignages, nous avons pu établir ce lien, pas direct mais hiérarchique, entre Habré et ses exécutants. La justice pénale internationale recherche cette planification, ce donneur d’ordre et planificateur qui, de par sa position, sa station, pouvait faire en sorte que les crimes commis ne puissent pas se produire. De ce point de vue, nous n’avons aucune crainte.
Avec les victimes, nous pouvons prouver ce lien. Egalement dans le système interne, nous aurons des témoignages qui attesteront qu’ils n’ont été que des exécutants d’un système politique au bout duquel il y avait un homme, un président, qui a été le seul habilité à donner un certain nombre d’ordre.
Des victimes sénégalaises de Habré ?
Il y en a deux. Abdourahmane Guèye, et la sœur de Demba Gaye (décédé). C’est de façon fortuite qu’on l’a découvert. Lorsque nous déposions la plainte, les victimes étaient à Dakar sans qu’on le sache. C’est postérieurement, à la découverte des archives qu’on découvre un certificat de mort de Demba Gaye et une attestation de l’arrestation de monsieur Abdourahmane Guèye. C’est ainsi qu’on a pu remonter à partir de ces archives, Abdourahmane Guèye vivait à Guédiawaye (banlieue dakaroise: ndlr), et la sœur de Demba Gaye, Madame Satta Gaye qui est à Bambey.
Ce que nous reprochons à Habré, ce sont des faits objectifs. Ces documents existent. Abdourahmane Guèye a par la suite donné des témoignages circonstanciés, avec ses codétenus, la manière dont les détenus étaient enterrés à la suite de leur mort, après les tortures, etc. Ce sont des faits objectifs, des victimes réelles, qui étaient de passage au Tchad, arrêtés sous prétexte de trafic illégal de trafic de diamants puis incarcérés dans les geôles de monsieur Hissène Habré et torturés à mort comme Demba Gaye.
Crimes économiques de Habré : l’ombre d’Abdoul Mbaye ?
La compétence d’attribution de ces chambres africaines, ce sont des crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crimes de génocide et torture. A priori, ces chambres africaines ne seront pas habilitées à parler de crime économique. Toutefois, c’est un procès ouvert qui peut déclencher un certain nombre d’initiatives. Des organisations qui s’occupent essentiellement de Transparency international comme Sherpa, qui saisissent de telles occasions pour faire des dénonciations. Le Sénégal a ratifié la convention de Mérida (contre la corruption, Nations Unies, 2003: ndlr), laquelle convention fait obligation au Sénégal de coopérer judiciairement en matière de plainte, de corruption, de détournement de biens mal acquis.
On ignore l’attitude de l’Etat tchadien, c’est un procès ouvert, mais a priori les victimes de Habré se focaliseront sur les compétences d’attribution des chambres africaines, à savoir les crimes qui relèvent du droit pénal. Mais il n’est pas exclu qu’il y ait de façon incidente une plainte par rapport à ses crimes économiques. Les victimes pourraient dans le cadre de la défense de leurs intérêts envisager un certain nombre d’actions, relativement au patrimoine de monsieur Hissène Habré. Tout est ouvert.
Démission du Premier ministre ?
Je suis avocat des victimes, je ne peux pas a priori réclamer la démission d'Abdoul Mbaye, une question politique, une question personnelle. Abdoul Mbaye est le seul juge du tribunal de sa conscience. Si d’aventure la question de l’argent ou du crime économique se posait, il leur appartiendra de prendre les décisions.
Entretien avec Assane Dioma Ndiaye par senewebvideo
Recueillis par Seneweb News
9 Commentaires
Macaroni Paya
En Février, 2013 (14:31 PM)Old
En Février, 2013 (14:40 PM)Fans
En Février, 2013 (15:10 PM)Fans
En Février, 2013 (15:21 PM)Abou
En Février, 2013 (16:32 PM)Cra
En Février, 2013 (17:04 PM)Serc
En Février, 2013 (17:07 PM)Fans
En Février, 2013 (21:26 PM)Deug
En Février, 2013 (00:53 AM)Participer à la Discussion