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[Enquête] Marché Ocass de Touba : Au cœur d’une vaste mafia de vente clandestine d’armes à feu

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[Enquête] Marché Ocass de Touba : Au cœur d’une vaste mafia de vente clandestine d’armes à feu
La police de Gouye Mbinde de Touba a mis aux arrêts un sexagénaire, trafiquant d’armes de gros calibre. Les limiers ont découvert chez lui un impressionnant arsenal composé de 110 armes à feu dont 18 pistolet automatiques (Pa), 21 armes de fabrication artisanale, 71 fusils, 807 munitions dont 634 pour Pa, 53 fusils à pompe (Fap), 98 munitions de guerre, 16 chargeurs et 2 jumelles. Une saisie record qui témoigne de cette vaste mafia, notamment au marché Ocass, véritable foire de clandestinité, où l’on peut se procurer une arme à feu avec seulement 20 mille francs. Seneweb y avait mené une enquête, au mois de février dernier.

Tantôt c’est «marché noir», tantôt «marché fraude». Rien que les noms lèvent un coin du voile sur ce qui se passe dans l'intimité des installations de ce haut lieu de négoce. Au marché Ocass de Touba, l’essentiel, c’est que l’argent coule à flot. Qu’importe la manière. «C’est un nid de délinquance», résume d’ailleurs une source policière de Touba qui reconnaît la gravité de la situation.

En tout cas, derrière ce grand busines autour des marchandises de toutes sortes, de gros deals illicites y sont effectués, avec leur lot de conséquences drastiques.

Samedi 21 décembre 2019, un fait inédit ameute le marché Ocass de Touba. Mamour Sarr, après avoir acheté clandestinement une arme à feu, s'est tiré, par inadvertance, une balle dans l’abdomen, alors qu'il rangeait son pistolet artisanal dans sa poche. Il succombera à ses blessures, quelques heures plus tard, aux urgences de l'hôpital Matlaboul Fawzeyni.

Mais des investigations faites sur ce lieu mythique révèlent un grand réseau autour de la vente d'armes de toutes sortes. «Comme vous le savez, ici, la discrétion est une règle d'or. Les gens ne veulent pas vendre n'importe quoi à n'importe qui. Ils ne veulent pas être infiltrés. C'est pourquoi ils sont réticents. Il y a une véritable mafia. Les gens vendent du tout», confie ce vieux cambiste. Ce, après plusieurs minutes d'hésitations.

«On a l’habitude de dire qu’au marché Ocass, il est plus facile d’y acheter une arme qu'un coq», avait ironisé le colonel Alioune Ndiaye, retraité de la police, dans un entretien avec le journal «EnQuête».

«Lieux secrets de fabrication et de réparation d’armes»

Mais d'autres sources habituées des lieux révèlent que s'il y a des vendeurs clandestins d'armes, c'est parce qu'il y a aussi des fabricants clandestins. «Il y a des lieux secrets de fabrication et de réparation d'armes à feu. Certains en fabriquent dans d'autres endroits discrets pour venir les écouler dans le marché, à défaut de le faire chez eux. Ce sont des armes artisanales, mais je vous assure qu'elles sont aussi performantes que celles qui sont fabriquées en Europe ou en Amérique latine», ajoute notre informateur qui précise dans la foulée ne pas être consterné par cette mafia. Il dit : «Certains font la confusion. Nous, on fait du change, même si c'est aussi de manière clandestine.»

L'autre facteur qui facilite la circulation des produits frauduleux, c'est l'absence de poste des douanes à Touba. Au-delà des faux médicaments, une bonne partie de ces armes est vendue par des fraudeurs. «Touba est le point de convergence des fraudeurs de la sous-région. Et ils viennent tous au marché Ocass pour écouler leurs marchandises malsaines. Il y a beaucoup de produits contrefaits, même si des séances de sensibilisation sont faites par les dignitaires», lâche le commerçant Baye Fallou, la soixantaine.

Il ressort de nos informateurs que ni les vendeurs ni les clients ne se soucient de trouver des autorisations légales de vente ou de port d'armes. «A côté de ces armateurs et autres vendeurs, il y a aussi les trafiquants de papiers frauduleux de port d'arme. Ce qui se passe ici est tout simplement indescriptible».

Des armes vendues à partir de 20 000 F Cfa

Conséquence directe de cette situation : les armes sont vendues à des prix parfois dérisoires. «Il y a quelques jours, un ami m'a dit qu'il a acheté une arme artisanale avec des balles à seulement 20 mille francs Cfa. C'est une arme occasionnelle. Ces armes sont à la portée de n'importe qui».

Une autre source va plus loin. «Aux dernières nouvelles, les prix varient entre 20 000 et 100 000 F. Vous voyez que ce n'est pas trop cher», nous révèle notre informateur, précisant qu'il évolue dans ce business «de manière occasionnelle».

Au même moment, un armurier établi à Dakar nous signale que dans son commerce, les prix des armes à feu varient entre 300 mille et 2 millions de francs Cfa. Mais «ça dépend de la marque et du type d'arme», précise-t-il, rappelant par ailleurs que «d'autres aussi vendent des armes occasionnelles à des prix plus bas».

À signaler, en outre, que la spécificité du marché Ocass, c'est sa position géographique. Il est niché au cœur de Touba, à cheval entre les populeux quartiers de 28 et de Gare Bou Ndaw.

«C'est des lieux d'habitation. Il y a beaucoup de maisons qui y sont transformées en centres commerciaux secrets», lâche un notable et responsable politique de la localité qui se dit lui aussi préoccupé par la «gravité» de la situation. «Beaucoup de jeunes s'adonnent maintenant à ce business qui n'est pas du tout sain. Et le plus souvent, il faut qu'il y ait un drame pour que les autorités réagissent», souffle-t-il.

Mais comment se passent ces deals en pleine journée dans un lieu aussi peuplé ? D'après des informations recueillies sur place, le modus operandi des dealers est simple, mais échappe à tout soupçon. Tout se passe par un simple coup de fil. Les clients sont démarchés au téléphone. Une fois le marchandage fait, le plus souvent avec l'aide d'une connaissance très influente, le client se présente sur les lieux. Ils entrent ensemble dans les appartements privés pour procéder à la livraison de «la marchandise».

«Vous pouvez passer toute la journée ici, mais vous ne verrez jamais ces genres de marchandises circuler. Vous ne verrez que des gens entrer et sortir. C'est pourquoi ils échappent à tout contrôle des policiers. Ils sont puissants et influents», révèle un de nos interlocuteurs.

La dernière descente musclée remonte à 2014

Pourtant, un poste de police est érigé sur les lieux. Le délégué du marché, Siny Dieng, soutient que les commerçants ont construit sur fonds propres un bâtiment pour le livrer aux autorités sécuritaires. Selon lui, les policiers font des rondes de jour comme de nuit.

«On enregistrait des agressions en plein jour. Mais j'avoue qu'aujourd'hui, la situation a un peu changé grâce au nouveau dispositif mis en place par les forces de sécurité. On ne peut que nous en réjouir», dit-il, soulignant que certains grands commerces disposent également de vigiles personnels et de caméras de surveillance.

Mais le seul hic, c'est que ces caméras ne fonctionnent pas pendant la nuit. La raison, déclare Dieng : «Tous les commerçants débranchent leur courant par peur d'être victimes d'incendies causés le plus souvent par des courts-cuits.»

Interpellé sur la question, une autorité policière de Touba dénonce ce qu'elle qualifie d'anarchie dans ce lieu de commerce. «C'est un laisser-aller qui a trop duré. Il y a un problème de délimitation du marché. Les maisons se trouvent à l'intérieur du marché qui n'a même pas un mur de clôture», fait-il notamment constater.

Notre interlocuteur de rassurer toutefois qu'un véhicule de patrouille de la police fait des rotations tous les jours.

Quoi qu'il en soit, le marché Ocass a fait l'objet de plusieurs cambriolages. Le dernier en date a été perpétré le 5 novembre 2019, dans une bijouterie. Au total, 1,5 million de francs CFA et des bijoux d'une valeur de 20 millions de francs CFA ont été emportés. Les faits ont eu lieu aux environs de 7 h 30, quand quatre bandits ont fait irruption dans la bijouterie, maîtrisant le propriétaire qui venait d'ouvrir son commerce.

Un phénomène qui peut s'expliquer par la circulation des armes, d'après une source qui rappelle, pour le regretter, que la dernière descente musclée effectuée sur les lieux remonte à 2014. Ce vieux, témoin des faits, révèle qu'un important contingent d'éléments du Groupement d'intervention de la gendarmerie nationale (Gign) avait débarqué en plein jour pour faire le ménage. «Ce jour-là, raconte-t-il, plusieurs trafiquants avaient été arrêtés et diverses armes saisies par les forces de sécurité. Tout était rasé. Il n'y avait plus de vendeurs d'armes. Mais, au fil du temps, ils sont revenus».

Ps : Enquête publiée le 14 février 2020 et réactualisée par l’auteur


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