Depuis la mi-mars et le début de la pandémie de coronavirus, seuls les résidents ont accès à ce lieu de mémoire de la traite négrière.
Des résidents de l'île de Gorée débarquent de la grande chaloupe blanche qui vient de Dakar. Ici, en juin 2020.
D’un coup de sirène retentissant, la grande chaloupe blanche s’arrime à l’embarcadère de Gorée. A bord, ses bancs sont quasi déserts. Aucun touriste étranger ni sénégalais ne figure parmi les passagers. Depuis le 15 mars, seuls les résidents ont accès à l’île mémoire de la traite négrière en Afrique, reconnue au patrimoine mondial de l’Unesco.
D’un œil désabusé, Marie, commerçante d’objets artisanaux, regarde les Goréens descendre de l’embarcation, l’une des quatre à effectuer quotidiennement la liaison avec Dakar, la capitale sénégalaise, contre douze avant la pandémie de coronavirus.
« Depuis le début de la crise, j’ai fermé ma boutique. On attend que l’île se déconfine », résume avec dépit la mère de famille. De loin, elle surveille ses enfants en train de se baigner dans une eau turquoise qui fait généralement le bonheur des vacanciers. Les mesures de restriction s’assouplissent dans le pays, à l’exception de Gorée. Le 29 juin, le président sénégalais Macky Sall a annoncé la fin de l’état d’urgence et la levée du couvre-feu, instauré trois mois plus tôt. Mais rien n’a encore été décidé à propos de l’île.
Création d’un fonds Force Covid-19
Une situation qui désespère Aïssatou Ba, assise seule sur la terrasse en chantier de son petit restaurant Chez Néné la retrouvailles, logé dans les murs d’une maison historique couleur ocre, qui date de la période esclavagiste. « J’ai dû arrêter mes travaux de rénovation car je ne peux plus payer les ouvriers, se plaint la restauratrice en boubou rose. J’espère que le ministère du tourisme va nous aider à poursuivre notre activité. Si l’on ne reçoit rien, on va perdre patience. »
Pour faire face aux conséquences de la pandémie, le gouvernement a créé un fonds Force Covid-19, dont 15 milliards de francs CFA (près de 23 millions d’euros) sont destinés au crédit hôtelier et touristique.
Les restaurants de l'île de Gorée n'ont pas vu de clients depuis trois mois. Ici, en juin 2020.
Pourtant, assure Aïssatou Ba, « notre île doit rester fermée, car je préfère avoir la santé et pas d’argent que le contraire ». Pour le moment, l’île de Gorée est la seule commune de la capitale sénégalaise à ne pas avoir été touchée par le coronavirus. Au niveau national, 7 657 cas ont été déclarés positifs dont 141 décédés au 8 juillet.
Sur l’île de 1 300 habitants, 80 % de la population vit du tourisme, grâce à la venue quotidienne de 3 000 à 6 000 visiteurs. Mais, aujourd’hui, plus personne ne foule les pavés gris de la célèbre rue de la Maison des esclaves où trône, solitaire, la sculpture d’un homme qui se libère des chaînes de la traite négrière.
Distribution alimentaire et de kits d’hygiène
Pas un badaud non plus devant les remparts de l’ancien fort, figés sous les rayons d’un soleil écrasant. « En fermant Gorée du jour au lendemain, tous les opérateurs touristiques ont perdu 100 % de leur chiffre d’affaires », confirme Augustin Senghor, maire de Gorée. De quoi mettre sur le carreau de nombreux jeunes travaillant dans les restaurants, les hôtels ou les marchés.
Les répercussions se ressentent aussi au niveau de la municipalité. « La taxe de 500 francs CFA [0,76 euro] acquittée par chaque visiteur représente 50 % de nos recettes en impôts locaux. C’est une lourde perte économique pour nous », précise le maire.
La municipalité a vite réagi pour soutenir la population. En près de quatre mois, cinq distributions alimentaires et de kits d’hygiène ont été organisées. Eau de javel, pâtes, riz, huile, lait… Quelques denrées sont encore stockées dans l’historique bâtisse en pierre de la Maison de la culture en vue d’une prochaine distribution avant la Tabaski, la fête du sacrifice du mouton qui aura lieu fin juillet.
« Nous savions que les procédures étatiques d’aide allaient être longues. Nous avons donc pris de l’avance pour récolter des dons financiers ou en nature », explique M. Senghor. Grâce au fonds Force Covid-19, l’Etat a finalement apporté des denrées pour 108 foyers de l’île. « Mais nous avons complété pour aider l’intégralité de la population, sans distinction de situation sociale ou économique », ajoute-il.
« Le plus tôt sera le mieux »
Ces distributions n’auraient pas pu avoir lieu sans la mobilisation des jeunes volontaires goréens, qui ont réparti les denrées dans chaque maison. « Nous devons nous prendre en charge car nous sommes ceux qui rentrons et sortons, et qui avons le plus d’interactions avec Dakar », témoigne Léon Alphonse Guébré Haïlé Sélassié Dieng, étudiant de 23 ans mobilisé depuis que l’université est à l’arrêt.
Il s’est surtout attaché à sensibiliser la cinquantaine de collégiens et de lycéens en classes d’examen, qui ont repris les cours à Dakar depuis le 25 juin et font l’aller-retour chaque jour. « Nous leur conseillons de garder le masque et de ne pas se balader dans Dakar pour ne pas attraper la maladie », explique M. Dieng.
Mais cet élan de solidarité n’est qu’une réponse de court terme face à la crise. Macky Sall a annoncé l’ouverture des frontières internationales à partir du 15 juillet. Une mesure qui pourrait soulager l’économie locale si elle est accompagnée d’une ouverture de l’île. « Le plus tôt sera le mieux », commente M. Senghor, qui est prêt à accueillir les visiteurs avec un quota journalier et des mesures barrières strictes.
Sur le long terme, il assure vouloir réfléchir à un autre modèle économique pour permettre à Gorée de devenir plus résiliente. « Nous nous sommes beaucoup focalisés sur l’aspect mémoriel. Nous pourrions nous tourner vers la pêche », suggère-t-il, rappelant que l’île est trop petite pour l’agriculture ou l’industrie. Pour l’heure, Gorée continue à creuser son sillon patrimonial après avoir rebaptisé la place de l’Europe en place de la Liberté. Un acte symbolique fort, mais aussi une façon de continuer à faire parler d’elle en dépit de son isolement.
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