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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

Gare à vous, sergent

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Gare à vous, sergent

« La perfection évangélique ne conduit pas à l’empire.
L’homme d’action ne se conçoit guère
sans une forte dose d’égoïsme, de dureté, de ruse »
Charles de GAULLE

Séchez vos larmes, grands déçus du seckisme. On croyait Idrissa Seck décontaminé du sang démagogique dont se perfusent les wadistes. Mais la nature ne ment jamais. Elle a repris ses droits à un moment où nous l’attendions le moins. Nous avons, dans la plupart des cas, été seckistes par antiwadisme. Nous avons défendu cet homme, pas pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il représentait : une victime de l’injustice que nous portons en abomination. Nous sommes restés collés à cette image, en en faisant un anté-Wade : l’Achille de Vertu, incarnation de l’idéal du zoon politikon. Il s’est flingué et a flingué la morale républicaine pour laquelle nous avons combattu le wadisme.
La politique n’est pas une affaire d’enfant de cœur, entendons-nous bien. La ruse et la traîtrise y ont toujours accompagné la gloire. L’hypocrisie et la roublardise sont son haut de gamme. Nous avons d’ailleurs beaucoup pardonné à cet homme. Je suis encore persuadé que s’il s’élevait publiquement, pour dire « j’ai volé », il trouverait encore des hommes pour chanter ses louanges. La République pardonne souvent ses héros. La coalition Jamm-Ji, et surtout l’intransigeant Abdoulaye Bathily, lui ont quand même laissé 40% de leur liste pour les législatives, dans les positions les plus confortables. J’ai entendu, figurez-vous bien, des responsables socialistes dire qu’ils étaient prêts à en faire leur candidat à la présidentielle. Mais cela ne lui suffisait pas.
Malgré tous ses avatars, il trouve encore des gens qui ont la force de le porter en triomphe dans les rues de Dakar. Rarement, dans l’histoire, nous avons été aussi bienveillants avec une soldatesque politique. Ce que nous ne lui pardonnerons jamais, c’est d’avoir capitulé en notre nom, au moment où nous étions sûrs d’avoir gagné la guerre contre l’arbitraire. Ce que nous ne lui pardonnons pas, c’est d’avoir abandonné ses troupes et ses alliés en rase campagne, pour embarquer dans le premier Ndiaga Ndiaye qui le ramène à la maison Pds.
Il y en a qui sont encore si généreux, qu’ils lui accordent le bénéfice du doute. Ils expliquent encore, très naïvement je pense, qu’Idrissa Seck n’avait pas le choix, qu’il était obligé de « retrouver » le vieux, pour sauver sa candidature compromise. Ils pensent que l’essentiel, finalement, est qu’il se présente à cette présidentielle. C’est ce que je croyais, moi aussi. J’ai cru, comme nombre d’observateurs, qu’il voulait gagner du temps, pour faire valider sa candidature par le Conseil constitutionnel. Certains avancent même que s’il ne l’avait pas fait, il serait tué pendant cette campagne électorale. La politique est pleine de possibles. Mais c’est de cette ruse permanente que nous ne voulons plus. Ce n’est d’ailleurs pas le plus compromettant dans son discours. Ce qui est inacceptable et inélégant, c’est qu’il flingue en direct ses anciens alliés de l’opposition, pour retrouver la « confiance » et « l’affection » d’Abdoulaye Wade. Même la guerre a ses règles. On ne tire pas sur quelqu’un qui a tourné le dos.
Vanter la « confiance » et « l’affection » retrouvées d’un homme que l’on habillait du manteau du diable, et trouver des gens pour le justifier a quelque chose de désarmant.

J’ai parlé à Idrissa Seck mercredi matin, veille de sa conférence de presse. Il m’a appelé à 06 heures 25 heure locale. Il était 11 heures 25, sur le chemin qui le menait à la président de la République. J’en garde les détails, pour le respect que je lui dois. Mais j’ai retenu qu’il réaffirmait son appartenance à la coalition Jamm-Ji, qu’il maintenait sa candidature à la présidentielle, et qu’il ne retournait pas au Pds. Il devait, le jeudi, déclarer de façon solennelle qu’il soutiendrait le candidat de l’opposition qui se retrouverait au second tour. A sa sortie d’audience, quand il a déclaré qu’il devait revoir Wade avant la conférence de presse du jeudi, j’ai compris que quelque chose s’était passé.
En réalité, les discussions qu’il a eues avec Wade n’ont jamais porté sur un retrait quelconque de candidature, elles ont porté sur le report de la présidentielle. Seck a toujours pensé, plus que Wade d’ailleurs, que les élections devaient être reportées, que personne n’était prêt. La machine s’est grippée quand l’opposition s’est unanimement prononcée contre tout report. Qu’il se retrouvât à devoir cautionner les combines d’Abdoulaye Wade pour une succession modèle Diouf-Senghor me paraît triste et scandaleux. On ne peut pas effacer des années d’humiliation, de brimade, de persécutions comme un essuie-glace. Il faut avoir bien peu d’honneur pour accepter de mentir pour le plaisir d’un homme comme Wade. Il aurait pu penser aux milliers de gens, à travers le monde, qui se sont tués au combat pour son triomphe. Au moment de discuter avec Abdoulaye Wade, quelle qu’en soit d’ailleurs l’issue, les milliers de gens qui ont déboursé jusqu’à 100 dollars us pour acheter la carte de « Rewmi » ne comptaient plus à ses yeux. Qu’il ait accepté de retourner au Pds ou pas n’avait pas sa raison d’être. Cette question ne lui appartient pas, elle appartient à ses camarades de Rewmi, et au-delà, tous ceux sans qui il serait encore en train de mordre la poussière de Rebeuss.
Il ne faut pas m’accuser d’être un anti-Idrissa Seck. On m’a accusé du contraire. Je trouve à cet homme des qualités exceptionnelles. Je crois que rarement, dans notre jeune nation, un homme n’a été aussi préparé à la charge suprême, et trouvé des circonstances aussi favorables pour l’exercer. J’ai été son proche collaborateur, et j’ai rarement trouvé en un si petit homme une si grande intelligence. J’ai admiré en lui le petit garçon de Saint-Joseph, parti de rien, hissé aux plus grands sommets de l’Etat par sa seule détermination. Je crois que les gens l’aiment pour cela, plutôt que pour ses refrains coraniques interminables. Mais quel gâchis ! Depuis qu’il existe, il ne fait que régner sur lui-même. Il y a dans son corps rond, un esprit trop carré qui lui fait croire qu’il a toujours raison. C’est ce qu’il y a de Wade en Seck, l’armature du guerrier félon toujours prêt à répéter ses erreurs. Je lui concède qu’on ne peut pas sortir indemne de trente années de service commandé, sans être tenté par le garde-à-vous. Mais gare à vous, sergent. A la guerre, on ne se trompe pas deux fois.



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