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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Politique

Aïssata TALL SALL: ‘Notre démocratie est menacée par une dynastie rampante’

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Aïssata TALL SALL: ‘Notre démocratie est menacée par une dynastie rampante’
On avait connu l’expression ‘coup d’Etat rampant’. Voilà une nouvelle : ‘dynastique rampante’, œuvre du porte-parole du Parti socialiste. En marge de sa conférence publique tenue dimanche à Paris sur la situation politique nationale, Me Aïssata Tall Sall n’est pas allée de mains mortes pour fustiger la politique. Et le mode de succession que l’on prête au président Wade n’a pas été épargné. Pour elle, ‘notre démocratie est menacée par une dynastie rampante’. Dans l’entretien, elle s’est aussi exprimée sur le débat sur la modification de l’article 27 pour dire que si le pouvoir persiste dans cette volonté, il trouvera l’opposition sur sa route.

Wal Fadjri : Vous avez organisé, dimanche dernier, une conférence publique au siège du Parti socialiste français. Entre autres thèmes, vous avez traité la question de la succession du président de la république. A ce propos, vous vous en êtes prise à Karim. Pourquoi ?

Aïssata Tall Sall : Non, non, je ne m’en suis prise à M. Karim Wade. Loin de là. Ce n’était pas cela l’objectif. Il faut savoir les raisons de cette conférence publique. Ce sont mes camarades de Paris qui ont voulu profiter de mon passage à Paris pour manifester à leur façon, et surtout s’associer et se solidariser avec le plan d’action initié par l’opposition sénégalaise pour contrecarrer tous les abus de pouvoir. C’est dans ce sens que j’ai donné cette conférence publique. Et à l’occasion de cette conférence, il m’a été posé la question de savoir si le fils du président de la République, quel qu’il puisse être, M. Karim Wade ou un autre - je tiens à le préciser - peut remplacer son père. Sur cette question, j’avais une certaine position qui, aujourd’hui, a évolué. Ma position était que n’importe quel Sénégalais pouvait aspirer à des responsabilités nationales, fussent-elles celles du président de la République. Mais chemin faisant, nous nous sommes rendu compte que notre démocratie est menacée. Elle est menacée par une dynastie rampante et il faudrait tout faire pour sauvegarder l’éthique démocratique de notre pays. Et l’éthique démocratique de notre pays ne recommande pas qu’un fils puisse succéder à son père, surtout quand on fait tout pour préparer le fils et mettre son pied à l’étrier. C’est la raison pour laquelle, invoquant une initiative parlementaire qui a été prise par un certain nombre de députés non inscrits tendant à mettre des garde-fous, j’ai appelé à ce que cette initiative se transforme en une initiative populaire et citoyenne. Voilà le sens de mes propos. Je ne m’en suis prise à personne, mais je voulais expliquer qu’en démocratie, n’importe quel citoyen, y compris le fils du chef de l’Etat, peut aspirer à être président de la République. Sur le principe, la réponse est oui. Mais est-ce qu’en démocratie, on peut accepter qu’un fils succède à son père ? De mon point de vue, c’est non. Et il faut mettre les garanties constitutionnelles pour empêcher cela.

Wal Fadjri : Ne faut-il pas voir à travers Karim Wade, non pas le fils du président Wade, mais un citoyen qui peut être candidat à la présidence de la République ?

Aïssata Tall Sall : Tous les Sénégalais peuvent être candidats, mais cette candidature n’a de sens que s’ils sont mis dans les mêmes conditions de pouvoir postuler, compétir, et qu’on leur donne au départ la même égalité de chance. Mais, voyant ce qui se passe dans nombre de pays africains où les constitutions sont manipulées chaque jour davantage, où tous les jours ces constitutions qui sont les lois fondamentales qui garantissent la liberté des citoyens sont taillées à la mesure des dirigeants, nous disons qu’il faut faire attention. Non pas pour écarter un candidat ou pour empêcher un citoyen d’être président, mais pour ériger des garde-fous. Pourquoi ne pas le faire alors que la Constitution empêche un citoyen de moins de 35 ans de se présenter. C’est un garde-fou qui est mis pour que le pouvoir ne tombe pas entre les mains des jeunes. Le même principe, mutatis mutandis, peut valoir pour qu’on puisse empêcher une succession dynastique à la tête de notre république et de notre démocratie. Voilà pourquoi j’ai étudié avec beaucoup d’intérêt cette initiative parlementaire. Et j’ai demandé que cette initiative soit une initiative du peuple sénégalais.

Wal Fadjri : Cette initiative parlementaire ne remet-elle pas en cause les droits d’un citoyen ?

Aïssata Tall Sall : Absolument pas ! C’est vrai que le propre de la loi, c’est d’être général et impersonnel. Si cette loi ne visait que ce cas particulier, on dit oui. Mais pour moi, c’est une loi qui doit demeurer en permanence ; en tout cas, tant qu’il y a une menace de démocratie dynastique chez nous. Que cela soit le fils du président Wade ou d’un autre président, je considère que c’est une disposition à avoir dans notre architecture institutionnelle et constitutionnelle.

‘Si (Wade) veut aller jusqu’au bout de sa logique et de sa volonté de modifier, qu’il passe par le référendum, qu’il en appelle au peuple et que le peuple le sanctionne pour avoir violé un engagement majeur et fondamental’.

Wal Fadjri : Depuis vendredi dernier, le débat au Sénégal, c’est la modification de l’article 27 de la Constitution. Le Conseil des ministres veut remplacer le quinquennat par le septennat. Quelle est votre opinion ?

Aïssata Tall Sall : Il y a un problème de forme et de fond. Dans la forme, nous sommes menacés parce qu’on ne peut comprendre, dans une démocratie digne de ce nom, que la constitution puisse être, tous les jours, l’objet de modifications tellement irrégulières et contre lesquelles nous nous sommes érigés, en vain. Souvenez-vous de cette disposition de l’article 50 qui avait été modifiée par exception. C’est quelque chose qu’on n’a jamais vu, qui n’était en soit ni une révision constitutionnelle ni une nouvelle disposition constitutionnelle. Lorsqu’on s’était pourvu devant le Conseil constitutionnel, ce dernier s’était déclaré incompétent. A y voir de près, on peut dire qu’au Sénégal, l’on modifier toute la constitution du Sénégal sans passer par les voies appropriées, c’est-à-dire par le référendum ou la procédure de révision prévue par la constitution elle-même. Sur la forme, il faut dénoncer cette inflation de modifications parce que la constitution est l’acte fondamental, le socle sur lequel reposent les fondements de notre république. Voyez les Etats-Unis. La Constitution existe depuis 1776, mais personne ne pense à la modifier parce que c’est l’objet sacré qui fait que les Américains acceptent d’être ensemble. C’est la même chose qui devait être de mise au Sénégal. Malheureusement, tel n’est pas le cas. Sur le fond, cet article 27 touche à deux dispositions : la première concerne la durée du mandat du président de la République qui est de cinq ans, la deuxième concerne la limitation du nombre de mandats auxquels il peut prétendre. Toucher à ces deux dispositions, c’est encore violer la volonté du peuple. Pourquoi ? Les septennats, on les a connus du temps du Parti socialiste. Aujourd’hui, la tendance dans le monde est au quinquennat qui permet l’exercice d’une démocratie réelle, qui évite les abus de pouvoir et surtout offre la possibilité d’une alternance. Et en démocratie, l’alternance est quelque chose qu’on doit rechercher parce qu’elle est salutaire pour les vainqueurs et d’ailleurs pour les vaincus ; je suis bien placée pour le dire. Quant à la limitation des mandats, c’est une disposition démocratique qui a été avalisée par le peuple. Souvenez-nous, quand nous étions aux affaires, nous avions eu l’initiative de délimiter les mandats. Quand le président Wade a été élu, il a soumis à la ratification du peuple par voie référendaire une constitution de 2001 à l’issue de laquelle il dit que le mandat présidentiel est de cinq ans renouvelable une fois. Que s’est-il passé entre 2001 et 2008 pour qu’il considère qu’on doit modifier. S’il veut aller jusqu’au bout de sa logique et de sa volonté de modifier, qu’il passe par le référendum, qu’il en appelle au peuple et que le peuple le sanctionne pour avoir violé un engagement majeur et fondamental. A partir de ce moment, qu’il en tire toutes les conséquences comme le Général de Gaule en 1969. Qu’il quitte le pouvoir si le peuple dit non à son référendum.

Wal Fadjri : D’après le porte-parole du président de la République, Me El Hadji Amadou Sall, la modification concerne la durée du mandat qui doit passer du quinquennat au septennat et que cela n’est pas rétroactif par rapport au mandat actuel du président Wade. Cela ne vous rassure-t-il pas ?

Aïssata Tall Sall : Au contraire, cela m’inquiète. Que cherche-t-on à partir de ce moment si l’on se précipite de faire une révision constitutionnelle sans qu’aucune circonstance ne le dicte et qu’on se dise qu’elle n’est pas rétroactive et qu’elle ne vaut que pour le futur ? Pourquoi le fait-on en ce moment-ci ? C’est cette volonté de nous rassurer de la part du porte-parole du président de la République qui est, au contraire, en train de nous inquiéter. Comme je l’ai dit, le mandat de cinq ans et non renouvelable sauf une fois, c’est au peuple qu’il avait demandé, qui l’avait accepté. Y revenir, c’est trahir la volonté du peuple.

Wal Fadjri : Le porte-parole du président Wade avait indiqué que si le chef a cette volonté de passer du quinquennat au septennat, c’est parce que, par expérience, le quinquennat est insuffisant pour un chef d’Etat qui vient d’être élu pour appliquer sa politique pour laquelle il a été élu.

Aïssata Tall Sall : Permettez-moi d’en rire, je dois même dire en pleurer. Quand même, le président Wade n’est pas quelqu’un qui arrive pour un quinquennat. Il avait été déjà élu pour un septennat. Le quinquennat ne vient qu’au bout de son second mandat. Alors de qui se moque-t-on ? Il faut prendre les Sénégalais au sérieux et arrêter de nous faire avaler des choses grosses comme ça. Si c’est cela l’argument d’El Hadji Amadou Sall, porte-parole du président de la République, c’est parce qu’il y a anguille sous roche concernant cette volonté de réformer la constitution. Il y a surtout des non-dits graves qui pourraient être préjudiciables à notre démocratie, au devenir de notre République. Et le peuple doit prendre ses responsabilités et s’il est appelé au référendum, voter contre cette réforme.

‘C’est la constitution même qui dit que l’article 27 ne peut être modifié que par voie référendaire. Et cela doit mettre fin à tout débat sur les modalités de changement de l’article 27’

Wal Fadjri : L’autre débat porte sur les modalités d’adoption de cette réforme de l’article 27. Certains juristes soutiennent qu’il faut obligatoirement passer par le référendum. D’autres estiment que l’Assemblée nationale suffit. Qu’en pensez-vous ?

Aïssata Tall Sall : C’est la constitution même qui dit que l’article 27 ne peut être modifié que par voie référendaire. Et cela doit mettre fin à tout débat sur les modalités de changement de l’article 27. Mais je sais que, par expérience, le gouvernement est très avide par ce que j’appelle les ‘débacheries’. Vous connaissez certainement Charles Débache qui est un grand professeur de droit public. Il était le conseiller d’Eyadéma-Père, est toujours conseiller d’Eyadéma-Fils et se permet de tailler et de retailler les constitutions africaines selon la volonté du chef. Voilà pourquoi je parle de ‘débacherie’. Si l’on ne passe pas par la voie référendaire alors que l’article 27 dit textuellement que c’est la modalité par laquelle on doit pouvoir en changer le dispositif, c’est parce qu’on va trouver une ‘débacherie’ à l’instar de ce qui s’est passé lorsqu’on prorogeait le mandat des députés. Si l’on arrive à cela, c’est parce que nous ne sommes plus dans une démocratie, mais dans une démocratie virtuelle où les institutions font semblant de marcher, mais sans respecter la lettre de la loi ni son esprit.

Wal Fadjri : Si le pouvoir persiste à modifier cet article 27, qu’allez-vous…

Aïssata Tall Sall : (Elle coupe). On engagera le bras de fer parce que ce sera la réforme de trop. Ce pouvoir a fait avaler trop de couleuvres au peuple. Aujourd’hui, le souci du peuple, c’est comment pouvoir manger, comment satisfaire les besoins les plus vitaux de leurs familles. Le souci des Sénégalais, c’est voir comment les enfants peuvent aller à l’école sans le risque d’une année blanche, comment ils peuvent se soigner alors qu’ils sont indigents et que l’hôpital Aristide Le Dantec est en voie de dépérissement et de pourrissement. Si le gouvernement n’a à l’esprit que de s’amuser à vouloir changer la constitution sans, en plus, y mettre les formes, ce sera la réforme de trop. Et cette fois-ci, le peuple ne l’acceptera pas.

Wal Fadjri : Mais le Parti socialiste a-t-il les moyens de s’y opposer quand on sait que vous n’avez plus de députés à l’Assemblée nationale ?

Aïssata Tall Sall : C’est vrai que le Parti socialiste n’est pas à l’Assemblée nationale pour les raisons que tout le monde sait et sur lesquelles je ne reviendrai pas ici. Mais le Parti socialiste est engagé dans un cadre républicain de contestation. Seulement, on est républicain avec des gens qui le sont. Alors, jusqu’où ce pouvoir va aller dans l’abus ? Quand cet abus nous sera imposé, nous utiliserons tous les moyens dont nous pourrons disposer parce que la loi nous en donne pour contester et protester. Nous le ferons dans le cadre de l’opposition républicaine en général et en association avec toutes les forces sociales soucieuses de la stabilité du pays et de son modèle démocratique. (…).

Wal Fadjri : L’on a remarqué que, depuis quelques temps, le Ps est passé d’une opposition dite républicaine à une opposition frontale avec le gouvernement. Qu’est-ce qui explique ce revirement ?

Aïssata Tall Sall : La nouvelle offensive est de l’opposition en général et le Ps l’approuve. Ce qui l’explique, c’est la répétition des abus de la part du pouvoir. Effectivement, le Ps avait conceptualisé, théorisé l’opposition républicaine. Non pas qu’il l’a abandonnée, mais il pense qu’il doit, aujourd’hui, monter à un cran supérieur qui consiste, en plus du cadre légal d’action, d’aller dans l’espace public et de s’exprimer avec le peuple sénégalais. D’où le plan d’action qui a été mis en place qui consiste à organiser des marches, des manifestations de protestation et de revendication. Et croyez-moi, cela va aller crescendo jusqu’à ce que le pouvoir ploie ou plie (...).

 



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