Pour apaiser la tension sociale, le président de la République a entrepris un vaste mouvement de libération des détenus dits politiques. Ainsi, des centaines voire plus d'un millier de prisonniers sont déjà libres entre vendredi et samedi et d’autres devraient l’être à partir de lundi. Même si cette mesure peut participer à calmer le jeu politique, elle pose des questions essentielles touchant à la sécurité des Sénégalais, mais aussi à la mission de la police et de la justice.
Avec la libération des détenus, il y a lieu de se demander ce qui se joue de la sécurité intérieure de notre pays. Pendant des mois, particulièrement depuis les évènements de mars 2023, les autorités ont répété à l’envie qu’il y a des individus dangereux pour la paix et la stabilité du pays et qu’il faut les mettre hors d'état de nuire. Il y a eu donc des arrestations massives au nom de la quiétude des paisibles citoyens.
Ministre de l’Intérieur à l’époque, Antoine Félix Diome avait fait des ‘’révélations’’ d’une extrême gravité. « Les forces occultes ont tenté de saboter l’usine de Thieudeme qui produit 12 000 mètres cubes d’eau ». Le ministre ajoutait : « Ce qui se passe dépasse la politique, c’est la République et l’État qui sont attaqués ».
Après lui, c’était au tour du procureur de la République. A travers une longue conférence de presse, Abdoul Karim Diop s’est attaché à convaincre l’opinion qu’il existe des groupes dangereux parmi lesquels un commando de ‘’forces spéciales’’. A l’issue de sa démonstration, il précise qu’Ousmane Sonko « sera poursuivi pour appel à l’insurrection, association de malfaiteurs, atteinte à la sûreté de l’État, complot contre l’autorité de l’État, actes et manœuvres à compromettre la sécurité publique et à créer des troubles politiques graves, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, mais également vol." Ouf ! C’est presque la prison à vie. Durant cette période, les autorités ont fait appel à des mots très forts comme ‘’attentat terroriste’’.
Plus d’un an après, les détenus sont libérés vague après vague, y compris les membres des forces spéciales. En effet, la presse indique que Amy Dia surnommée Nadine est libre alors qu’elle était présentée comme membre de cette ‘’force spéciale’’.
Alors de deux choses l’une : soit Macky Sall se joue de la sécurité des Sénégalais en libérant des criminels dangereux pour la paix sociale. Soit, les forces occultes ou spéciales n’ont existé que dans l’imagination des autorités. Ce qui est tout aussi grave.
La mission de la police et de la justice
En vérité, quelles que soient la tension politique et la volonté de l’apaiser, les considérations électorales ne doivent et ne peuvent primer sur les raisons sécuritaires. Un Etat responsable ne libère pas des criminels pour organiser une élection dans le calme. Dans beaucoup de pays, les élections sont reportées, parce que l’Etat fait face à une menace intérieure. Dans d’autres, l’élection n’a pas lieu dans une (bonne) partie du pays, faute de sécurité. Ces deux exemples prouvent à suffisance la primauté de la sécurité qui, disait Cheikh Anta Diop, précède le développement.
L’autre hypothèse consiste à dire que finalement toutes ces prétendues forces occultes, spéciales, obscures ou organisées n’ont jamais existé. Ce qui serait aussi la preuve que Macky Sall se joue de la sécurité du pays, d’une manière encore plus dangereuse. En créant des menaces de toutes pièces pour casser de l’opposant. L’Etat a en charge la sécurité du pays et il a besoin avant tout d’être crédible, d’avoir la confiance des citoyens pour gagner leur collaboration, une condition sine qua non pour réussir la mission. Et pour cela, ses décisions doivent avoir pour soubassement l’intérêt général, rien que ça. Ses actions, à travers ses démembrements, doivent être justes, impartiales et impersonnelles. Tout le contraire de ce qui ressort du témoignage de certains détenus victimes d’une violence gratuite et sans discernement, surtout de la part des policiers.
Le rôle de la police et de la justice ne doit pas consister à réprimer des opposants, encore moins de paisibles citoyens pris au piège des manifestations. La mission de ces institutions est bien d’assurer l’équilibre de la société, la quiétude des citoyens. Pourtant, on aura vu la police, non seulement opérer à côté de nervis, mais tenter une manipulation maladroite en voulant présenter ces hommes armées comme des manifestants qui affrontent les Fds.
La confiance du peuple, une nécessité pour gagner la bataille de la sécurité
Aujourd’hui, avec cette libération massive de détenus qui n’ont jamais été jugés, certains jamais présentés à un juge, on a l’impression que les forces de défenses et de sécurité et la justice ont davantage travaillé pour la majorité au pouvoir que pour la nation. La police dira toujours qu’elle a été dans son rôle, mais elle ne perd rien en engageant une réflexion à l’interne sur sa mission et ses limites.
Le procureur de la République aussi doit se demander pour qui et au nom de qui a-t-il lorsqu’il s'échinait, face à la presse, à prouver la dangerosité des personnes arrêtées que Macky vient de libérer. Installer dans l’opinion l’idée que les arrestations obéissent à des agendas politiques est la meilleure façon de perdre la bataille de la sécurité intérieure. C’est un terreau fertile pour les vrais criminels et les ennemis de la République.
Macky Sall et ses hommes ont longtemps affirmé qu’il n’y a pas de détenu politique ou de prisonnier d’opinion au Sénégal. Aujourd’hui, ils se contredisent à travers leurs actes. En plus, il offre une virginité à tous ceux qui ont commis des actes ignobles sans aucun lien avec les revendications politiques. Tout ceci parce qu’on n’a pas su dissocier la politique et l’Etat, le parti et la patrie. Et finalement, la sécurité devient une vulgaire monnaie d’échange, et le grand perdant reste le Sénégal, toujours victime des logiques politiciennes.
3 Commentaires
Keur Madiop
En Février, 2024 (11:37 AM)Ils ont libéré que ceux qu'ils ont arretés sans raison valable
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