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Accouchement : gonfler un ballon dans son vagin pour éviter l'épisio

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Accouchement : gonfler un ballon dans son vagin pour éviter l'épisio

ns le cabinet de Sabine Dugelay, une kinésithérapeute parisienne, de jolis mots pleuvent. Ils sortent de la bouche de Fabienne (son prénom a été changé), sa patiente. Une sympathique brune, joviale, enceinte de neuf mois (c'est son deuxième enfant).

"Ah mais putain de merde !"

Elle a les yeux fermés un peu crispés, une main sur la bouche, qu'elle est sur le point de mordre pour se soulager. Elle est surtout allongée sur un lit, jambes écartées en train de faire gonfler un ballon à l'intérieur de son vagin. Oui. Un ballon.

Le but ? Gonfler le ballon jusqu'à 10 centimètre (la taille de la tête d'un bébé). Elle compte les pressions qu'elle fait sur sa poire.

"... Sept ! Huit ! Neuf !"

Ça ne fait pas mal, précise Fabienne, mais ce n'est pas très agréable. A neuf mois de grossesse, le bébé prend énormément de place. Tout le corps est saturé. Ajouter un ballon là-dedans, c'est encombrant.

"J'ai l'impression que le bébé remonte avec le ballon", décrit Fabienne quand je lui demande d'expliquer ce quelle ressent exactement.

"C'est pour la bonne cause", répond la kiné, avant de l'encourager :

"Et maintenant : poussez ! Poussez bien, poussez fort !"

Fabienne expulse le ballon bleu et lubrifié de son vagin avant de souffler. Soulagée. Ceci n'est pas une folie mais une méthode ("Epi-no") de préparation à l'accouchement.

Selon le fabriquant, elle viendrait d'Afrique et serait ancestrale. Certaines femmes enceintes se prépareraient à la naissance en se servant (encore de nos jours) de courges calebasses pour étirer et renforcer les muscles du plancher pelvien.

Chez nous, la méthode prend un autre visage, celui d'une promesse : ne pas subir d'épisiotomie le jour de son accouchement. Cauchemar de la future mère, ce geste médical est ainsi défini sur le site du Larousse :

« Intervention chirurgicale qui consiste à sectionner la muqueuse vaginale et les muscles superficiels du périnée afin d'agrandir l'orifice de la vulve et de faciliter l'expulsion du fœtus lorsque accouchement le nécessite. »

Pour dire les choses encore plus clairement : c'est un coup de ciseau dans le vagin pendant l'accouchement. Et oui, c'est flippant.

Des témoignages de films d'horreur

Sur les forums (qu'on lit beaucoup en étant enceinte), on tombe sur des témoignages qui ressemblent à des films d'horreur. Ici, une certaine Shinye :

« Oui l'épisio, c'est pas toujours jojo... J'ai été tout simplement massacrée à mon premier accouchement car bébé faisait de la tachycardie donc il fallait vite la sortir sinon c'était césa. Résultat c'est l'interne qui a recousue en un seul point sur tout le longueur. 3 ans après j'ai toujours mal, ça gonfle après certains rapports, bref la joie. »

Là, une autre anonyme :

« Au moment de l’expulsion, sans anesthésie, sans m’en informer, sans mon consentement, [le gynéco de garde] a pris les ciseaux et m’a mutilée. J’ai crié. Et il m’a recousue comme ça, à vif. Une boucherie. J’ai mis trois mois avant de m’asseoir sur une chaise sans souffrir. Et aujourd’hui, j’ai toujours mal pendant un rapport. »

Logiquement donc, selon un sondage YouGov pour 20 Minutes, réalisé en décembre dernier, 65% des femmes prendraient en compte les taux d'épisiotomie des maternités pour choisir où accoucher. Leur peur est d'autant plus fondée que, dans la grande majorité des cas, ce "coup de ciseau" est injustifié.

Sur son site, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français explique que l’analyse des études existantes "ne montre pas de bénéfices à une politique libérale d’épisiotomies par rapport à une utilisation restrictive".

47% d'épisios sur les premiers accouchements

En 2005, on constatait un taux de 47% d'épisiotomies, et le Collège national des gynécologues et obstétriciens français préconisait donc :

« Il faut instituer une politique incitative pour faire baisser progressivement le taux moyen d'épisiotomies en France en dessous de 30%. »

Aux dernières nouvelles, selon une étude du Ciane (Collectif interassociatif autour de la naissance), les médecins ont fait des efforts. Le taux de coups de ciseaux s'élève désormais à 30%. Pour les premiers accouchements, il reste néanmoins très élevé : 47%.

Les défenseurs de l'épisiotomie évoquent la sécurité des bébés (qu'il faut parfois sortir en urgence) et le risque de déchirure grave (allant jusqu'à l'anus). Quand je l'avais interviewé pour mon livre ["Enceinte, tout est possible", JC Lattès 2016], Martin Winckler médecin féministe, m'avait dit qu'il valait mieux une déchirure naturelle de la paroi du vagin.

“Les déchirures se font selon un tracé naturel, de plus la peau cicatrise très bien toute seule, alors que quand vous faites une épisio vous la faites en transversal, c'est à dire à un endroit où vous allez déchirer un muscle.”
Se préparer comme Gaël Monfils

L'avantage d'Epi-no, m'explique Paul Chatel, gynécologue obstétricien dans une petite salle de la clinique Sainte-Thérèse, c'est qu'on sort de ce débat coup de ciseaux contre déchirure.

De la méthode, il dit qu'elle se vulgarise par le bouche à oreilles. Les femmes se racontent qu'on peut préparer l'accouchement comme on se préparerait à un événement sportif. Et il insiste : ce ballon gonflé dans le vagin n'est pas un dilatateur de vagin.

"C'est un travail progressif. Les patientes gagnent un centimètre par mois. Exactement comme quand on s'entraîne à toucher ses pieds ou à faire le grand écart."

Cet étirement ne veut pas dire qu'on devient mollassonne du bas, non plus explique-t-il.

"J'aime bien l'image de Gaël Monfils. Il est hyper musclé sauf que quand il va chercher une balle à Roland Garros, il fait le grand écart et il n'a pas les ischio-jambiers tout mous pour autant. Il est hyper tonique.
Ce qu'on cherche avec le périnée, c'est d'en faire un athlète de haut niveau souple et musclé, pas du tout un hall de gare comme je l'entends souvent."

Gonzague Mellerio, gynécologue obstétricien séduit par la méthode Epi-No, l'a introduite dans la clinique Sainte-Thérèse à Paris.

L'homme a 40 ans de carrière et pratique la méthode du ballon depuis dix ans maintenant. Plus de 800 de ses patientes ont préparé leur accouchement ainsi.

"L'ordre d'idées, c'est qu'avant que je me lance dans Epi-no j'avais 46% d'épisiotomies sur des primipares [premiers accouchements] aujourd'hui, j'en ai moins de 10%."
Des études positives

Des études confirment cette observation. En 2009, dans l’Australian and New Zealand Journal of Obstetrics and Gynaecology, on pouvait lire par exemple [PDF] que des chercheurs avaient observé 276 femmes primipares dans quatre hôpitaux universitaires allemands.

Voici leurs conclusions :

« Après une préparation avec Epi-no, nous observons une augmentation significative dans l’incidence de périnées intacts (37,4% contre 25,7 %) mais aussi une tendance à la baisse des taux d’épisiotomies (41,9% contre 50,5%). »

Toutes les femmes pratiquant la méthode avec qui j'ai parlé étaient donc dithyrambiques. Enceinte de 7 mois, Claire, commerciale chez un éditeur de logiciel, m'a même dit se considérer désormais comme "une ambassadrice". Cette trentenaire n'en finit pas de conseiller le ballon bleu à ses copines.

"J'ai commencé à quatre mois et quelque. Aujourd'hui, j'arrive à gonfler le ballon quasiment jusqu'à dix centimètres."

Elle considère les exercices à faire chez soi comme du sport. Pas forcément marrant, mais nécessaire.

Car oui, cela demande du travail, deux ou trois séances d'une demi-heure par semaine à la maison, confirme Sabine Dugelay, la kinésithérapeute qui écoute parfois les jurons pleuvoir dans son cabinet. 

"De temps en temps, il y a des patientes qui disparaissent. Je pense que l'appareil est dans un placard."
Effet psy : détente pour tous

Si la méthode n'est pas magique, c'est aussi qu'on ne peut pas non plus la proposer à tout le monde. Sabine Dugelay ne suit jamais une patiente sans autorisation de son gynécologue-obstétricien. Un col court ou un placenta prævia sont, par exemple, des facteurs rédhibitoires.

Du reste et d'expérience, elle préconise de commencer le plus tôt possible dans la grossesse (autour de trois mois), car cela permet un travail en douceur.

"C'est aussi l'occasion de découvrir son corps. Où est le périnée ? A quoi ça sert ?"

Sabine Dugelay évoque aussi un bienfait psychologique. Les patientes qui pratiquent la méthode connaissent bien leurs corps, elles se sont approprié cette zone d'ordinaire taboue.

"Du coup, elles abordent la naissance de manière plus décontractée. Elles ont appris à pousser et elles savent qu'elles peuvent sortir la tête de leur bébé le jour de leur accouchement."

La décontraction, c'est comme dans un dîner. Si un convive l'est, les autres peuvent plus facilement l'être aussi.

Et si les femmes qui pratiquent Epi-no étaient aussi plus détendues par ricochet ? Parce que leurs médecins et les sages femmes le sont plus ? Paul Chatel, le gynécologue-obstétricien de Sainte Thérèse, raconte qu'il a vu sa pratique changer.

En 1742, un médecin irlandais

S'il ne cache pas que la méthode n'a pas tout de suite marché pour lui - il insiste sur le fait qu'il faut absolument guider les femmes et qu'il n y a pas de bons résultats si on les laisse se débrouiller avec leur ballons -, le gynécologue dit aussi :

"Depuis que je propose cette méthode à mes patientes,  je fais des choses que je ne faisais pas avant. J'ai utilisé des forceps sans épisio, sur des primipares par exemple. Et aujourd'hui, avant même d'arriver à un accouchement je sais souvent que ça va bien se passer."

Pour comprendre cet effet tranquillisant du petit ballon, il faut se plonger dans l'histoire de l'épisiotomie et comprendre qu'elle a été une évidence pendant des siècles.

Qui donc a eu cette brillante idée de couper dans les femmes au ciseau, comme dans un poulet du dimanche midi ? C’est un médecin irlandais, Sir Fielding Ould, qui le premier évoque à l'écrit l'épisiotomie, en 1742 dans « Un traité sur le métier de sage-femme ».

« Possibilité de couper le périnée maternel à l’aide d’une paire de ciseaux en passant une lame de ces derniers entre la tête fœtale et le vagin maternel, en direction de l’anus, aussi loin que nécessaire, quand l’extraordinaire constriction de l’orifice externe vaginal ne peut être levée au doigt. »
Une épisio? "C'est de votre faute"

Quand je l'avais interviewé pour mon livre, Paul Cesbron gynécologue, obstétricien, secrétaire de la Société d’histoire de la naissance, avait développé :

« L'idée à l'époque, c'est de raccourcir le temps d'expulsion. Il faut perdre le moins de bébés possibles. On pense que plus les accouchements sont longs, plus les bébés meurent. La pratique s'impose comme cela, curieusement, de manière tout à fait empirique. »

Blogueuse féministe, Marie-Hélène Lahaye se bat pour que les femmes soient maîtresses de leurs accouchement. Quand je l'appelle pour avoir son avis sur Epi-no, elle me fait remarquer un aspect qui la gêne :

"De nouveau, on explique aux femmes que leurs corps n'est pas adapté à l'accouchement et qu'il faut l'aider à le devenir. Et cela renvoie à cette idée que finalement si vous avez une épisiotomie, c'est de votre faute : vous n'avez pas travaillé. Il faudrait sortir de ce mode de pensée. C'est aux médecins de changer leurs pratiques aussi."

Pour la militante, Epi-no déplace le débat :

"La seule façon d'éviter une épisiotomie est de choisir un médecin qui n'en pratique pas. La méthode est vendue en faisant peur aux femmes (vous allez avoir une épisiotomie) et en leur mentant (Epi-no permet de l'éviter).
Et donc, au final, le message retenu par les femmes, ce n'est pas qu'elles doivent choisir un soignant qui ne coupe pas leur sexe."

Elle n'en juge pas moins la méthode bénéfique si elle permet à des femmes de s'approprier leurs corps et d'aborder l'accouchement plus sereines.

Quelques jours ont passé depuis les jurons de Fabienne. Je me demande comment s'est passé son accouchement et la rappelle. Tout va bien. Elle a accouché d'un petit Lino. 3,5 kilos. 51 centimètres. Et sans épisio.

"C'était un accouchement de rêve encore mieux que le premier (j'avais déjà fait Epi-no). La première fois j'avais juste eu des petites éraillures, ce sont comme des petites griffures. Là, je n'ai rien eu du tout et je marchais normalement deux heures après mon accouchement."

Des chiffres

Chaque année, environ 800 000 femmes accouchent. Joint au téléphone, Dominique Lioret, l'homme qui commercialise le ballon en France, explique n'en vendre pas plus de 1 500 par an. Ce sont donc pour l'instant seulement moins de 0,20% des femmes qui profiteraient de cette méthode.
Depuis 2007, la Sécurité sociale rembourse d’ailleurs partiellement l’achat (à hauteur de 25,92 euros pour un total de 129,90 euros). Certaines mutuelles remboursent ensuite jusqu’à 114 euros le produit en tant que "petit appareillage médical". Les séances de kiné (il en faut quatre sur toute une grossesse) sont quant à elles remboursées si prescrites par un médecin.



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