« Le plus grand dérèglement de l’esprit,
c’est de croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient
et non parce qu’on a vu qu’elles sont en effet »
BOSSUET
c’est de croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient
et non parce qu’on a vu qu’elles sont en effet »
BOSSUET
Les agents de sécurité des pays arabes venus en repérage n’en reviennent pas. A deux mois du sommet de l’Oci prévu le 13 mars à Dakar, aucune infrastructure hôtelière n’est prête pour accueillir les princes arabes et leurs cours. Les responsables de l’Anoci les ont vite rassurés, en leur faisant comprendre qu’ils ont prévu deux paquebots géants loués au prix fort, pouvant accueillir jusqu’à 1500 personnes. Ils sont tombés à la renverse, mais ils n’étaient pas au bout de leur surprise. Le lendemain, rendez-vous sur les routes qui mènent...au sommet. Ils se sont rendu compte que les voies n’étaient pas éclairées. Après vérifications, il s’est trouvé tout simplement que l’éclairage public n’était pas prévu dans les budgets. Dans la précipitation, les responsables de l’Anoci ont de nouveau donné leurs assurances : l’éclairage public sera installé par la Mairie de Dakar. Pape Diop est en train de casser la chape de béton qui sépare les voies de la Corniche, pour y installer des lampadaires, le regard rivé sur le chrono. Les routes qui mènent au sommet ne sont pas prêtes. Ce n’est pas un simple jeu de mots. La rencontre tant attendu entre l’ingénieur savant et le pouvoir risque de ne jamais se tenir. Wade fils s’est perdu sur la route qui mène au sommet du pouvoir, avec ceux qui ambitionnaient de l’y installer.
Il y a deux ans, Karim Wade a monopolisé une heure de grande écoute de la télévision nationale, pour présenter sa vision futuriste de la Corniche. Nous avons encore, au milieu du visage, les marques de ce coup d’éclat médiatique du jeune sportif en survêtement, plus pressé que tout le monde. Le lendemain, il était déjà transformé en maure enturbanné, prêt à discuter avec ce que ce pays compte de jeunes marabouts, toujours sous les yeux complaisants des caméras de la présidence. Karim Wade a été, de loin, le personnage le plus médiatisé de la République, durant ces deux dernières années. Il a rivalisé en préséance médiatique avec son père. Je ne veux pas jouer les oiseaux de mauvais augure, mais ce qui est à l’origine de l’échec du premier a nui au second : la démonstration excessive de leur savoir télévisé . Au lieu de sensibiliser les populations sur l’importance de ce sommet et l’utilité des infrastructures pour l’économie de ce pays, on a convié les regards vers l’organisateur, l’ingénieur financier. Ce qui est surprenant avec ce grand chantre du réel et du concret, c’est la part d’utopie qui accompagne sa vision futuriste. Les technologies nouvelles, les imageries trois dimensions accompagnent ses rêves d’enfant. C’est sur la base d’une simple maquette que son père, séduit par le génie inventif d’un fils décidé à atteindre les sommets, s’est laissé aller à cet alexandrin malheureux, « je dirai à ta mère que tu as bien travaillé ». Le fils venait d’hériter du père ce génie qui lui est propre, la capacité à soulever les foules et à les faire rêver debout. Pour de nombreux jeunes qui se préparaient à affronter les océans, la génération du concret aura été ces deux dernières années un adjuvent moral. On leur a promis des financements et des emplois, à la seule condition qu’ils soient « de la génération du concret ». Des désœuvrés et des cadres chômeurs se sont jetés aux bras de ce jeune illusionniste, capable de planter les deux tours du World trade center en plein Sandaga, si vous lui donnez une souris et un ordinateur. Le résultat de deux ans de travaux pratiques est en soi une catastrophe que les coups de pinceau et de truelle ne pourront jamais cacher : il n’a rien fait de concret. Si Abdoulaye Wade retournait deux ans après au même endroit où il avait prononcé cette phrase malheureuse, il saurait qu’un pays ne se construit pas à coups d’incantations et de psalmodies. Devant le monde entier, il s’est glorifié du néant. Cette opération coup de poing lancée pour ouvrir la voie à une succession monarchique a été un échec total. Mais c’est le propre de tous ceux qui font un pari sur l’incertitude.
Si ces réalisations devaient être une réussite, le mérite reviendrait d’abord aux ouvriers sénégalais, aux ingénieurs, aux entrepreneurs qui ont, dans un élan patriotique jamais égalé, engagé des sommes considérables que leur doit encore l’Etat du Sénégal. Karim Wade ne sait pas couler du béton. Son rôle s’arrête jusqu’ici à celui d’un vulgaire convoyeur de fonds. Ce que n’importe qui aurait fait mieux que lui, muni d’un passeport diplomatique, d’une lettre de recommandation et d’un Jet privé. Arriver à un tel résultat après tant d’années n’est pas brillant. Le raccourci qu’il cherchait pour arriver au sommet s’est transformé en une sortie de route que tous les démocrates devaient lui souhaiter. Le seul fait que le président de la République vienne à son secours pour sauver le sommet est la marque d’un échec patent. Mais il y a des vérités qui ne se disent qu’en famille. Que Karim Wade rase les murs et s’éloigne des caméras de la télévision est déjà une grande victoire du bon sens et de la mesure qui nous ont fait défaut ces dernières années. S’il renonçait à ses ambitions trop haut placées, ce serait encore mieux pour lui. Cet échec vient de ce qu’en dehors de quelques iconoclastes accroupis à ses pieds, le fils du président de la République agissait seul, faisait ses comptes du seul, et se glorifiait tout seul. Quand les architectes sénégalais ont envoyé le premier signal de danger en voyant l’état de la chaussée et les élévations de la Corniche, il a vu en eux des envieux et des méchants. Exactement comme il faisait avec ses amis d’enfance de la rue Tolbiac.
Même les esprits peu avisés savent que les dignitaires arabes, déjà confrontés à des problèmes de sécurité dans leurs propres pays, ne s’aventureront pas dans cet amas de gravats. Mais Wade tient à son sommet, quitte à l’organiser seul, avec quelques convives arrivés en chameau du désert d’Arabie. Tenez-vous bien, il a refusé à la DGSE française l’arrestation en territoire sénégalais des meurtriers des touristes français, sous le prétexte que « nous avons un sommet à organiser, nous ne voulons pas de problèmes avec Al Qaeda ». C’est pourquoi les jeunes Salafistes mauritaniens se sont permis une visite prolongée en Guinée Bissau. Quand ils ont proféré des menaces contre l’Etat bissau-guinéen, Wade a poussé un ouf de soulagement : « vous imaginez ce que ça serait, s’ils avaient proféré ces menaces à l’aéroport de Dakar ? Ce serait l’annulation automatique du sommet ». Il est prêt à des compromis avec le diable, pour sauver son sommet.
Mais ce qui fait planer une véritable menace sur le sommet de mars 2008, c’est le malaise qui gagne la haute hiérarchie de la police, après celle de la gendarmerie. Les services de renseignement, pour punir les autorités, avaient bloqué les renseignements sur la manifestation que préparaient les marchands ambulants. Un tel scénario, que nous avons vécu en février 1994, avait connu une issue tragique, avec la mort de plusieurs agents de police Quand il a fallu sanctionner, Abdou Diouf avait sanctionné les responsables politiques de l’époque, le ministre de l’Intérieur en premier. Abdoulaye Wade a procédé inversement, en sanctionnant des gens qui n’ont rien fait, alors que tout ce malaise, la lettre anonyme des policiers le révèle, est dû à la gestion autocratique d’Ousmane Ngom, qui ne supporte pas les remarques, encore moins les critiques. Si cette question délicate n’est pas réglée, rien n’empêchera les policiers, touchés dans leur orgueil par la nomination du fantoche Assane Ndoye, de laisser quelque groupuscule opérer. La division infecte ne concerne pas seulement le Pds. Elle a touché tous les segments institutionnels et sociaux du pays.
Rater ce sommet tant attendu serait une catastrophe pour Wade. Mais ce ne serait pas son premier échec. Que d’idées enfantées et abandonnées en cours de route Il y avait le plan Omega, pour lequel il a fait trois fois le tour de la terre. J’ai entendu un jour son conseiller en informatique coranique, Pape Sy, deviser sur le caractère « divin » du terme « Omega » : il l’a oublié aussitôt perdu dans les méandres de la littérature politique africaine. Il s’est inventé le plan Reva. Quand il a vu que les espagnols rechignaient à mettre leurs sous sur la table, il a changé de plan. Sitôt l’hypothèque posée sur le sommet de l’Oci, le président du Sénégal s’est déjà branché sur les Ape. Il ne sait pas de quoi il s’agit. Il n’arrive même pas à dire pourquoi il est contre. Quand tout le monde se sera mis sur les Ape, il sera déjà loin, sur d’autres champs de bataille. Notre président aime les coups d’éclat permanents. L’essentiel pour lui est de courir, toujours courir, encore courir, jusqu’à épuisement.
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