Opinion
Lettre ouverte à Monsieur Macky SALL, Président de la République Le littoral est notre patrimoine commun : préservons-le !
Excellence, Monsieur le Président,
Vous le savez certainement, la zone littorale présente une importance capitale dans la vie de notre nation : elle accueille 60% de la population Sénégalaise et concentre une large part des activités économiques nationales sources de croissance et d’emploi contribuant à hauteur de 68% au Produit Intérieur Brut (DEEC et Banque Mondiale, 2013).
Cependant les ressources littorales sont limitées et fragiles, c’est pourquoi le Sénégal à très tôt adopté un cadre législatif et ratifié des conventions internationales visant à protéger ce patrimoine commun dans une optique de développement durable de la zone côtière terrestre et marine.
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Malheureusement force est de constater que la zone littorale fait l’objet au Sénégal d’agressions répétées et inquiétantes : surexploitation des ressources halieutiques, prélèvements abusifs de sable ou roches volcaniques, pollutions et dégradations de l’environnement et du cadre de vie, bradage du domaine national, privatisation de la grève, occupations anarchiques, remblais et modifications du trait de côte,…
Les ultimes réserves foncières littorales de Dakar sont bradées à des promoteurs privés pour la réalisation de projets immobiliers mercantiles rendant les plages inaccessibles aux populations riveraines (Exemples : plages de la cour de cassation, du Terrou-Bi, du virage, des Mamelles,…).
Ces opérations foncières souvent effectuées dans des conditions questionnables s’apparentent pour leurs promoteurs à un enrichissement sans cause au détriment des populations et de l’Etat.
L’inaliénabilité et l’incessibilité du Domaine Public Maritime est mise à mal par de nombreux déclassements aux justifications incertaines (Eden rock, SCI Dahra, SCI Focus, hôtel du virage,…) ou par son annexion pure et simple. La cession de gré à gré sans recours à la voie législative du domaine national pour une bouchée de pain à des promoteurs privés sous prétexte de projets commerciaux ou d’habitat (MA Kharafi& Sons Sénégal, Groupe Sallahm, domiciles de personnalités politiques exposées,…) amène à faire la règle de procédures d’exception. Si la lettre des lois protégeant le littoral est souvent respectée son esprit est quasi systématiquement bafoué amenant à s’interroger sur l’efficacité des textes en vigueur ou tout le moins sur l’éthique de la gouvernance du littoral.
L’obligation faite aux services de l’Etat et aux promoteurs d’évaluer l’impact environnemental et social des projets de cession foncière du domaine national et de construction en zone littorale apparait au mieux comme un alibi est souvent totalement ignoré. Les délais particulièrement courts des enquêtes publiques, l’information – règlementaire – mais volontairement confidentielle difficilement accessible aux populations quant à la tenue de ces enquêtes ainsi que l’absence d’indépendance, voir le parti pris, des commissaires enquêteurs permettent rarement une évaluation efficace et impartiale des impacts et risques induits par ces projets. L’obligation de pondérer ces impacts est rarement respectée : les projets immobiliers littoraux font souvent peu de cas de l’environnement et des populations, les Plans de Gestion Environnementale(PGE) lorsqu’ils existent sont rarement appliqués dans toute leur rigueur.
En outre des projets préoccupants de révision des prérogatives dévolues aux collectivités locales en matière d’urbanisme et de construction aurait pour effet de donner toute latitude à l’administration centrale pour de nombreux types de projets immobiliers qui d’exceptionnels deviendraient certainement rapidement la norme.
Si de nombreuses opérations foncières littorales douteuses ont été effectués sous le magistère de votre prédécesseur au prétexte de grands événements – somme toute très ordinaires – et de développement économique nous constatons que peu d’actions coercitives semblent avoir été prises pour faire prévaloir l’intérêt général et supprimer les passes droit.
Exemples : attribution début 2013 d’un terrain domaine public maritime pour la construction de l’ambassade du Koweït sur l’espace 888 à Ouakam, remblais et modification du trait decôte pour des constructions à fenêtre Mermoz et à Ngor, tentative de lotissement irrégulier des Mamelles par le Groupe Sallahm début 2014,…
Les audits fonciers lancés au lendemain de votre accession au pouvoir n’ont donné lieu à ce jour à aucune condamnation ; les chantiers litigieux un temps arrêtés ont pour la plupart repris dans la plus grande discrétion.
Exemple : le bradage en 2006 pour 2,175 milliards de francs CFA des 29 hectares de l’ancien champ de tir des Mamelles (TF n°4517/NGA) au groupe Koweitien MA Kharafi& Sons pour la construction d’un réceptif hôtelier de luxe et de villas présidentielles a fait l’objet en 2012 d’audits de l’IGE puis d’une enquête préliminaire de Gendarmerie. Malgré des indices accablants d’irrégularités dont la presse nationale s’est largement fait l’écho et le non-respect de l’obligation contractuelle de mise en valeur, le promoteur a pu reprendre en 2013 ses travaux après inscription en toute discrétion par l’Etat d’une hypothèque forcée de 10 milliards de francs CFA sur ledit titre foncier alors même qu’un droit de reprise aurait valablement pu être exercé par l’Etat.
La plupart des tentatives des acteurs de la société civile pour accéder aux informations relatives aux procédures questionnables (rapports d'études environnementales, décisions d'attribution,…) se heurtent à un refus ou à une absence de réaction des autorités concernées rendant tout contrôle citoyen difficile alors même que certains de ces documents ou procédures sont par nature et destination publics.
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Les impacts de cette aliénation du littoral vont bien au-delà de simples désagréments causés aux riverains et usagers des sites concernés ; ils induisent des implications économiques, sociales et environnementales préoccupantes pour la Nation dans son ensemble :
Privatisation du bien public : Le bradage du domaine national ou du domaine de l’Etat à des fins mercantiles concourt à l’épuisement rapide d’une ressource foncière non renouvelable qui constitue un bien commun.
Augmentation du coût de la vie : Ces manœuvres spéculatives participent à un renchérissement du cout de la vie insupportable pour une majorité de la population (accès à la propriété, loyer,…).
Rupture de la Justice sociale : Si des promoteurs privés obtiennent avec une facilité déconcertante des surfaces de terrain particulièrement importantes pour une bouchée de pain et pour des projets n'ayant aucun caractère d'utilité publique, il est quasiment impossible aux populations riveraines ou acteurs associatifs d'obtenir le moindre lopin de terre. Cette absence d’équité dans le traitement des citoyens pour l’accès aux ressources foncières ne peut que générer des frustrations et exacerber une contestation déjà vive auprès d’une population s’estimant dépossédée d’un patrimoine coutumier ; des troubles à l’ordre public s’en suivent régulièrement.
Enrichissement sans causes : les opérations de spéculation foncières en zone littorale permettent à leurs promoteurs de réaliser des bénéfices astronomiques pour un investissement souvent limité, le tout au préjudice de l’Etat et de la communauté. Attribués par voie de bail pour un loyer annuel de 300 à 700CFA/m² ou par cession de titre foncier pour un cout variant suivant la zone de 2.500 à 100.000CFA/m² ces terrains peuvent aisément être revendus 100.000 à 500.000CFA/m² après des travaux de viabilisation sommaires.
Non-respect de la législation du foncier et du domaine de l’Etat : le déclassement abusif du domaine public maritime, voir son attribution par voie de bail sans déclassement préalable ainsi que l’exécution de cession domaniales sans recours à la voie législative sont des problèmes fréquemment constatées.
Non-respect de la législation de l’urbanisme, de la construction, de l’assainissement : La pluparts des projets immobiliers littoraux exécutés sur le littoral de la région de Dakar ne nous semblent pas conforme aux prescriptions législatives et règlementaires applicables : lotissement sans autorisation, construction sans permis, implantation sur le domaine public maritime ou dans des zones inscrites à la liste des sites et monuments historiques classés, non-respect des prescriptions des plans ou schémas directeurs d’urbanisme lorsqu’ils existent, rejet direct à la mer d’eaux usées et vannes sans traitement préalable,...
Non-respect de la législation environnementale : La prise en compte des impacts environnementaux des projets immobiliers littoraux est souvent limitée ou inexistante. Les études environnementales prescrites par la loi nous semblent être au mieux de simples alibis et dans de nombreux cas ne sont même pas exécutées.
Erosion côtière : Les remblais et la modification du trait de côte constatés sur de nombreux sites littoraux (Magic Land, Terrou-Bi, espace 888, Ngor,…) modifie les courants marins et participe à l’érosion côtière, souvent à bonne distance du projet en cause au grand désarroi des populations impactés ayant rarement des moyens équivalents à ceux des promoteurs fautifs : 120Km de côtes sont menacés (LÔ, Pape Goumba. 2008) et feront perdre 1.200 milliards de CFA au pays (UNESCO, 2008).
Effondrements : la construction d’immeubles sur une zone littorale à la géologie particulière expose ces édifices à des risques accrus de glissements de terrains ou d’effondrements.
Inondations : La construction de bâtiments en zone littorale modifie l’hydrologie des lieux et est susceptible de perturber l’évacuation vers la mer des eaux pluviales expliquant la recrudescence d’inondations dans la région de Dakar.
Dégradation des écosystèmes marins : En empêchant le ruissellement des eaux vers la mer, les constructions limitent l’apport de nutriments depuis le milieu terrestre et perturbent significativement les réseaux trophiques de l’écosystème marin côtier (plancton, coquillages filtreurs, crustacés, poissons planctivores et piscivores,…). Les ressources halieutiques déjà bien malmenées par une surpêche s’en trouvent diminuées, les populations exposées à un risque accru d’insécurité alimentaire.
Dégradation du cadre de vie : La suppression des rares espaces verts publics littoraux de Dakar cadre privilégié d’activités sportives, culturelles et traditionnelles participe à la dégradation rapide du cadre de vie des populations alors même que la proportion d’espaces verts de Dakar est déjà très inférieure aux moyennes préconisées. De nombreuses études scientifiques soulignent l’impact des espaces verts urbains sur la santé (DE VRIES et al. 2003), l’espérance de vie (NOWAK et al. 2013, TAKANO et al. 2002) et l’équilibre psychosocial des populations (MANUSSET, S. 2012).
Privatisation des plages et de la grève : bien que les dispositions applicables au domaine public maritime fassent obligation aux riverains de laisser le libre accès au littoral et la libre circulation à la grève,
Dégradation de l’attrait touristique : La réalisation de lotissements à usage d’habitation ou d’immeubles à usage de bureaux – aux qualités architecturales souvent discutables – sur des sites historiques ou remarquables tels que la corniche Ouest ou les Mamelles déprécie leur valeur patrimoniale et n’est pas de nature à favoriser le redécollage du secteur du tourisme.
Ces impacts sont visibles et largement ressentis par les populations nottament à Saint-Louis (disparition de la langue de Barbarie et érosion de Sor), à Dakar (disparition des plages publiques et accaparement du littoral) ou en Casamance (dégradation du littoral pour un projet d’exploitation de Zircon à Niafrang-Abéné).
La primauté d’intérêts particuliers mercantiles, voire d’intérêts dits diplomatiques, sur l’intérêt général dans quantités d’opérations immobilières – souvent irrégulières – sur le littoral de la région de Dakar amène légitimement à s’interroger sur les motivations des décideurs publics dans ces dossiers et à regretter l’absence de vision à long terme qui devrait privilégier un usage réfléchi des ressources foncières et naturelles dans une logique de développement durable et soutenable respectueux des populations.
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Certains acteurs de la société civile ont créé le Réseau National des Acteurs du Littoral à l’initiative de SOS Littoral, l’Association des Volontaires de l’Environnement-AVE, Green Sénégal et du REPES pour faire face à cette situation préoccupante du littoral Sénégalais dont les populations subissent les conséquences et prennent rapidement conscience.
De nombreux particuliers, associations et autorités civiles et religieuses ont pris conscience de la nécessité de protéger notre cadre de vie et la zone littorale et s’investissent pour faire de cette problématique une cause nationale populaire.
Ainsi, Excellence, Monsieur le Président, nous vous exhortons à faire tout ce qui est en votre pouvoir pour préserver le littoral de Dakar et plus généralement du pays en :
Faisant adopter le projet de loi sur le littoral à l’étude depuis de nombreux mois,
Auditant les opérations immobilières douteuses, résiliant les autorisations baux et titres délivrés irrégulièrement, procédant à la démolition des constructions irrégulières, expulsant les occupants sans autorisation du littoral,
Faisant procéder à des études d'impact environnemental et social sérieuses prévoyant des dispositions conservatoires et compensatoires contraignantes,
Faisant procéder à l'étude et l'encadrement des projets concernant les sites et monuments historiques classés (Cap Manuel, Gorée, Mamelles, Ngor,...)
Renforçant les pouvoirs des collectivités locales en matière d’autorisation et de contrôle des opérations d'urbanisme et de construction,
Instituant des Plans d’Aménagement Concertés articulés aux Plans d’Investissement Communaux dans le cadre de Partenariats Publics-Privés écologiques et durables,
Associant par une démarche participative et inclusive les populations et la société civile à la gouvernance du littoral, notamment au travers de structures de gouvernance (Observatoire National du Littoral, Haute Autorité de la Corniche)
Facilitant l’accès à l’information publique et en améliorant la transparence dans la gouvernance du littoral et des affaires publiques pour permettre un contrôle citoyen efficace,
Ont signé :
Mr Mansour Sora WADE, Président association SOS Littoral, Sénégal
Mr Omar DIAGNE, Président Association des Volontaires de l’Environnement, Sénégal
7 Commentaires
Edaw
En Mars, 2014 (12:04 PM)M.demba
En Mars, 2014 (12:16 PM)Zoe
En Mars, 2014 (13:12 PM)Sa Matt Goloniaye
En Mars, 2014 (15:31 PM)Ces revelations sont tres graves!....j'ai supporte Macky jusqu'a present mais je commence a avoir des doutes sur sa volonte....a il sous estime les difficulties de sa function et le combat perpetuel qu'il doit mener pour les interest du pays et pour accomplir ses buts? comment peut-il laisser les senegalais perdere leur plus precieuses terres du DPM???!!!
Sggil Afrika
En Mars, 2014 (16:11 PM)Nioun daal Afrik ni rek, ay vrai putees, kou nieuw sooos dem sa yoon.
Phardia
En Mars, 2014 (17:28 PM)J'espere que votre appel sera entendu
Sirey
En Mars, 2014 (16:57 PM)Participer à la Discussion