Le centre national hospitalier universitaire de Fann où sont internés, depuis quelques jours, les deux cas confirmés de coronavirus, est déserté par certains patients. Une situation que déplore le docteur Idrissa Sané, Socio-anthropologue et chargé d'études contractuel au Service des maladies infectieuses dudit hôpital, dans une note parvenue à la rédaction de Seneweb que nous publions in extenso.
Depuis quelques jours, le Sénégal a enregistré ses premiers cas testés positifs au virus. Le jour de la conférence de presse du ministre de la santé annonçant la présence du virus au Sénégal, beaucoup de Sénégalais ont été gagnés par la peur, bien entendu, légitime mais disproportionnée. Un des commerçants qui tient une boutique dans l'enceinte du Centre National Hospitalier Universitaire de Fann a été témoin d'une situation assez frappante qui traduit cette peur. Lorsque le ministre a dit que le patient testé positif a été mis en quarantaine et traité à l'hôpital de Fann, une foule de personnes (des accompagnants de malades, des "malades ordinaires", de visiteurs, etc.) s'est précipitée vers la sortie, fuyant l'hôpital.
La situation ne s'arrête pas là. Des conducteurs de taxis, selon des informations qui nous sont parvenues, refuseraient de conduire des clients malades vers l'hôpital Fann (c'est probable que ce soit le cas vers les autres hôpitaux) ou alors surtaxeraient leurs courses, des travailleurs de l'hôpital sont "évités" par leurs proches ou alors suspectés, des proches de certains membres du personnel de l'hôpital déploient des stratégies d'évitement.
Cette situation fait courir des risques non-négligeables pour plusieurs raisons :
- des malades qui devraient se rendre dans les structures hospitalières pourraient préférer rester à la maison à cause de cette peur démesurée du Coronavirus (ce qui constitue un grave danger pour leur santé et celle de leurs proches à cause des risques de contagion si un porteur d'une maladie transmissible, comme la tuberculose, refuse d'aller se faire traiter dans un hôpital par peur de s'y rendre à cause de cette épidémie de Covid 19) ;
- des malades qui doivent être traités pourraient ne pas arriver plus vite à l'hôpital parce que les taxis refusent de les y conduire pour les mêmes raisons ;
- le personnel médical pourrait aussi pâtir de stigmatisation et se sentir moins soutenu alors qu'il abat un travail décisif dans la prise en charge de toutes les pathologies, etc.
Il appartient aux relais d'information de faire comprendre aux populations que les hôpitaux sont des lieux très sécurisés et que les patients testés positifs au Covid-19 sont placés dans des endroits où il n'est pas possible qu'ils puissent transmettre le virus aux gens qui viennent dans les hôpitaux ni aux médecins. Jusque-là, un seul médecin a été contaminé au début de l'épidémie à Wuhan et qui est mort récemment ; depuis lors, les dispositions sont prises pour éviter la contamination du personnel médical. Il appartient aussi aux médias de rappeler que le personnel médical est très bien formé et a une grande expérience dans la gestion des maladies infectieuses transmissibles comme Ebola, le Coronavirus, le SRAS, le virus H1N1, etc. Le personnel médical est aussi mieux informé et mieux équipé que le reste de la population sur les mesures de prévention et d'hygiène. Donc, il n'y a pas de raison d'avoir cette peur bleue de l'hôpital. Le Coronavirus ne doit pas permettre aux autres maladies de gagner. Il est juste important que ceux qui y vont pour une raison ou une autre s'appliquent les mesures de protection et de prévention édictées et que ceux qui pensent avoir les symptômes du virus doivent éviter tout contact avec leur famille et toute autre personne et contacter immédiatement les autorités médicales en appelant les numéros de téléphones gratuits mis à la disposition de tous.
Comme l'a évoqué un collègue socio-anthropologue, il est utile que les autorités associent les spécialistes des sciences humaines et sociales dans la gestion de telles situations puisque, de nombreuses théories sont avancées ça et là par des gens improvisés médecins alors qu'ils n'ont fait aucune année de fac en médecine et des religieux appellent à des rassemblements de prières ; or, nous savons que dans de telles situations où l'angoisse et la peur se propagent, les appels à prier en masses peuvent avoir un grand écho auprès des croyants (nul n'est certain à 100% s'il y a ou pas un talibé venu des zones à risques prendra part à ces rassemblements de prières) alors qu'il faudrait, dans le meilleur des cas, éviter le plus possible les rassemblements qui mettent des centaines voire des milliers de gens à proximité les uns les autres.
Dr Idrissa MANÉ
Socio-anthropologue
Chargé d'étude contractuel au Service des Maladies Infectieuses du CHU Fann
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