Un peu de retenue !

 

Il y a au moins deux Abdoulaye Wade qui se mènent une lutte acharnée et seul l’avenir dira lequel sortira vainqueur de cette confrontation. L’un déploie des moyens colossaux et une somme d’efforts incommensurables pour cultiver dans le monde entier l’image d’un homme de paix. Mais il y en a un autre qui lui mène une concurrence féroce. C’est le délinquant financier, le monarque autoproclamé qui veut imposer son fils à la tête de son pays, qu’il livre à un pillage systématique et qui se moque du qu’en dira-t-on. Il faut dire qu’en l’état actuel des choses, c’est le voyou mégalomane qui prend le dessus. Il en est des affaires domestiques comme de sa politique étrangère. Dès que le médiateur conciliant envoie une lettre à ses opposants pour discuter des affaires du pays, son encre à peine séchée, l’autocrate arrogant s’en empare pour leur adresser des injures. Même quand l’homme de paix engage une médiation loin de nos frontières, le monde entier n’a pas le temps de s’en apercevoir. Le bandido sans scrupule le rejoint. Se dévoile alors toute la mesquinerie de l’homme, avec ses calculs de petit épicier qui veut régler son compte à tout le monde et qui veut tout à son compte. Abdoulaye Wade met tout en œuvre à cette seule fin : les courtiers véreux, les commissions occultes, les passeports diplomatiques de complaisance et les valises remplies de devises. Quoi que nous ayons pu faire, nous avons donc été obligés de choisir entre deux inconvénients.  
Quand il se met à la quête de sa propre grandeur, maître Wade ne s’embarrasse pas de ridicule. Il avait ainsi déclaré, dans un communiqué officiel publié par la présidence de la République, que le Hamas avait accepté de lui « confier » le soldat israélien Gilat Shalit. Israéliens et palestiniens voudraient bénéficier de sa clairvoyance ; la classe politique ivoirienne ne jurerait que par sa sagesse ; les parents d’Ingrid Betancourt auraient eux-mêmes sollicité sa médiation. De la forêt d’Amazonie au désert d’Arabie, Abdoulaye Wade a le regard rivé sur tous les problèmes du monde, qu’il appréhende avec facilité. Le président Berlusconi ne l’avait-il pas sollicité pour qu’il apporte une réponse aux problèmes économiques de l’Europe, lui le savant de Kébémer, qui se présente comme l’africain le plus diplômé du Caire au Cap ? Ne lui demandez pas pourquoi il n’applique pas sa science à son propre pays. La rébellion casamançaise, les coupures d’électricité et la pauvreté des ménages sénégalais sont des questions bien trop simples. Abdoulaye Wade ne s’occupe que de problèmes complexes.

Mais ce que sa diplomatie brouillonne n’arrive pas encore à faire, sa langue de vipère le complète. J’étais en 2002 au sommet de Durban quand, dans un Palais des congrès plein à craquer, il a insulté tous les chefs d’Etat africains qui ne voulaient pas avaliser la prise illégale du pouvoir par Marc Ravalomana, à Madagascar. Ils étaient tous taxés de putschistes et de monarques qui n’avaient pas de leçons à lui donner. J’ai vu le lendemain le même homme présenter ses plates excuses en reconnaissant l’étendue de sa bourde, qu’il avait mise sur le compte de « l’emportement ».  
Tous ceux qui ne veulent pas laisser libre cours à sa mégalomanie sont insultés, trainés dans la boue sans ménagement. Il s’en était violemment pris à Tabo Mbéki dans les colonnes des journaux, accusé de se mêler du problème ivoirien, « alors qu’il n’est pas francophone ». Quand Chirac refuse de l’associer aux discussions de Marcousis pour la paix en Côte d’Ivoire, il déclare publiquement qu’il est « l’ami de Bush ». Quand Bush prend finalement ses distances, Wade le charge avec cette phrase restée au travers de la gorge des diplomates américains : « Bush n’est pas plus intelligent que moi. Il dirige le pays le plus puissant du monde avec de nombreux conseillers, c’est tout. » Les accusés d’aujourd’hui sont Nicolas Sarkozy et André Parent. Quand lui Abdoulaye Wade se préoccupait du sort de Clotilde Reiss, Nicolas Sarkozy  « dormait ». A 21 heures, heure de Paris, n’était allumée ce 11 mai 2010 à l’Elysée, que la lumière éclairante de Claude Guéant, l’homme qui veille sur la France quand son président s’endort. Le chef de la cellule Afrique de l’Elysée est lui aussi accusé d’avoir prolongé la détention de Mme Reiss de 6 mois. C’est un emportement qui vire maintenant à l’aliénation totale.
 
Abdoulaye Wade a toujours manqué de tenue. Mais c’est son manque de retenue qui risque de mener notre pays à l’isolement diplomatique. J’ai déclaré ici-même que nous sommes un petit pays, mais nous avons toujours été grands dans l’estime des autres. Ce n’est plus le cas, devais-je ajouter. Aucun chef d’Etat occidental ne veut plus avoir Abdoulaye Wade comme interlocuteur, qui n’a plus effectué de visite d’Etat chez nos alliés traditionnels depuis cinq ans. Nicolas Sarkozy ne veut plus le recevoir et l’oblige à se rabattre sur Claude Guéant. Le 11 mai dernier, Nicolas Sarkozy ne dormait pas, il avait refusé de le prendre au téléphone, justement parce qu’Abdoulaye Wade ne sait pas faire une chose, se taire. Quand Barack Obama lui a parlé pour la dernière fois, c’était pour le sermonner comme un enfant et lui demander de se tenir éloigné du dossier guinéen. L’activisme débordant d’Abdoulaye Wade et son amateurisme diplomatique ont conduit notre pays à un isolement qui nous coûtera cher. La semaine dernière, nous avons été le seul pays à signer, à côté du Zimbabwé, un communiqué reconnaissant à l’Iran le droit à l’énergie nucléaire. On sait bien pourquoi Abdoulaye Wade s’attache à la coopération avec la Chine et l’Iran. Ce sont deux pays peu soucieux des Droits de l’homme et peu scrupuleux quant à la bonne gouvernance de leurs « pays amis ». Il mène son combat personnel sous le faux prétexte d’un nationalisme auquel il n’a jamais cru. On sait maintenant que derrière le départ des troupes françaises faussement annoncé, se cachent ses propres prétentions foncières. Il y construira sa propre résidence secondaire, a-t-il déjà annoncé, et vendra le reste des terres abandonnées à ses amis affairistes. Il faudrait plutôt voir dans cet activisme pour la libération de Clotilde Reiss, des gages donnés à la France pour qu’elle supporte enfin ce projet successoral. Mais ce que cette affaire révèle, c’est qu’en plus de n’avoir un ministre des Finances que de nom, nous avons maintenant un figurant au ministère des Affaires étrangères. Cheikh Tidiane Gadio en était réduit à ce rôle peu valorisant. Quand il a refusé de demeurer en l’état, il a vite été remplacé par Madické Niang. Avec son costume tombant, ses pochettes flamboyantes assorties avec sa cravate et ses lunettes genre Woody Allen, il ressemble plus à acteur de cinéma bollywoodien qu’à un ministre des Affaires étrangères. Ne lui manque que le gros cigare, pour restituer un grand truand des années 60. Quand il faudra dresser la liste des minables qui ont marqué l’histoire de ce pays, Madické Niang figurera en bonne place. Mais qu’espérer de mieux ? Il joue un rôle que l’histoire lui aurait certainement refusé, s’il n’avait pas été celui qui a sauvé Abdoulaye Wade de la prison à perpétuité, dans l’affaire Me Sèye.  
Il y a tout de même un fait révélateur de l’ambiance qui règne dans ce pays, c’est qu’aucune structure du Pds, aucun responsable de ce parti n’a apporté son soutien ou félicité Abdoulaye Wade dans cette affaire. Parce que tous savent qu’il s’agit d’une mise en scène orchestrée pour mettre en avant Karim Wade, rien d’autre. Madické Niang s’est lui-même effacé pour ne laisser apparaître qu’Abdoulaye Wade, Karim Wade et Robert Bourgi, leur entremetteur parisien.  
Bernard Kouchner a eu l’attitude la plus dédaigneuse vis-à-vis d’Abdoulaye Wade dans cette affaire. Le président sénégalais aurait pu s’éviter un mépris, s’il savait se taire, comme l’ont fait toutes les parties prenantes dans cette médiation. Abdoulaye Wade, qui se déclare pourtant ami de Lula dans cette affaire, s’est même permis de déclarer qu’il n’était pas au courant d’une quelconque médiation brésilienne, alors qu’il avait rapporté à Sarkozy, lors de leur dernière rencontre, qu’Ahmedine Ejad ne voulait pas de Lula dans cette affaire. Il a été doublement démenti, puisque dès que le président brésilien est arrivé à Téhéran, le président Ejad s’est empressé de déclarer que la libération de Clotilde Reiss était « un cadeau au président Lula ». S’il a pu jouer un certain rôle dans cette libération, ce que personne ne peut nier, le chef de l’Etat en a perdu tout le bénéfice, du fait de son agitation effrénée. Il s’est empressé de s’attribuer le succès comme un vulgaire bandit réclame sa part de butin après le un casse d’une banque. Le détail des tractations menées depuis le début des médiations, le 20 août 2009, livré dans le français calamiteux de Madické Niang, viole tous les principes et toutes les règles diplomatiques. Au lieu de sauver Clotilde Reiss, Abdoulaye Wade aurait pu faire le même effort pour sauver son pays. Les recettes fiscales baissent, les prix des denrées montent, ceux du carburant flambent. Mais ce n’est pas le Sénégal qui le préoccupe, c’est son fils.
SJD