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Chronique

[ Chronique ] Du bon usage de la morale

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[ Chronique ] Du bon usage de la morale

« Aucun crime n’est vulgaire,
mais la vulgarité est un crime.
La vulgarité, c’est ce que font les autres »
Oscar WILDE

 

Nous sommes un pays inconsolable. Aux grandes débâcles succèdent toujours les grands déballages. Au Caire, il y a 22 ans, c’étaient les sorties nocturnes de Jules François Bocandé, le coup de poing donné au ministre des Sports de l’époque qui nous avaient fait les ragots de la presse privée naissante. Tout était bien parti avec la présente Can. Sortie nocturne de Diouf, insanités échangées dans la tanière, délégation ministérielle conduite par le ministre, son frère et son griot, il y avait tout pour faire des bonnes « Assises nationales ». Tous doivent prier pour que la Saga des jeunes arrêtés pour délit d’homosexualité continue. Depuis une semaine, tous les problèmes du pays sont passés au second plan, et la rue n’en a que pour ce ghanéen qui a laissé son pays, ses mœurs, sa Coupe d’Afrique, pour venir s’enticher chez nous. Je ne pense pas que la décision d’arrêter ces jeunes soit exagérée. En organisant des noces publiques entre hommes, ils ont enfreint la loi et la bonne moralité, poussé très loin la provocation. Mais je crains que si le fameux paparazzi n’avait pas vendu les clichés de cette soirée « intime », les voisins, les amis et la société entière auraient fermé les yeux. Il y a des décennies que les homosexuels ne se cachent plus que pour « convenance personnelle ». Ceux qui bravent la vendetta populaire ont un ancêtre, « elle » s’appelle Maniang Kassé. Au début des années 90, « elle avait fait la Une du journal Le Témoin, qui s’était vendu à plus de 100 000 exemplaires, un record de tous les temps. « Elle » y révélait ses relations intimes avec certains pontes de l’ancien régime, ses amours avec un riche industriel français. Loin de choquer, ses propos avaient suscité une certaine curiosité. « Elle » y révélait aussi l’étendue de sa fortune, ses biens, ses amours. « Elle » n’a jamais été inquiétée pour ses orientations sexuelles. Comprenez donc que dans la faune dakaroise, sa formule fasse recette, et que des jeunes trouvent en « elle » un modèle social à suivre. De nombreux entremetteurs y ont trouvé un moyen de se faire de l’argent de poche, et certains de s’enrichir. L’homosexualité n’est pas une pratique légale. Elle a été jusqu’ici une pratique tolérée qui a nourri notre imaginaire collectif. Les salons dakarois bruissent de rumeurs de ce genre sur de prétendues relations entre nos chefs d’Etat, leurs fils et parfois leurs homologues. C’est pourquoi il faut aborder cette question dépouillée de toute forme d’hypocrisie. La Cour du président Senghor, initiateur de cette loi, grouillait d’homosexuels. Jusqu’à la fin des années 70, on s’y disputait des copains à la fin de soirées bien arrosées, sous le regard du maître des lieux. Un scandale a failli prendre une dimension étatique lors d’une visite de l’ancien ministre mauricien des Affaires étrangères Gaetan Duval, parce que tout l’entourage du président Senghor se le disputait pour la nuit. C’était connu de tous, et ça n’a jamais suscité la moindre colère, encore moins la réprobation d’aucun chef religieux. Depuis cette période, l’exercice du pouvoir a toujours été un jeu d’équilibre entre les loges maçonniques et l’élite homosexuelle dans laquelle se trouvent de nombreux fils de chefs religieux. Nos gouvernants ont toujours abandonné les devoirs de leurs charges, pour aller s’amuser « résidence Bouquereau ». C’est dans ces résidences près de l’hôpital principal qu’ils vont prendre leur pied, loin des récriminations de la plèbe.

Il y a là un vrai problème. Je ne suis pas sûr que nous lui apportions les vraies réponses. La prison est faite pour éduquer. Mais il faut une bonne balance entre une punition impérative et une réhabilitation hypothétique. Ces jeunes, dont la pratique est condamnable autant par la loi que par la morale religieuse, ne trouveront pas à Rebeuss un lieu de repentance. Ce centre de détention à ciel ouvert est le plus grand lieu de débauche du pays, la plus grande usine de fabrique d’homosexuels. Et il y a crainte que cette bande de délinquants, si elle avait été déférée, y trouvât des adeptes plutôt accueillants. De petits délinquants, voleurs à la tire y séjournent pendant des années, collés les uns contre les autres dans de petites cellules, dans l’attente d’un jugement qui ne vient jamais. On s’y abandonne à l’homosexualité par impératif de survie. C’est pourquoi la plupart des délinquants qui y ont déjà fait un séjour de longue durée n’ont qu’un souhait, y retourner. De nombreux intervenants, des anciens pensionnaires de Rebeuss ont attiré l’attention sur le phénomène, sans jamais être entendus. C’est pourquoi je ne crois ni à la police ni à la prison, en tout cas telles qu’elles existent, puisque nos prisons forment des délinquants qu’elles rejettent par la suite dans la société. Ce qui, bien entendu, n’est pas le cas de ces délinquants au col blanc.
On imagine déjà leur défense. Ils ne se sont livrés à aucun acte contre-nature, et ils n’ont pas porté atteinte à la morale publique, puisque leur cérémonie s’est passée dans un cadre privé. Mais le ministère public, en plus de dire la loi, dira aussi la morale et la religion. Nous invoquons toujours la rigueur punitive quand il s’agit des autres et la clémence quand il s’agit de nous. Mais organiser un mariage homosexuel avec caméras et appareils photos pour immortaliser l’événement est une provocation de plus. On ne peut pas, comme à l’accoutumée, servir le discours victimisant de jeunes pris par la pauvreté qui pensent que tous les moyens sont bons pour s’en sortir. Non, ce sont des jeunes bien nourris qui pensent que tout leur est permis. Nous ne pouvons pas demander à une société entière de mettre ses convictions sous le coude, pour se courber aux désiderata de quelques jeunes aventureux.
Ce qui est par contre douteux, c’est la sanction que nous leur opposons. Les homosexuels n’ont pas disparu de l’Arabie Saoudite, parce qu’on leur coupe la tête. Ils n’ont pas disparu d’Iran parce qu’ils y sont pendus. Ils continuent d’y braver les lois et de s’exposer à une mort certaine. C’est ce qui me fait penser que ce n’est pas un problème de police, c’est un problème de société. La sanction a une fonction punitive. Mais elle ne fait pas disparaître le mal, malheureusement.
La banalisation de l’homosexualité doit inquiéter. Mais il y a une tendance à la moralisation tout azimut encore plus inquiétante. C’est le signe d’un malaise social plus profond. A chaque fois qu’il y a eu des histoires de ce genre qui touchent à la moralité, la police d’Assane Ndoye a fait le plus simple, mettre tout le monde en prison. Qu’il fasse arrêter les « mariés » est compréhensible. Mais on ne peut pas reprocher à d’humbles citoyens de s’être trouvés à côté des homosexuels ou d’être apparus sur des photos. Ce n’est ni un crime ni un délit. C’est encore plus suspect venant de gens qui laissent prospérer à quelques centaines de mètres du palais de la République, des discothèques et des salons de thé strictement réservés aux homosexuels de première classe. Il n’y a aucune raison de s’en cacher. Ce sont nos politiciens, nos juges, nos avocats et nos hommes d’affaires qui font la réputation de ces endroits selects. J’ai dit à un ami, qui se posait des questions sur leur sort, que ces jeunes ne passeraient pas une semaine en prison. La société de cour est un mélange de jetseteurs cupides et de politiciens nouvellement enrichis, et ils ne laisseront pas leurs entremetteurs risquer la prison. Ils sont, avec les fournisseurs de lignes blanches de la cité Fayçal, les plus protégés de la République. Et croyez-moi, ils ont des gens comme eux au sommet du pouvoir.
N’importe qui, pour un délit moindre, aurait croupi en prison pour longtemps. Mais observez bien le traitement princier réservé à un vendeur de drogue dure comme Clédor Sène et à l’empressement avec lequel ces jeunes ont été libérés. Depuis 7 ans, nos gouvernants nous apprennent que l’argent n’a pas d’odeur et que tous les moyens sont bons pour s’en sortir. Nous ne nous sommes jamais imaginé à quel point ces mauvais exemples déterminent le vécu de personnes pressées de s’en sortir. Nous avons le blâme facile, alors que les politiciens sensés donner l’exemple sont en pleine rute, chacun cherchant à qui se donner. Ce n’est pas comparable, mais ce qui se passe en politique revêt la même portée symbolique. Djibo Kâ qui retrouve Abdoulaye Wade, Abdourahim Agne qui retrouve Abdoulaye Wade, c’est aussi une forme de prostitution, un mariage contre-nature.
Je vois déjà des battements de paupières et des cris d’indignation qui accompagnent ces propos. Les plus zélés me colleront cette étiquette à la peau. Mais non, je ne défends pas l’homosexualité, je dénonce l’hypocrisie qui nous gouverne. Il y a d’ailleurs fort à parier qu’à un très haut niveau, on leur a déjà promis la condamnation exemplaire par sursis, et une compensation financière pour préjudices subis.



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