Le continent africain amorce un virage très significatif. Très en retrait durant des siècles, en raison notamment de l’esclavage et des cycles d’insécurité politique, alimentaire et sanitaire qu’il provoque, l’Afrique qui ne représentait qu’un dixième de la population mondiale en 1950, concentre actuellement 16%, mais devrait accueillir en 2030 le cinquième de l’humanité, et le quart en 2050. Nous serions 2,4 milliards à cette date sur une population globale de 10 milliards. Ce rattrapage rapide a des conséquences sur nos systèmes de santé, d’éducation, sur les économies et les sociétés d’autant plus que dès 2030 l’essentiel de la population africaine résidera dans des espaces urbanisés. Cette croissance nécessite donc une organisation capable d’anticiper les défis. Cela passe obligatoirement par des Etats et un continent indépendants et stables.
La nature de l’Etat au cœur des questionnements démographiques
Nous connaissons les thèses racistes qui prétendent que le génocide des Tutsi au Rwanda serait causé par des densités trop élevées : trop nombreux sur un territoire exigu, les hommes n’avaient d’autre choix que de se battre pour leur survie… en éliminant leurs adversaires (face à la compétition sélective comme le suggère la théorie darwinienne), fussent-ils proches. Le problème de l’Afrique, c’est moins une question de démographie, de races, d’ethnies ou de religions, qu’une question d’Etat. Par conséquent, c’est la nature même de nos Etats et leur fonctionnement qu’il faut questionner. La cible religieuse, ethnique ou autre ne fait que dissimuler une réalité plus profonde. Qui peut nous faire croire que la crise ivoirienne était ethnique ou religieuse ? Qui peut nous persuader que le fond du conflit en Centrafrique, ce pays où l’Etat n’a jamais existé même en bribes, est religieux ? Boko Haram, l’Armée de Libération du Seigneur n’auraient jamais pu se développer dans des pays démocratiques, forts et structurés. La faiblesse de nos Etats, quelques fois l’inexistence même de l’Etat, engendre la multiplication des conflits qui ont un soubassement politique et économique, mais qui vont prendre pour prétexte la religion, la région (séparatisme) ou l’ethnie. Surtout, lorsque les richesses sont concentrées entre les mains d’une élite politico-administrative et religieuse d’autant plus corrompue que les partenaires extérieurs, en dépit du voile sur la transparence et la bonne gouvernance, n’ont aucun intérêt d’avoir en face des régimes démocratiques qui réduiraient leurs marges de manœuvre et donc leurs profits.
Les pays occidentaux prétendent vouloir aider l’Afrique à lutter contre les organisations terroristes, essentiellement djihadistes, tout en sachant pertinemment que ces organisations ne font que remplir le vide laissé par les Etats. Si ce n’étaient des djihadistes, ça aurait été des organisations criminelles de trafic de drogue, d’armes, d’êtres humains ou autres. Il y a d’ailleurs des liens très étroits entre les mouvements terroristes, djihadistes ou nationalistes et les trafics sus-cités. L’argument religieux (ou ethnique) est tout simplement le plus commode. On peut douter que ceux qui semaient la terreur au Nord Mali soient plus pieux que leurs victimes. Pour venir à bout de ces organisations criminelles, les pays occidentaux feraient mieux de nous aider à construire des Etats forts, économiquement viables et justes, donc démocratiques, qui annihileraient toute velléité de s’exprimer par la violence et qui étoufferaient dans l’œuf les organisations terroristes. Mais est-ce dans leur intérêt ?
Des attributs de puissance inexploités
Classiquement, les attributs de la puissance, sont un territoire étendu, suffisamment doté de ressources naturelles et une population importante, dévouée à la défense du territoire et à l’exploitation de ses ressources. Les Etats africains qui disposent de ces atouts (Nigéria, Congo Kinshasa, Ethiopie) sont minés de l’intérieur et de l’extérieur. A l’inverse, le continent compte beaucoup de pays aux territoires étendus, aux ressources naturelles abondantes et diversifiées, mais à la population peu nombreuse. Ces pays sont soit sous influence étrangère très marquée (Gabon, Congo Brazzaville), soit politiquement instables (Niger, Tchad, Mauritanie), soit en voie de désintégration (Libye), désintégration chronique pour certains (République Centrafricaine). Finalement, le seul pays africain qui détient les attributs de la puissance et qui l’exerce c’est l’Afrique du Sud, puissance régionale et continentale dont la voix compte de plus en plus au niveau international. Mais le modèle de développement dont elle est héritière, construit sur la négation de l’autre et de la dignité humaine, nous amène à relativiser la force du modèle.
Population nombreuse ou pas, le défi africain c’est aussi de se battre contre la désintégration de nos Etats. Ce combat doit être mené au niveau national et africain. Ce combat doit être mené par les africains eux-mêmes. Ce ne sont pas ceux qui aident nos Etats à se désagréger (Libye et ses conséquences à court et moyen terme sur les autres Etats fragiles de la région, Soudan) qui feront ce travail à notre place. L’aphonie de l’Union Africaine dans la plupart des conflits et crises qui secouent le continent ne pousse malheureusement pas à l’optimisme. Les Etats de la CEDEAO, incapables de donner de la voix sur des crises aussi importantes que celle qui affecte le Mali ou la propagation du virus Ebola, et qui viennent d’approuver la signature presque en catimini (tous des « démocraties » pourtant) des Accords de partenariat économique (APE) avec l’Union Européenne ne rassurent pas non plus. Même pour se défendre contre le terrorisme, ils se font convoquer (le Président Nigérian compris) dans une capitale étrangère non africaine ! Après plus de 50 ans d’indépendance et une population de plus en plus nombreuse, nos Etats sont incapables de se défendre seuls. Raison pour laquelle, le défi majeur des pays africains devrait être, d’une part, de consolider l’unité et l’intégrité territoriale de chaque Etat, de l’autre de favoriser une véritable intégration (politique, économique, financière – monnaie unique – sociale et culturelle) régionale (CEDEAO, SADC, UMA…) et faire enfin jouer à l’Union Africaine un rôle politique plus affirmé.
Le temps de l’Afrique, maintenant ?
Cette question est susurrée, notamment depuis la crise qui secoue les économies occidentales. Le vieillissement démographique de l’Europe pourrait en effet changer la donne à condition que l’Afrique puisse transformer son effectif et surtout sa jeunesse en opportunités. En effet, au moment où les européens rencontrent des difficultés à renouveler leur population et à assurer un niveau de vie convenable à des retraités de plus en plus nombreux, la population africaine elle, va continuer de s’accroitre.
Cependant, alors que d’autres investissent des sommes colossales dans leur jeunesse, celle-ci en Afrique est considérée comme un fardeau dont on veut se débarrasser par tous les moyens. Ne lui assurant qu’une éducation au rabais, voire une simple instruction, puis jetée à la rue, tout en l’encourageant implicitement à émigrer, parfois en organisant l’émigration de masse vers les Amériques, l’Europe ou le Moyen Orient (Qatar, Emirats Arabes Unis), celle-ci doit se réinventer un avenir dans un contexte politique, économique et social incertain.
L’Afrique a d’énormes potentialités : une formidable diversité géographique et culturelle, 30% des terres arables du monde, des matières premières abondantes et diversifiées… mais surtout la jeunesse de sa population. Une jeunesse dynamique qui ne demande qu’à libérer son énergie créatrice. Saurions-nous en faire une force et ne plus la considérer comme une fatalité ? L’Afrique comptera plus de deux milliards d’habitants en 2050, c’est-à-dire demain. C’est un marché large et une puissance géopolitique et géostratégique en perspective. A condition…
Et enfin…
A l’heure actuelle, notre population est une faiblesse. Cette population restera problématique tant que notre agriculture n’arrivera pas à nous assurer une subsistance correcte, tant que nos devises seront englouties par le déficit chroniquement abyssal de nos balances commerciales. Elle restera un handicap tant que nous ne lui assurerons pas une bonne santé, une éducation satisfaisante basée sur nos réalités et tant que la richesse ne sera pas partagée équitablement. Elle restera une faiblesse tant que nos Etats seront dépendants politiquement (et diplomatiquement), économiquement, financièrement. Notre population restera une faiblesse tant que nos Etats ne pourront pas se défendre eux-mêmes contre une agression interne ou externe et tant que nos Etats vont continuer à se désagréger. Nous resterons faibles tant que nous ne serons pas unis. Nous resterons le dernier wagon de la locomotive tant que « nos » « réformes » nous seront imposées de l’extérieur.
Pour mieux comprendre les enjeux démographiques, lire :
Virginie RAISSON, « 2033, Atlas des futurs du Monde », Robert Laffont, 2010, 199 p.
PNUD, « Rapport sur le développement humain 2014 »
Nations-Unies, « Objectif du Millénaire pour le Développement, Rapport 2014 »
Docteur Youssouph Sané
<82>[email protected]
4 Commentaires
Waxx Deugg
En Septembre, 2014 (19:43 PM)Mais que vaut une population non éduquée et non formée? dirigée par une élite narcissique et antipatriotes, la reste la question.
Xeme
En Septembre, 2014 (08:58 AM)La Vérité
En Septembre, 2014 (09:38 AM)Diop
En Septembre, 2014 (10:43 AM)Participer à la Discussion