Décidément, cette année aura été difficile pour le monde de l’art sénégalais. Mais remercions Dieu pour sa miséricorde infinie !
C’est en plein préparatifs de la cinquième édition du Homecoming/Retour aux Sources de la diaspora sénégalaise que nous avons appris la mort de l’un de nos lauréats 2013, le Baobab, le grand artiste, le Maître, le Tambour Major, Doudou Ndiaye Coumba Rose. Nous nous rappelons que c’est avec une grande humilité et beaucoup d’émotion qu’il a reçu notre distinction : le Prix Grande Figure Citoyenne de Re-Source / Sununet. C’est avec des larmes de joie qu’il disait « j’ai reçu plusieurs prix dans ma vie, mais celui-ci est certainement celui qui me fait le plus plaisir car je ne savais pas que des enfants de mon pays pouvaient m’honorer de cette façon ». Ensuite, généreusement il nous a offert un concert gratuit pour notre soirée de Gala.
Au-delà de la tristesse qui nous assailli à l’annonce de son décès, nous gardons un très bon souvenir de tous ces moments agréables que nous avons passés ensemble. Notre grand regret est de voir qu’il n’a pas eu le temps de voir la réalisation du projet qu’il nous avait demandé d’élaborer pour lui : « Un batteur, Un Arbre. ». Vu que tout percussionniste se sert d’un arbre coupé pour confectionner son instrument, Doudou Ndiaye souhaitait qu’en retour que ces musiciens replantent des arbres. Cette initiative portée par des musiciens, leaders d’opinion, permettrait d’impliquer beaucoup de personnes. Voilà une idée simple, généreuse et efficace qui s’est heurtée au terrain chaotique de la politique.
Il nous avait confié l’écriture de ce projet citoyen, car il avait une grande confiance en nous. Ce projet nous l’avons porté avec dévouement et engouement. En une quinzaine de jours, nous avons mobilisé toutes les ressources humaines de notre organisation pour l’élaborer et le lui restituer. Avec lui nous avons affiné sa vision, défini les objectifs, mis en place les stratégies et les conditions de sa réalisation. Il était très fier de cet important document que nous lui avons remis, et s’en est saisi pour convaincre des partenaires institutionnels à l’accompagner et à le soutenir. En vain !
Déçu par l’indifférence de ces derniers, il se battait pour trouver d’autres voies et moyens de sa réalisation. Disons-le clairement, la vision de l’artiste dépasse l’horizon limité des politiques qui ne savent naviguer qu’à vue. Très souvent, ces derniers prennent la rythmique du contretemps comme une démarche à contre-courant.
« Un batteur, Un Arbre. » est un projet qui vise à faire le lien entre art et citoyenneté. La citoyenneté dans le contexte africain est une notion difficile à mettre en œuvre. Elle implique qu’on prenne acte de la ligne de démarcation et de jonction entre modernité et tradition. Dans cette dialectique ininterrompue de continuité et de discontinuité, à Sununet, nous sommes persuadés que la citoyenneté peut se construire avec l’Etat, ou hors de l’Etat voire contre l’Etat lorsque la liberté risque d’être confisquée.
Doudou Ndiaye Rose fait partie de cette génération d’artistes et d’intellectuels citoyens de notre pays dont la dette à l’égard de Senghor est indéniable. Ce qui distingue cette « race » d’artistes et d’intellectuels, c’est la façon dont elle inscrit ses créations dans une lutte dialectique entre l’universel et le local, l’identité et la différence. Ce musicien hors pair, virtuose des percussions et chantre de la Négritude, a mis au centre de son art, la vie collective des peuples noirs : les enjeux de la liberté, les urgences du développement, les malheurs et bonheurs des populations. Ce sont dans les ressources imaginaires et symboliques de son peuple que Doudou Ndiaye Rose puise son inspiration.
Lui qui aimait se définir comme un griot était un maillon indispensable qui permettait à la société de s’organiser. Rappelons-le, griot qui signifie guewel en wolof est celui qui rassemble (dans le guew). La façon dont le griot traite « artistiquement » les modes d’incorporation des objets et/ou les expériences africaines par les contes et la musique, participe de l’éthique et de l’esthétique.
Ce griot musicien, chorégraphe, conteur et poète, était un rassembleur qui a contribué au combat féministe : il a fait jouer des femmes aux percussions. Reconnaissez-le ! Dans une société essentiellement patriarcale, il s’agit là d’une audace extraordinaire. Il a joué et fait danser Germaine Acogny, il a mis en musique des chorégraphies de Maurice Béjart avec Mudra Afrique.
Le musicien-poète ne s’exprime pas simplement pour faire plaisir (l’esthétique) mais aussi pour dire le vrai et du bien (l’éthique).
A travers son instrument, le tamtam, il exprime des métaphores du beau et donne à voir les symboliques du bien et du vrai. Ecouter la musique de Doudou Ndiaye Rose ne donne pas simplement envie de danser, elle donne envie de s’engager. Raison pour laquelle, il faut continuer le combat afin que son projet « Un Batteur, Un Arbre », puisse voir le jour. Ce sera pour le bien de notre continent et des générations futures.
Dommage que le Sénégal n’ait pas assez mis à profit les atouts et talents d’ambassadeur infatigable de la culture négro-africaine en Europe, Amérique, Asie et Caraïbes.
Cher Père Doudou, quant à nous rassure toi, ta mémoire n’est pas un objet perdu, dans cet environnement sec et aride nous essaierons de planter ta rose.
Mr Mahamadou Lamine Sagna.
Membre du Comité Directeur et ancien Président de Ressource/Sununet
4 Commentaires
Anonyme
En Décembre, 2015 (04:01 AM)Nulangee Design
En Décembre, 2015 (12:22 PM)Samattgoloniaye
En Décembre, 2015 (15:23 PM)Oui,......Lui d'abord c un baobab, le symbole meme du pays!
Aussi, ce ne sont pas uniquement les batteurs qui doivent planter un arbre, l'etat doit veiller a preserver ce arbre precieux ki existe chez nous contre les esprits mercantiles!
Article bien ecrit et plein de sagesse!
Merci!
Anonyme
En Décembre, 2015 (19:10 PM)Participer à la Discussion