La médaille du tirailleur

« Le doute est un hommage rendu à l’espoir »
LAUTREAMONT

Nous connaissons une crise économique sans précédent. Les caisses de l’Etat sont vides, les prix des denrées montent sans retenue. Elle est en train de se transformer en une crise sociale. A Kaolack, plusieurs individus, dont la religion fait, semble-t-il, de nombreux adeptes, se sont livrés à des incantations grandeur nature, pour faire baisser les prix des denrées. Pour le moment, ils pensent que c’est Dieu le coupable. Du ciel où Il se trouve, Il agirait sur les prix des denrées. Mais comme s’il était sourd à leurs appels, le prix de l’huile maison a augmenté de 125 francs, un triste record historique.
Puisque nous ne monterons jamais au ciel pour demander des comptes au bon Dieu, nous allons nous résoudre un jour, espérons-le, à en demander aux hommes. Je veux parler de ceux qui nous gouvernent. Quand Abdoulaye Wade choisissait Adjibou Soumaré, il savait que tout était carabiné. Mais il l’a présenté en faiseur de miracles, alors qu’il n’y en a pas en économie. Son new-deal tropical, relance des grands travaux sur fond de détournements massifs, a conduit au désastre économique que les privatisations tous azimuts ne pourront jamais juguler. Le pays va mal, c’est tout. Il nous faut des solutions pratiques, pas des incantations mystiques. C’est une question de jours ou de semaines, mais les populations trouveront le responsable de leur malheur. On ne peut pas continuer à accuser Dieu et le marché. On ne sait pas quand, mais un jour, ça va exploser. La machine de la contestation est lente à démarrer, parce qu’elle manque de fuel. Mais elle partira. Le mépris caractérisé sera son démarreur. Pendant que le pays souffre, le président de la République, incapable de voyager depuis un mois, s’invente une médaille d’honneur spéciale, celle du « tirailleur », avec livraison à domicile. C’est quand même osé, pour un déserteur de l’armée coloniale. Mais puisque dans ce pays, le ridicule ne tue plus, c’est une association dénommée « les amis du musée des tirailleurs » qui a créé cette ferraille pour la lui attacher au cou et le consoler après l’attribution du prix Nobel qu’il convoitait !
Le président de la République n’est pas dans le même monde que nous. Ses médailles étincelantes ont la priorité sur tout. C’est ce qui est à la base de la crise multiforme que nous vivons. A la crise économique, sociale, s’ajoute une crise institutionnelle qui, elle, n’est due qu’à l’ambition de quelques hommes. La fin de règne, inéluctable, laisse libre cours aux ambitions de son entourage. Ce qui rend cette fin de règne dangereuse, ce ne sont pas les ambitions du fils du président de la République, il a le droit d’en avoir. Qu’il ait bénéficié des faveurs de la République et des positions dues à un fils de chef d’Etat  est un fait contre lequel on ne peut opposer ni le délit de naissance, ni le délit de sale gueule. Il occupe cette position privilégiée du fait de son père. C’est un honneur dû avant tout à son sang. Il peut être plus diplômé que Senghor et Abdou Diouf réunis, comme le prétend le grotesque colonel Cissé. Ce qui le rend dangereux, c’est que tous ceux qui, depuis 7 ans, ont des ambitions comme lui sont proprement vilipendés, calomniés, et jetés en prison.
Quand le président Wade a été appelé à s’expliquer sur le problème qui l’opposait à Idrissa Seck, la seule explication qu’il avait donnée était que l’ancien Premier ministre avait fait « un dépassement » de plusieurs milliards sur les chantiers de Thiès. Et voilà que son fils, dans le cadre de travaux de moindre envergure, fait un dépassement que tout le monde trouve normal. Il a fallu que le président de l’Assemblée nationale, comme dans toute démocratie qui se respecte, l’invite à s’expliquer face à la représentation nationale, pour provoquer un appel au meurtre. Exactement comme dans le cas des chantiers de Thiès, les IGE se sont rendus à Fatick pour chercher des traces de détournements, et la vindicte populaire parle déjà de villas mal acquises en France et aux Etats-Unis. L’implication de Macky Sall dans les meurtres en série perpétrés depuis 7 ans est un fait. Mais ça ne rend pas son sort moins injuste. Avoir les mêmes ambitions que Karim Wade est devenu à lui tout seul, un crime économique. Aucune demande d’audition n’aurait causé une telle levée de boucliers au sein du parti présidentiel. Mais cette crise, qui est réelle, révèle la mainmise du fils du président de la République sur au moins une partie du Pds. Les oligarques qui veulent une succession par le sang sont soutenus par des va-nu-pieds de la dernière heure comme Houreichi Thiam, un délinquant économique notoire. Mais la génération du concret, si ce concept fumeux signifie quelque chose, ne compte que ce genre de serruriers guetteurs de nuit.
Les méthodes utilisées pour asseoir la suprématie du fils du président de la République sont indignes. Ils ont monté d’humbles gens les uns contre les autres. Macky Sall a servi dans ces plans en tant que ministre de l’Intérieur d’abord, ensuite en tant que Premier ministre. Mais la logique du « laissez-les s’entretuer » ne mènera à rien de bon. C’est pour qu’à la fin, il ne reste qu’un seul dans le clan, Karim l’immortel. Tous les coupables et les coupés de la République ne sont certifiés délinquants économiques qu’une fois qu’ils entrent en conflit avec les desseins présidentiels de Karim Wade.
Lundi soir, le fils du président de la République a rendu une visite nocturne à Idrissa Seck, après le passage de son « frère » Doudou Wade au palais de la République. La police a quadrillé le Point-E, pour donner à cette visite tout son cachet secret. Mais est-ce bien nécessaire ? Si le « rewmiste » accepte de servir les desseins du fils, et c’est ce que semble dire le colonel-négociateur, ces deux hommes prendront le pays contre Macky Sall et sa bande. Tout le tralala sur le prétendu crime commis en convoquant Karim Wade à l’Assemblée nationale est un prétexte nauséabond. Le président de la République, qui lui a adressé des mises en garde le jour même des funérailles de sa mère, n’attendait qu’un prétexte pour jeter ses coyotes à ses trousses. Karim Wade l’attendait là. Il l’a toujours accusé d’avoir monté l’affaire du corbeau en son bec pour le nuire. Que Macky Sall soit l’objet des mêmes accusations est assez symptomatique. On lui reproche d’avoir mangé. Ce n’est pas une excuse, mais il n’est sans doute pas le plus gourmand de la bande. Utiliser ces petits « excès », somme toute condamnables, pour faire taire quelqu’un s’appelle du chantage. Et c’est ce à quoi se livre ce régime, avec des complicités dans la police et la Justice. On peut accuser tous les hommes politiques de ce pays sans faire part de la moindre preuve, mais on ne peut pas accuser le fils du président de la République sans risquer d’aller en prison, quelles qu’en soient les preuves. C’est pourquoi, la presse s’est faite très discrète sur cette « fuite » que Karim a lui-même organisée, pour couper l’herbe sous le pied de l’opposition, en fournissant en même temps les raisons de son « dépassement ». On observera quand même que l’Anoci a attendu la perspective de son audition à l’Assemblée nationale, pour publier ses comptes et avouer son « excès ». Quoi de plus normal alors, que Karim Wade, responsable moral de l’Anoci, qui a été très loquace sur ses réalisations lors de son passage à la télévision nationale, vienne s’expliquer devant l’Assemblée nationale ? Mais encore une fois, on le traite comme un citoyen d’exception. Ses feddayines se sont empressés de s’expliquer à sa place, pendant que son père adressait des menaces à peine dissimulées au président de l’Assemblée nationale. Depuis le mois de juin, le pays est sans Premier ministre, sans opposition, sans Assemblée nationale. Le tirailleur est le seul digne d’éloges. Son fils est le seul compétent, le seul à n’avoir jamais volé, le seul qui, finalement, peut dire, quand on l’interrogera sur ses prétentions présidentielles, « j’ai des ambitions, contre 11 millions de Sénégalais ».