Marc Roche, journaliste belge, longtemps correspondant royal à Londres pour le journal Le Monde et désormais pour le Point, ne se fait aucune illusion: “Avec ce livre-là, je ne serai plus jamais invité à Windsor.” Observateur de la monarchie britannique, il a été invité à dîner par la reine Elisabeth II à deux reprises et il a pu s’entretenir sept fois avec elle. Il a approché le mythe de près et il le décortique dans son troisième livre sur le sujet: “Elle ne voulait pas être reine”, sorti aux éditions Albin Michel.
L’idée était de “dresser un portrait transgressif, sortant des sentiers battus, d’une personnalité qui se laisse difficilement saisir”. Marc Roche revient, sans tendresse pour Harry et Meghan, sur le Megxit, évoque le scandale de l’affaire Epstein auquel le fils préféré d’Elizabeth est lié, donne l’emploi du temps étonnant d’Elizabeth, parle du terrible destin du Prince Charles, “condamné à l’attente” ou encore de comment Elizabeth a formaté William à son image. C’est aussi instructif que divertissant. Interview.
Qu’est-ce qui vous fascine tant chez la Reine Elizabeth II?
Le fait qu’elle soit insaisissable. Elle est très difficile à cerner. Elle a un statut d’icône planétaire indéfinissable. Au centre de mes recherches, il y a comment une jeune femme à l’éducation sommaire, qui n’avait aucune idée des arcanes de la monarchie constitutionnelle, est devenue un phénomène planétaire sans jamais avoir changé d’un iota son mode opératoire. Elle est, depuis toujours, au-dessus de la politique, de la mêlée partisane, elle parle peu et elle fait preuve d’une détermination machiavélique pour éliminer ceux qui, dans sa famille, sortent des clous.
On ne peut pas dire qu’elle soit tendre, effectivement...
Je ne pense pas qu’elle soit cruelle au fond d’elle-même. Mais elle est cruelle quand il s’agit de répondre aux défis à son autorité. Elle n’aime pas qu’on la contrarie. C’est une main de fer dans un gant de velours. Elle brouille les pistes. Elizabeth n’est pas une femme cultivée, elle ne s’intéresse pas aux arts, ses lectures sont rudimentaires: elle lit des thrillers se déroulant dans le monde hippique. Elle est propriétaire au nom de l’une des plus belles collections de tableaux au monde mais elle ne s’intéresse pas à la peinture ni à la porcelaine. Son mode de vie est rural. Pourtant, elle est maligne. Elle jauge vite et bien les gens. Elle est très sensible aux protocoles et aux étiquettes, il n’est pas question de contester ses décisions, elle écoute ses conseillers qui savent comment imposer leurs choix sans jamais la brutaliser ou la mettre devant le fait accompli mais elle se sert de son arme, de l’une de ses armes de pouvoir, qui est le bon sens. Et une fois que la décision est prise, rien ne la fait changer d’avis.
C’est le titre du livre: “Elle ne voulait pas être reine”. Et pourtant, ça fait 60 ans qu’elle règne et elle semble indéboulonnable. Pourquoi?
Les Britanniques ne sont pas les Belges ou les Neérlandais: un souverain anglais ne rend pas sa couronne. Le serment qu’elle a fait lors de son couronnement en 1953 est d’ordre religieux: elle a promis de servir son peuple jusqu’à sa mort. Elle n’abdiquera pas, et c’est d’autant plus certain qu’elle a vécu, même si elle n’avait que 10 ans, la crise de l’abdication de 1936 qui fut un drame familial. Elle n’a jamais oublié ça.
Et pendant ce temps, le Prince Charles attend. Il a un destin terrible: il ne fait qu’attendre son tour.
Dans le cadre de la monarchie constitutionnelle, le Prince de Galles doit attendre la mort du monarque. C’est son seul rôle. Ceci dit, le Prince Charles est de facto régent vu que la reine a 94 ans. Il a des responsabilités, il la représente à l’étranger, il remet les médailles, la reine est confinée à Windsor sans doute pour le reste de sa vie. Charles est l’héritier au trône le mieux préparé de l’histoire. Il a fait des études universitaires et il a créé un remarquable réseau associatif, ils s’intéressent aux religions et à la lutte contre la discrimination et en faveur de la diversité. C’est tout le contraire de sa mère en terme de personnalité. Il est plus extravagant et dépensier mais ils ont deux points en commun: l’homéopathie et leur amour des animaux. La reine, c’est les chevaux et les chiens, Charles ce sont les moutons.
Vous n’êtes pas tendre avec Harry et Meghan. Vous dénoncez le “communiqué de presse mal ficelé et bourré d’erreurs de syntaxe” qu’Harry a écrit lui-même pour dénoncer les attaques des tabloïds contre son épouse. Qu’est-ce qui vous agace chez eux?
Quand Meghan est apparue sur la scène, la reine l’a accueillie les bras ouverts. Déjà parce qu’Harry n’était que sixième dans l’ordre de succession. Qu’elle soit métisse n’avait pas d’importance, ça aurait été différent si c’était William. Et Meghan a accumulé les erreurs et les provocations. Ils ont traîné en justice deux tabloïds, la Reine n’aurait jamais fait ça. Ils n’ont jamais dévoilé le nom des parrain et marraine d’Archie alors qu’ils ont un rôle très important dans l’éducation de l’enfant en Grande-Bretagne. Ils se sont entourés de gloire du showbiz. Ça a rappelé à la Reine les pires heures de l’époque Diana. Ils ont voulu le beurre et l’argent du beurre. Harry est un écorché vif. À la suite de la mort de sa mère, il a suivi une thérapie mais il reste profondément troublé, notamment dans sa relation compliquée avec son frère. Officiellement, la Reine en veut à Meghan d’avoir dévoilé la brouille entre les deux frères. En réalité, ils n’ont jamais été proches. Harry a toujours mal vécu le favoritisme dont la reine a fait preuve envers William parce qu’il est deuxième dans l’ordre de succession. C’est un parcours d’obstacles, la vie chez les Windsor.
Vous écrivez: “Harry est un digne Spencer: pas assez de cerveau et trop de cœur, trop d’émotion et pas assez de logique.”
Chez les Windsor, y a que l’ordre de succession qui compte, sans aucune exception, aucune dérogation. Harry, né le second, aurait dû accepter son sort. A l’hostilité entre Harry et William vient se greffer l’hostilité entre Meghan et Kate. Kate a fait un parcours sans faute, elle n’a jamais défrayé la chronique, elle est certes roturière mais elle a fréquenté les pensionnats les plus chics.
L’archevêque de Canterbury, qui a marié Harry et Meghan, dit que le choix qu’ils ont fait, c’est “une peine de prison à perpétuité”. Pourquoi?
Ils sont condamnés à connaitre la même vie que le duc et la duchesse de Windsor, le Prince Edouard et Wally Simpson. Il a abdiqué par amour. En exil, ils ont connu une vie mondaine et oisive. Harry et Meghan connaîtront la même à Hollywood. La seule solution pour Harry de retrouver son titre et sa fonction royale est de divorcer et de rentrer au royaume. S’il ne fait pas ça, ils vont être totalement oubliés. Les Britanniques sont légitimistes, ils aiment cette idée de noyau dur de la monarchie instaurée en 2012: la Reine, le Prince Charles, William et George. Ça donne de la stabilité, et de la permanence.
Parmi les crises traversées, du scandale récent liant son fils Andrew à Jeffrey Epstein, au Brexit à Harry et Meghan, laquelle était la plus dure pour elle?
Andrew, c’est son fils favori et elle a tranché : il n’a plus droit au statut royal. Mais la pire crise pour elle, c’était Diana. L’avenir de la monarchie a été menacée parce qu’elle n’a pas saisi l’émotion d’une partie de son peuple. Les autres épisodes, Sarah Ferguson, Harry et Meghan, Andrew, ce n’est rien à côté de Diana. Elle est blindée pour régler ce genre d’affaires. Elle n’a pas lu Machiavel mais c’est une bête de pouvoir, elle sait y faire. Éliminer les branches pourries de la monarchie, elle a fait ça toute sa vie. Avec tact mais sans pitié, c’est du grand art.
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