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Réformes et innovations dans le système éducatif : Les propositions du Dr Amar Guèye

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Réformes et innovations dans le système éducatif : Les propositions du Dr Amar Guèye
Comment faire pour rendre le système éducatif sénégalais meilleur ? A quelques jours de l'ouverture des classes, le Dr Amar Guèye, consultant manager en éducation et formation, a tenté de répondre à cette question. Dans un texte reçu à Seneweb, il a donné, de manière détaillée, sa vision pour améliorer en qualité le système éducatif. Voici l'intégralité de son texte. 


Système éducatif sénégalais : au-delà des réformes et des innovations

Ces derniers temps, nous avons retrouvé sur la place publique des questions de réformes et d’innovations dans le système éducatif qui s’inscriraient dans une dynamique de recherche de plus de qualité, d’équité et de davantage de performance. 

À notre titre d’acteur du secteur ayant blanchi sous le harnais et de parent d’élèves averti, donc doublement intéressé par ces questions, nous allons, encore une fois, nous y inviter au risque de mettre les pieds dans le plat. En effet, après l'introduction dans le système, de l’éducation bilingue présentement en phase de mise à l'échelle, il nous a été annoncé l'arrivée de l'enseignement de l'anglais à l'élémentaire(voir ma contribution intitulée L'école sénégalaise : l’anglais à l’école élémentaire ! oui, mais.Ndarinfo.com du 14/08/2024) ;tout récemment, c’est au tour des lycées nation-armée pour la qualité et l’équité/ LYNAQE sans,que nous sachions, aucune forme de concertation large,participative et inclusive. Or, cela constitue, entre autres, une des conditions de leur réussite, car les principaux intéressés risquent, au final, de ne pas se reconnaître dans ces initiatives certes louables.

 

Il y a aussi le cas de ces nombreux cadres du ministère (qui en savent autant voire plus que nous sur ces problématiques) et qui risquent, eux aussi, de ne pas avoir l'opportunité de faire passer leurs opinions et positions sur ces questions en prenant prétexte des avis émis par les partenaires qui ont, au demeurant, plus de liberté de ton. Dès lors, se créent les conditions d'une réussite difficile, pour ne pas dire d'un échec prévisible, de ces bonnes initiatives dont le système éducatif a tant besoin en ce qu'elles en constituent le moteur.

 

Réformes et innovations : un besoin prégnant.

Il suffit d’une petite attention pour savoir combien le système éducatif, à travers les différents ordres d’enseignement, a besoin de ces réformes et innovations dans le contexte de cet état exsangue qu’il nous a présenté de lui-même lors de la réunion interministérielle sur la préparation de la rentrée scolaire 2024/25. Un bref examen du système éducatif nous amène à faire les constats suivants :

– Dans l’éducation préscolaire : À ce niveau, l'option pour l'éducation bilingue retient d'utiliser la langue première des apprenants comme langue d'enseignement. La grande section pourrait, dans ce cadre, servir de classe de transition vers l’élémentaire, permettant ainsi de supprimer le cours d’initiation CI. Cela reviendrait à réduire d'un (1) an le temps de scolarisation à l'élémentaire (cinq (5) au lieu de six (6) ans) ; ce qui est un des multiples avantages de l'éducation bilingue.

– Dans l’enseignement élémentaire : il y apparait nécessaire de reprofiler l’examen du CFEE et le concours d’entrée en sixième (6e) qui était destiné à un nombre d’élèves correspondant aux places disponibles au niveau de l’enseignement moyen. Aujourd’hui, avec la loi relative à l’obligation scolaire de 10 ans (les élèves doivent rester à l’école une dizaine d’années qui correspond à la durée du cycle fondamental CI-3e), ces examens et concours perdent de leur pertinence. En fait, l'agrégation2 des résultats des évaluations standardisées des élèves durant toute leur scolarité primaire pourrait valablement les remplacer. Elles serviront ainsi à attester de la fin des études élémentaires pour les uns et à certifier du passage à l’enseignement moyen pour les autres (taux d’échec au CFEE de 34 % pour l’année 2023/24, mais avec cette option, personne ne devra échouer au CFEE et presque tous devront passer en 6e). Ainsi, tous ces moyens financiers, matériels et humains mobilisés et le temps utilisé à cet effet pourront être utilement réorientés, pour plus de qualité, vers l'accompagnement de la pratique des progressions harmonisées/PH et des évaluations standardisées/ES au niveau décentralisé. Ces ressources pourraient, tout aussi bien, être orientées vers l’amélioration des conditions d’accès à l’enseignement moyen vu qu’il y aura un afflux massif d’élèves.

 

– Dans l’enseignement moyen et la formation professionnelle technique : On doit y réactiver la bonne vieille politique de promotion des sciences, de la technologie et des mathématiques pour préparer les élèves à investir massivement dans les filières scientifiques et techniques et, à côté, renforcer et élargir la formation professionnelle technique. Il y a lieu, pour ce faire, de redynamiser et de multiplier les blocs scientifiques et techniques (BST) de même que les centres de formation professionnelle technique par la dotation en moyens matériels, financiers et humains. Un système éducatif de développement se doit de produire, dans le présent contexte, suffisamment de scientifiques, d’ouvriers qualifiés, de techniciens supérieurs, d’ingénieurs, etc. pour faire face aux exigences de développement de l’heure. L’état d’absence de qualification de notre jeunesse plaide fortement en faveur d’une telle orientation.

 

– Dans l’enseignement secondaire général et technique : La production de bacheliers dont plus de 80 % sont des littéraires contre moins de 20 % des scientifiques est une situation préoccupante. Dès lors, cette tendance devra être inversée par des mesures incitatives comme l’octroi d’aides ou de bourses d’études, entre autres, à tous les élèves des séries scientifiques et techniques (nécessité de multiplier les lycées d’enseignement technique) pour les y orienter et les y maintenir.

 

C’est le lieu d’aborder, ici, la question du LYNAQE, auquel je ne crois pas trop, car il rompt l’équité en contribuant à instaurer un système éducatif à deux vitesses. En préconisant, par exemple, un appel à candidature pour le recrutement du personnel enseignant, il est évident que ce sont les meilleurs professeurs et les plus gradés (professeurs d’enseignement secondaire/PES plus un doctorat éventuellement) qui y seront déployés. Le reste du système sera ainsi dégarni, lui qui peinait déjà à trouver des proviseurs et des censeurs, mais aussi des profils adéquats pour la tenue des classes de terminale. Je ne crois pas trop à l’excellence au niveau de quelques lycées (cautère sur jambe de bois !), mais à l’excellence au niveau de tout le système éducatif ; et cela est bien possible. D’ailleurs, tout le monde constate que ces lycées dits d’excellence se retrouvent au Concours général avec les autres lycées de « non excellence » qui leur tiennent souvent la dragée haute. Et les rares fois que ces lycées d’excellence remportaient la palme devant eux, ces derniers n’en étaient pas moins méritants, car « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». (Je tiens à préciser que tous les élèves sont méritants, mon propos ne porte pas d’ailleurs sur eux, mais sur la configuration du système). Alors, mettons, sur un pied d’égalité, tous ces établissements d’enseignement secondaire et travaillons à insuffler l’excellence partout.

 

Et pour ce qui concerne la question militaire pour installer chez les apprenants la discipline et les valeurs de citoyenneté, de patriotisme, etc., la décentralisation du Centre d’instruction militaire de Dakar-Bango pourrait être envisagée. Ainsi, tous les élèves qui arrivent en classe de seconde ou équivalent, par exemple, pourraient y être admis, par cohortes, pour un certain temps. 3

 

– Dans l’enseignement supérieur : La nécessité d’une autre manière de gérer La nécessité d’une autre manière de gérer la généralisation des bourses et des aides qui pourrait contribuer à alléger les charges sociales et à procéder à une réaffectation des ressources au domaine académique doit être envisagée. J’avais, en son temps, fait une contribution sur la question en vue de provoquer la réflexion (voir Crise universitaire : pour une généralisation des bourses autrement). NdarInfo.com (de juin 2014)

 

– Au niveau des questions transversales : Il y a à boire et à manger avec les problèmes transversaux comme les questions d'environnement scolaire, de résorption de ces abris "provisoires éternels", de qualité, d'équité et de transparence(tant chantées) ; il y a également la question des personnels enseignants (tous ces enseignants qui sont dans la nature, avec la bénédiction des politiciens, doivent retourner dans les classes et cette pratique arrêtée), de budgets, de tenues scolaires (trente milliards sur trois ans !!!) qui,même si cela faisait partie des priorités, pourraient être pris en charge par les parents euxmêmes, de quantum horaire, de projet d’établissement et que sais-je encore. Toutes choses qui ont conduit au tableau décrit du système éducatif lors de la récente réunion interministérielle sur la préparation de la rentrée scolaire et qui nous en présentent un état inquiétant. Cette situation du système éducatif est vraiment désespérante au point qu’on est en droit de se demander comment on peut, dans ces conditions, penser un seul instant à procéder à des réformes, à des innovations. Certes, l'école sénégalaise en a bien besoin, mais pour qui connaît le système éducatif, les conditions de réussite sont loin d'être réunies.

 

L’impératif de la refonte et refondation du système éducatif

 

En vérité, ce dont l'école sénégalaise a d'abord et surtout besoin, c'est de sortir des sentiers battus en changeant de paradigme. L’éducation nationale se veut, entre autres, populaire, démocratique, africaine et au service du peuple sénégalais, comme le stipule la loi de l’éducation nationale n° 91-22 de 1991 modifiée ; elle doit, pour ce faire, reposer fermement sur une souveraineté assumée. C’est là qu’apparaît le besoin fondamental du système éducatif d’une refonte et d’une refondation sur la base de nos langues nationales (voir ma thèse de doctorat intitulée L’introduction des langues nationales dans le système éducatif formel au Sénégal : facteurs bloquants). RSD ; UGB ; Saint Louis ; 2016).

Dans ce travail de remodelage du système éducatif, les langues nationales devront occuper une place centrale et plénière. Elles seront ainsi au système, ce que la locomotive est au train ; quant aux langues étrangères, à savoir l'anglais, l'espagnol, l'arabe, le russe, l'allemand, tout comme le français, elles tiendront lieu de wagons accrochables et décrochables à chaque fois que de besoin, sans grands dommages pour le système éducatif. (Qu’on ne se fasse pas du mauvais sang, car toute la réflexion sur la pertinence de leur présence à l’école a déjà été menée et bouclée). On en est, à présent, au comment ; et là, des responsables au niveau du ministère de l’éducation sont en train de faire des avancées significatives dans le cadre de l’élaboration du Modèle harmonisé de l’éducation bilingue au Sénégal (MOHEBS, à l’instar d’autres pays de la sous-région). Par voie de conséquence, la nécessité de procéder à une révolution copernicienne se pose avec acuité aujourd’hui et c’est le moment pour les intellectuels souverainistes et panafricanistes aux commandes du pays de se défaire de ce système éducatif qui est, en réalité, un moyen de perpétuation du système.

Il urge d'opérer cette rupture salvatrice d'avec la France colonisatrice qui, avec sa culture décadente, n'a, à présent, rien d'autre à nous offrir que l'alcool, la drogue et le sexe et ces histoires de LGBTQ et de franc-maçonnerie. C’est de bonne guerre, me dira-t-on, car qui assure la dépense dicte le menu du jour. C’est pourquoi nous devons faire du financement de notre éducation une priorité et travailler à mobiliser les moyens colossaux dont elle a besoin, car « Paris vaut bien une messe », dit l’adage. Les moyens ne seront certainement jamais suffisants, mais l’imagination est heureusement une ressource ; une ressource inépuisable, gratuite et disponible en permanence et que l’on pourra utiliser à volonté. En vérité, la question éducative est éminemment une question de souveraineté, tout comme les questions monétaire et militaire. Sous ce rapport, la nation fonde beaucoup d’espoir sur la nouvelle équipe dirigeante pour que le système éducatif de nos rêves puisse enfin voir le jour : un système éducatif de développement.

 

Et si j’avais, dans ce cadre, un seul conseil à prodiguer aux nouvelles autorités, c’est d’éviter de verser dans la précipitation face à ces questions à la fois complexes et sensibles ; elles se devront de prendre toute la mesure de la situation et tout le temps nécessaire pour mobiliser les ressources idoines et la nation tout entière afin de l’engager durablement et de maximiser les chances de réussite de l’entreprise. En définitive, il convient de retenir, vu le caractère inadapté et l’état désastreux de l’école, que l’occasion est vraiment belle de procéder à la mise sur pied d’un système éducatif remodelé avec nos langues nationales et qui, seul, sera à même de porter des réformes et innovations salvatrices. C’est ainsi que pourront être produits des citoyens pétris de connaissances scientifiques et technologiques et qui, armés de leurs langues nationales jusqu’aux dents, pour paraphraser l’éminent Pr Cheikh Anta Diop, seront prêts à aller à la conquête du monde.

 


Par Dr Amar GUEYE, Consultant manager en éducation et formation, Cabinet Galass Afrique Consulting, GAC [email protected] Saint Louis Sénégal



9 Commentaires

  1. Auteur

    il y a 10 heures (23:16 PM)
    Il faut supprimer la philosophie de Senghor, ca ne nous avance a rien et privilégier les bacs professionnels apres le BFEM
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  2. Auteur

    Vous Savez Quoi ?

    il y a 7 heures (02:10 AM)
    J'ai lu de la théorie, encore de la théorie, toujours de la théorie. On s'attarde toujours sur le QUI FAIRE, jamais sur le COMMENT FAIRE.

    Les problèmes de l'école Sénégalaise se trouvent dans le comment et non dans le quoi.
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    Auteur

    Md

    il y a 7 heures (02:23 AM)
    Bien dit.
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    • Auteur

      Abdou Fall Reply_author

      il y a 2 heures (07:54 AM)
      Des idées très intéressantes qui méritent d’être discutées
      Merci Docteur pour tes permanentes préoccupations pour notre cher système éducatif
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    Auteur

    Ismaila

    il y a 5 heures (04:10 AM)
    "Il urge d'opérer cette rupture salvatrice d'avec la France colonisatrice qui, avec sa culture décadente, n'a, à présent, rien d'autre à nous offrir que l'alcool, la drogue et le sexe et ces histoires de LGBTQ et de franc-maçonnerie"



    C'est ça le raisonnement d'un spécialiste de l'éducation.

    Arrêtez de théâtraliser l'école. A lire ce texte, l'on se rend compte que vous êtes loin de l'expertise sue vous revendiquez!
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    Auteur

    Bara Gueye

    il y a 3 heures (06:34 AM)
    Une analyse pertinente que les autorités compétentes de l'éducation nationale doit intégrer dans le nouveau dispositif de prise de décisions du système éducatif.Félicitations Docteur
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    Auteur

    Malick

    il y a 2 heures (07:42 AM)
    Merci beaucoup Inspecteur.

    Une analyse pertinente. Nous devons réduire le cycle fondamental qui nous fait perdre beaucoup de temps.

    Introduire les langues nationales comme medium et mobiliser des moyens pour financer l'éducation. Elle n'a pas de coût.

    Tout celà demande un courage politique.
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    Auteur

    Malick

    il y a 2 heures (07:42 AM)
    Merci beaucoup Inspecteur.

    Une analyse pertinente. Nous devons réduire le cycle fondamental qui nous fait perdre beaucoup de temps.

    Introduire les langues nationales comme medium et mobiliser des moyens pour financer l'éducation. Elle n'a pas de coût.

    Tout celà demande un courage politique.
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    Auteur

    Anta

    il y a 35 minutes (08:56 AM)
    Félicitations docteur amar très pertinent qu il tombe dans l oreille de nos dirigeants
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    Auteur

    il y a 11 minutes (09:19 AM)
    Excellente contribution! Un malade, on le soigne avant de penser à le maquillar pour le rendre plus beaucoup! Réglons les problèmes de notre école avant de proceder à des innovations.

    On devrait parler aussi de la formation des enseignants.
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